De notre correspondante
à New York
Le processus de la maladie d'Alzheimer débuterait, pense-t-on, plusieurs décennies avant l'apparition des symptômes. Des facteurs génétiques et environnementaux largement inconnus déclencheraient une cascade d'événements marqués par l'accumulation de plaques bêta-amyloïdes extracellulaires et d'enchevêtrements neurofibrillaires intraneuronaux. Ces changements aboutissent à une perte progressive des synapses dans l'hippocampe et le cortex et, plus tard, des corps cellulaires neuronaux. Finalement, les pertes dépassent les capacités des voies redondantes ou compensatrices dans le circuit cérébral et les symptômes apparaissent.
Des mécanismes inflammatoires pourraient jouer un rôle important dans la cascade pathogénique de la maladie d'Alzheimer. Il existe en effet une activation de la voie classique du complément, une microglie réactive autour des plaques, ainsi que de nombreuses cytokines dans le cerveau des patients concernés. En accord avec ces observations, de nombreuses études épidémiologiques ont suggéré que les traitements anti-inflammatoires, et en particulier les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), retardent ou réduisent le risque de la maladie d'Alzheimer. Toutefois, les études plus récentes ont en grande part été négatives, exception faite d'une étude de Baltimore. Les résultats contradictoires pourraient être expliqués par le court suivi des études négatives. L'étude de Baltimore suggère en effet que l'effet protecteur des AINS ne s'observe que chez ceux qui ont pris des AINS pendant au moins deux ans avant la survenue de la démence.
7 000 habitants de Rotterdam de plus de 55 ans
Stricker (Erasmus Medical Center, Rotterdam, Pays-Bas), in't Veld et coll. ont enrôlé entre 1990 et 1993 près de 7 000 habitants de Rotterdam âgés de plus de 55 ans et sans signe de démence. Les investigateurs ont suivi prospectivement ces participants pendant, en moyenne, sept ans. Ils ont déterminé leur prise d'AINS à partir des enregistrements des pharmacies, une approche considérée comme une des méthodes les plus précises pour classer l'exposition aux médicaments prescrits. Les participants ont été classés en 4 catégories : pas de prise d'AINS ; prise de courte durée (moins d'1 mois de façon cumulée) ; prise de durée intermédiaire (entre 1 mois et 2 ans de façon cumulée) ; prise au long cours (plus de 2 ans de façon cumulée).
Durant le suivi, 293 sujets ont développé une démence par maladie d'Alzheimer, et 101 sujets ont développé une démence vasculaire (n = 54) ou un autre type de démence (n = 45).
Divers ajustements ont été faits : âge, sexe, éducation, tabagisme, prise ou non d'aspirine et autres salicylés, prise d'hypoglycémiants, d'antihypertenseurs et d'antihistaminiques H2.
Comparés aux sujets qui n'en ont pas pris, seuls ceux dont la prise cumulée d'AINS excède 2 ans ont un risque significativement réduit de maladie d'Alzheimer (RR = 0,20 ; IC 95 % : 0,05 à 0,83). Cette réduction n'est pas modifiée par l'âge ou le génotype de l'apolipoprotéine E. De faibles doses d'AINS semblent aussi protectrices. La prise d'AINS n'est pas associée à une réduction du risque de démence vasculaire.
Les risques potentiels
« Des essais de prévention primaire devraient être conduits afin de confirmer ce résultat et d'établir si les bénéfices d'un tel traitement l'emportent sur les risques potentiels », concluent les investigateurs.
« Ces résultats suggèrent l'existence d'une période critique durant laquelle l'exposition aux AINS pourrait protéger contre la maladie d'Alzheimer », notent dans un éditorial les Drs Breitner et Zandi (Johns Hopkins University, Baltimore). « La période semble se terminer environ deux ans avant que la démence puisse être diagnostiquée. » Un essai de prévention primaire a été débuté (http://www.2stopAD.org), précisent les éditorialistes. Cet essai, soutenu par le National Institute on Aging, évaluera la capacité du naproxène (AINS conventionnel), ainsi que du célécoxib (inhibiteur sélectif de la cyclo-oxygénase-2), à prévenir la maladie d'Alzheimer.
« New England Journal of Medicine », 22 novembre 2001, pp. 1515 et 1567.
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