Chez la souris, un gène de l'horloge interne est suppresseur de tumeur

Publié le 03/10/2002
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De notre correspondante
à New York

« N OUS avons précédemment montré que des souris génétiquement modifiées dépourvues du gène Period 2 ont une horloge circadienne perturbée », explique au « Quotidien » le Dr Cheng Chi Lee, du Baylor College of Medicine (Houston), qui a dirigé ces travaux.

« Dans l'étude présente, nous démontrons que ces animaux porteurs du gène Period 2 muté sont aussi disposés aux cancers. La prochaine étape de notre recherche sera de déterminer si les cellules cancéreuses humaines présentent une régulation circadienne anormale. »
On sait que chez l'homme, à l'instar de nombreux organismes, quantité de fonctions physiologiques subissent des oscillations quotidiennes. Le plus manifeste de ces rythmes circadiens est le cycle veille-sommeil. Ces rythmes sont entraînés par une horloge circadienne centrale (ou processus endogène oscillant), qui réside chez les mammifères dans une région de l'hypothalamus, le noyau suprachiasmatique.
A ce jour, huit gènes de l'horloge circadienne centrale ont été identifiés (CK1 epsilon ; Cry 1 et Cry 2 ; Per 1, Per 2, Per 3 ; Clock ; Bmal 1). Des boucles interactives de feed-back positif et négatif de ces gènes composent le mécanisme moléculaire de cette horloge centrale. L'horloge centrale contrôle des événements en aval en régulant, avec une spécificité tissulaire, l'expression de gènes contrôlés par l'horloge (en anglais, CCG pour Clock-Controled Genes) qui agissent dans diverses voies biologiques.

Des observations qui ont mis la puce à l'oreille

Plusieurs observations in vivo suggèrent que l'horloge centrale pourrait jouer aussi un rôle dans le contrôle de la croissance cellulaire. En effet, la prolifération cellulaire et l'apoptose dans les tissus à régénération rapide sont synchronisées sur un mode circadien. La prolifération des cellules tumorales suit un mode circadien autonome qui n'est pas en phase avec les cellules normales. Enfin, les cycles circadiens irréguliers augmentent l'oncogenèse mammaire.
Fu, Lee et coll. ont étudié la souris porteuse d'une mutation homozygote du gène Period 2 (ou Per 2). Ces souris mutantes ont une fonction déficiente de l'horloge centrale et « fournissent un modèle idéal pour tester le rôle des gènes circadiens dans la croissance cellulaire et la réponse aux dégâts d'ADN in vivo  », expliquent-ils.
L'équipe a constaté que ces souris privées du gène Per 2 sont beaucoup plus sujettes aux cancers que les souris normales.
De plus, lorsque ces souris mutantes sont soumises à une seule irradiation gamma de tout le corps, elles perdent prématurément leurs poils, développent des tumeurs et ont une apoptose réduite dans les thymocytes, alors que les souris normales soumises au même traitement se portent bien.
Ainsi, les souris privées du gène Per 2 ont une sensibilité accrue aux rayonnements gamma.
Au niveau moléculaire, les chercheurs ont constaté que, tandis que l'expression des gènes circadiens centraux est accrue par le rayonnement gamma chez les souris sauvages normales, elle ne l'est pas chez les souris mutantes Per 2. L'expression temporelle des gènes qui interviennent dans la régulation du cycle cellulaire et la suppression tumorale (comme les gènes Cyclin D1, Cyclin A, Mdm-2 et Gadd 45 alpha) est « dérégulée » chez les souris mutantes Per 2.

La surexpression de c-myc

Les chercheurs montrent, en outre, que la transcription du proto-oncogène c-myc, qui joue un rôle clé dans la prolifération cellulaire et l'apoptose, est directement contrôlée par des gènes de l'horloge circadienne et la transcription du gène c-myc est dérégulée chez les souris mutantes Per 2. La dérégulation de c-myc a été liée à divers cancers, ainsi que la croissance hyperplasique des tissus.
« La surexpression de c-myc cause des dégâts d'ADN dans le génome et conduit à l'hyperplasie et au développement tumoral », proposent les chercheurs. « Il est probable que la dérégulation de multiples voies moléculaires contribue à la susceptibilité au cancer et à la réponse anormale aux dégâts d'ADN chez les souris mutantes Per 2 », notent-ils.
En résumé, le régulateur circadien Per2 peut donc être considéré comme un gène tumeur-suppresseur. « Les autres régulateurs circadiens pourraient jouer aussi un rôle similaire dans la suppression tumorale, puisque les gènes circadiens centraux ont une régulation coordonnée in vivo  », proposent les chercheurs.
Il reste à savoir s'il en est de même chez l'homme. Le gène Per 2 est présent chez l'homme et ses mutations causent un syndrome familial de phase avancée du sommeil. « Un des aspects importants de ce travail est la démonstration génétique qu'un gène de contrôle du comportement circadien joue aussi un rôle important pour prévenir le cancer », récapitule pour « le Quotidien » le Dr Lee. « Mais notre travail montre aussi que l'horloge circadienne contrôle de nombreux régulateurs clés qui sont importants pour la prolifération et la mort cellulaire. Cela suggère un lien important entre l'horloge circadienne et les mécanismes de division et du turnover cellulaire. En outre, nous avons montré que les gènes qui contrôlent l'horloge circadienne ne sont pas seulement importants pour le contrôle rythmique (tel que le cycle veille-sommeil et le cycle de division cellulaire), mais sont aussi cruciaux pour la réponse aux dégâts imprévus faits à l'intégrité du génome, comme les radiations gamma. »

« Cell » du 4 octobre 2002.

Dr Véronique NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7191