Antibiotiques : les clés pour comprendre le plan national

Publié le 20/01/2002
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« N'attendons pas que la résistance soit responsable d'échec une fois sur deux pour réagir à la résistance bactérienne aux antibiotiques... Je suis le premier à considérer que les antibiotiques doivent conserver une place privilégiée dans l'arsenal thérapeutique, que l'on a besoin de la recherche, de l'industrie et d'une meilleure valorisation des antibiotiques qui sont des médicaments indispensables. » Cependant, « notre rôle est de mieux utiliser ce dont nous disposons à la fois pour le présent et pour l'avenir, afin de préserver notre marge thérapeutique ». Ainsi s'exprime le Pr Benoît Schlemmer (hôpital Saint-Louis, Paris), l'un des auteurs, avec les Drs Anne-Claude Crémieux (hôpital Bichat, Paris) et Olivier Reveillaud (généraliste), du rapport qui a permis l'élaboration du « plan national pour préserver l'efficacité des antibiotiques », présenté par Bernard Kouchner en novembre (« le Quotidien » du 21 novembre 2001). Ce rapport a soulevé de nombreuses réactions, notamment de nos lecteurs (« le Quotidien » du 3 décembre 2001) qui y ont vu une attaque contre les antibiotiques et ont été surpris par l'ampleur des prescriptions inappropriées et de la résistance du pneumocoque aux antibiotiques. Lors d'un entretien avec « le Quotidien », le Pr Schlemmer confirme la réalité de ces chiffres. « Nous avons souhaité faire un document relativement court et percutant, afin de frapper l'opinion, parce que l'un des problèmes que l'on a à combattre, c'est le manque de sensibilisation des Français en général (médecins et non-médecins) aux enjeux du devenir de l'activité des antibiotiques dans les dix ans qui viennent. » Les chiffres clés en France présentés en annexe du rapport (voir encadré) ont donc été arrondis aux hypothèses les plus basses pour être simples et faciles à retenir.

D'emblée, la mission « antibiotiques » s'est heurtée à un manque relatif de données pour la France. Celles dont elle disposait provenaient surtout de l'institut de sondages et enquêtes pharmaceutiques IMS, mais aussi de l'assurance-maladie, de l'ANAES et de l'AFFSAPS (recommandations ou rapport de l'Observatoire national des prescriptions et consommation des médicaments) ou d'études publiées.

Des chiffres en deçà de la réalité

Pour la consommation globale en ville, qui situe la France au premier rang des pays européens, les calculs ont été effectués à partir des données IMS publiées par Otto Cars dans le « Lancet ». Avec 37 unités journalières pour 1 000 habitants par jour et pour une antibiothérapie de 10 jours en moyenne, le nombre de prescriptions en ville est de l'ordre de 80 millions. Ainsi, sur un total de 100 millions de prescriptions en France, le volume par an en ville représente 80 %. L'antibiothérapie pour infections respiratoires atteint 82 % du marché (données IMS 97). « Avec de deux tiers à trois quarts, on est un peu en deçà de la vérité », or la plupart de ces infections sont virales. Ainsi, sur 18 millions de consultations par an (données IMS) pour rhino-pharyngite, toujours virale, de 36 à 38 % d'entre elles sont traitées par antibiothérapie. Près de 7 millions de prescriptions sont donc inutiles, même s'il faut moduler ce chiffre puisque, selon les recommandations, un tiers de ces rhino-pharyngites peut justifier une antibiothérapie (sujets à risque). Dans toutes les autres pathologies (angines, bronchites), l'estimation la plus basse obtenue à partir des données disponibles a été retenue pour parvenir à un nombre minimal probable d'antibiothérapies injustifiées.
Les prescriptions inappropriées existent aussi à l'hôpital, mais la part en volume de l'antibiothérapie hospitalière est moindre (20 %, ce qui situe la France au deuxième rang européen par habitant). Il faut préciser que le terme utilisé de « prescriptions inappropriées » est relatif non seulement au volume, mais aussi à la qualité des prescriptions. « Quand on regarde tous les critères d'une bonne prescription (indication thérapeutique, choix du produit, posologie, durée du traitement et associations médicamenteuses ou respect des contre-indications), on peut aller jusqu'à 90 % de prescriptions non conformes aux standards reconnus par la communauté médicale pour l'antibioprophylaxie. » Quant à l'antibiothérapie curative, les standards manquent dans la plupart des cas et le chiffre de 20 à 50 % relevé par le rapport fait référence aux cas où des recommandations existent.

La réalité des échecs cliniques diluée par les prescriptions injustifiées

En ce qui concerne la résistance du pneumocoque à la pénicilline, elle est retrouvée dans environ 50 % des souches isolées en laboratoire, et donc prélevées soit dans une situation d'échec thérapeutique, soit dans un but de documentation d'une infection particulière par sa présentation ou sa gravité. Ce chiffre ne peut certes être extrapolé automatiquement à l'ensemble des situations cliniques justifiant le recours aux antibiotiques, mais la tendance dont il témoigne en termes d'évolution des résistances aux antibiotiques est une réalité non contestable. Le Pr Schlemmer précise que cette résistance est évaluée, depuis 1999, à partir des données fournies par les observatoires régionaux du pneumocoque. Elles ont été publiées dans le « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » du 14 août 2001. Vingt-cinq laboratoires de CHU, 227 laboratoires de centres hospitaliers généraux et 86 laboratoires de ville ont envoyé toutes leurs souches (16 500 au total) au centre de référence, ce qui couvre 21 des 22 régions françaises (manque la région parisienne). Chez l'adulte, une sensibilité anormale à la pénicilline a été observée pour 40 % des souches (n = 11 500), chez l'enfant, 53 % (n = 5 000). Les chiffres sont encore plus élevés pour les macrolides.
Aux médecins qui opposent à cette réalité microbiologique, non contestable, la réalité clinique de la pratique courante, le Pr Schlemmer fait observer que « plus on traite d'infections virales par les antibiotiques, plus on valorise l'efficacité du traitement et ces prescriptions inutiles diluent les échecs vrais. Par ailleurs, certaines infections bactériennes les plus bénignes peuvent guérir seules  ».
Même si l'impact de la résistance n'est pas encore significatif dans la pratique clinique courante, certains spécialistes observent déjà des échecs thérapeutiques, dans les otites ou les pneumonies par exemple. Ces échecs doivent donner l'alerte et leur existence justifie une réaction rapide et appropriée en termes de promotion d'un meilleur usage des antibiotiques.

Consommation et résistances en France

Consommation totale d'antibiotiques

100 millions environ de prescriptions par an
• 80 % en ville (80 millions).
• 20 % à l'hôpital (20 millions).

Prescriptions en ville et infections virales

De deux tiers à trois quarts des prescriptions sont établies pour des infections ORL et respiratoires d'étiologie majoritairement virale.
• 30 millions de prescriptions (37 %) pour infections respiratoires virales.
• 9 millions de prescriptions (14 %) pour angines
10 millions d'angines par an.
• 9 millions (90 %) sont traités par antibiotiques.
• 2 millions d'angines à streptocoques A justifiant une antibiothérapie.
40 % des rhino-pharyngites (toujours virales) traitées par des antibiotiques.
80 % des bronchites aiguës traitées par des antibiotiques.

Prescription hospitalière

• 40 % des patients hospitalisés reçoivent des antibiotiques en traitement curatif ou en antibioprophylaxie.
• De 20 à 50 % des prescriptions ne correspondent pas aux recommandations en curatif.
• Jusqu'à 90 % des prescriptions pour antibioprophylaxie peuvent être inappropriées.

Résistance bactérienne en France

• 50 % des souches de pneumocoques sont résistantes à la pénicilline.
• Plus de 20 % des Staphylococcus aureus sont résistants à la méticilline.

Drs Lydia ARCHIMÈDE et Guy BENZADON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7048