H. pylori : avec les grandes migrations de l'homme depuis la préhistoire

Publié le 06/03/2003
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De notre correspondante
à New York

Helicobacter pylori est, on le sait, une bactérie Gram négatif, acquise par voie orale, qui colonise l'estomac de la moitié de la population humaine. Cette colonisation, en l'absence de traitement, peut durer des décennies, provoquer des ulcères gastriques et duodénaux et prédisposer au cancer de l'estomac. Les enfants acquièrent la bactérie dès leur très jeune âge. H. pylori est transmis essentiellement au sein des familles, principalement, pense-t-on, de la mère à l'enfant, et ne dissémine pas de manière épidémique. En raison de ce mode de transmission quasi vertical, on a pensé que H. pylori pourrait donner des informations sur les migrations humaines.

Ces bactéries sont caractérisées par une grande diversité génétique, cinquante fois plus importante que celle des hommes, et les séquences d'ADN sont différentes selon l'origine géographique de la souche isolée.

Sept populations et sous-populations modernes de H. pylori

Une équipe de chercheurs allemands, français et américains, dirigée par le Dr Mark Achtman du Max Plank Institut de Berlin, montre que H. pylori a accompagné les migrations humaines depuis les temps préhistoriques. Ils ont séquencé huit gènes dans 370 souches de H. pylori isolées dans 27 populations humaines qui diffèrent par leur région géographique et leur origine ethnique.
L'analyse de la diversité des séquences, en utilisant un programme appelé STRUCTURE, révèle que la bactérie peut être classée en sept populations et sous-populations modernes. Un nouvel outil génétique de population a permis de reconstruire les nucléotides présents dans cinq populations bactériennes ancestrales qui ont évolué en Afrique, au Proche-Orient et en Asie. Et en comparant les populations modernes et ancestrales, il a été possible de reconstruire l'historique de la dissémination globale de H. pylori qui « accompagnait » des migrations humaines spécifiques.
Lorsque l'estomac est colonise par de multiples souches de H. pylori, l'ADN libre des bactéries lysées est importé par un échange génétique horizontal, ce qui donne des génomes mosaïques contenant des morceaux de nucléotides importes. Ainsi, le H. pylori européen vient de la fusion génétique (par recombinaison) de deux populations ancestrales qui ont été importées indépendamment d'Asie centrale et du Proche-Orient.

Migrations sibériennes, expansions polynésienne et Bantu

Par ailleurs, des sous-populations bactériennes distinctes ont évolué durant les milliers d'années d'isolement qui ont suivi l'expansion polynésienne vers le Pacifique, les migrations sibériennes vers les Amériques et l'expansion Bantu en Afrique. Dans de nombreuses régions, les bactéries natives sont maintenant en compétition, pour coloniser l'estomac, avec des bactéries étrangères qui ont été importées au cours des derniers siècles lors des récentes migrations humaines, comme la colonisation européenne des Amériques, de l'Afrique et de l'Australie, et la traite des esclaves à travers l'Atlantique.
L'élucidation de ces sous-divisions de population de H. pylori est médicalement importante. Les différences génétiques entre les diverses populations bactériennes pourraient être corrélées aux différences de virulence et de structure antigénique. Ces différences pourraient affecter l'efficacité d'un traitement particulier ou d'une stratégie vaccinale.

« Science » du 7 mars 2003, pp. 1582 et 1528.

Dr Véronique NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7289