L'évolution constante des connaissances dans le domaine des prothèses de hanche et leur validation ou infirmation par l'expérience clinique conduit la SOFCOT à réévaluer périodiquement ce sujet. Une conférence d'enseignement (Dr Delaunay, Longumeau) refait donc le point sur le sujet de ce qu'il convient d'appeler les couples de frottement (en présence l'un de l'autre) dans les prothèses de hanche actuelles.
Quelques notions anatomiques
Si l'on schématise à l'extrême, une hanche artificielle cherche à mettre en présence de nouvelles surfaces articulaires parfaitement sphériques, susceptibles de s'articuler physiologiquement de façon prolongée. De façon simplifiée, on peut désigner ces surfaces sous l'appellation de « bille » du côté fémoral et de « cupule » du côté pelvien ou cotyloïdien. Le bon fonctionnement de cette bille dans sa cupule dépend, certes, d'une parfaite conformité dimensionnelle (même diamètre sphérique) mais également d'un bon rééquilibrage des muscles et parties molles périarticulaires afin que « l'emboîtement » l'une dans l'autre de ces deux surfaces conserve une stabilité (ou une tenue) comparable à celle de la hanche naturelle normale. La géométrie des surfaces articulaires ne pose évidemment guère de problème puisqu'il s'agit simplement de sphères conformes, de diamètre conventionnellement standardisé (22 mm, 26 mm, 28 mm, 32 mm). Les systèmes proposés doivent cependant être applicables à toutes les situations anatomiques rencontrées, tout en tenant compte des leçons tirées de l'expérience en matière de longévité ou de durabilité de la fonction du couple articulaire proposé. Comme le disait le Pr Charnley, pionnier de cette chirurgie prothétique, « ... ce qui compte n'est pas un résultat spectaculaire immédiat, mais sa pérennisation dans la durée. »
La résolution de ces nombreux impératifs anatomiques par les systèmes prothétiques mis à la disposition des chirurgiens est finalement bien souvent un compromis susceptible de répondre à toutes les situations rencontrées quotidiennement. Pour faciliter l'aboutissement d'un tel compromis, depuis quelques années, un concept de modularité des implants a été introduit, qui permet de « monter » les surfaces articulaires optimales (selon l'opérateur) sur le support fémoral ou pelvien correspondant à la situation squelettique anatomique rencontrée ; ainsi, du côté fémoral, grâce à ce que l'on appelle un cône Morse (système d'emboutissage très solide), on est en mesure de positionner la bille fémorale dans la situation géométrique que l'on veut ; sur le versant pelvien, un support métallique optionnel permet d'optimiser la position et l'orientation du cotyle prothétique auquel la bille viendra faire face.
La problématique de l'usure
La prothèse de hanche réduite à sa plus simple expression, c'est-à-dire à la mise en contact de ses surfaces articulaires (bille-cupule) ne fonctionne, intrinsèquement, qu'au prix inévitable d'un frottement (« friction » des auteurs anglo-saxons).
Ce frottement entraîne au fil des années d'usage prothétique une usure des surfaces articulaires ; elle est certes extrêmement subtile et discrète, mais elle devient cumulative au fil du temps ; dans la mesure où, contrairement à des surfaces biologiques, on ne peut espérer aucun processus naturel de ralentissement et/ou de réparation de ce phénomène, l'usure atteindra un niveau mécaniquement significatif au terme d'un certain nombre d'années.
Une masse impressionnante de recherches a donc été consacrée à réduire cette usure mécanique de l'articulation artificielle.
Cette usure est également préoccupante dans la mesure où elle génère dans le voisinage immédiat de la prothèse des débris qui amènent localement des réactions tissulaires macrophagiques susceptibles de compromettre la fixation prothétique elle-même. On comprend dès lors facilement pourquoi ce phénomène d'usure suscite un tel intérêt, et ce d'autant plus que, même s'il est submillimétrique initialement, il a tendance à s'aggraver au fil des années.
Cette problématique de l'usure fut l'un des tout premiers obstacles résolus dans l'aventure historique prothétique qui commença par la mise en place de surfaces articulaires totalement métalliques sur les deux versants de l'espace articulaire : l'usure entraîna la libération de particules métalliques favorisant la survenue autour de la prothèse d'une impressionnante réaction inflammatoire qualifiée de « métallose » qui, rapidement, compromit le résultat prothétique.
Déjà au stade de la recherche théorique, il apparaît clairement que l'usure millimétrique d'une surface va induire des volumes d'usure d'autant plus réduits que la surface en question est, au départ, réduite. C'est, entre autre, sur la base d'un tel concept, que l'un des tout premiers succès prothétiques de masse, la prothèse de Charnley, adopta un diamètre standard des plus réduit, à 22,22 mm.
En fait, on a plus ou moins vite compris que cette problématique de l'usure était multifactorielle, susceptible d'être influencée, certes, par les paramètres prothétiques (taille des surfaces articulaires, matériaux composant ces surfaces...), mais également par des détails techniques opératoires (éviter de rayer la bille lors de l'implantation, laver soigneusement le champ opératoire pour le débarrasser d'éventuels résidus précédant l'implantation...).
Evolution des couples expérimentés
La technologie industrielle répondant au fur et à mesure (de façon relativement satisfaisante), aux souhaits d'innovation des chirurgiens, l'imagination ne fit jamais défaut pour tenter d'améliorer encore les performances de frottement qui, depuis Charnley, n'étaient pourtant guère critiquables.
Le polyéthylène, pratiquement exclusivement réservé à la cupule, a fait l'objet de nombreuses tentatives d'amélioration, tant dans sa technique de fabrication (densité du processus de polymérisation) que dans sa méthode de travail final (moulage en bloc ou usinage) ou encore dans sa technique de stérilisation (également susceptible d'en modifier les qualités mécaniques).
L'acier inoxydable, bille de référence s'il en est, fit lui-même l'objet de recherches visant, éventuellement, à en améliorer les qualités mécaniques (résistance aux rayures, par exemple...). Les alliages chrome-cobalt furent également retouchés, au fil du temps, dans leur composition, afin de répondre aux attentes de certaines écoles de recherche, afin de réhabiliter les couples de frottement métal-métal, malgré les expériences initiales plutôt décevantes dans ce domaine. Le titane et les alliages de titane ont davantage retenu l'attention au niveau de la tige (ou queue d'ancrage) qu'au niveau du couple de frottement. La céramique s'est révélée d'emblée un matériau prometteur, d'abord pour la fabrication des billes, mais également pour celle des cupules. Il a cependant fallu développer des générations de céramique moins vulnérable à la fracture avant de voir son utilisation s'élargir. Les billes de céramique semblent, à l'usage clinique, mieux résister à l'usure que leurs homologues métalliques. La céramique de référence la plus ancienne est une céramique d'alumine dont les performances et éventuelles limites mécaniques sont à présent bien connues. La céramique de zircone fut par la suite introduite avec des qualités également prometteuses.
Les nouvelles générations de couples de frottement
Il est évident que l'usure, conséquence plus ou moins dérivée du couple de frottement sélectionné, ne représente que l'un des paramètres du choix d'un système prothétique par un opérateur.
Le bien-fondé de la sélection d'un couple de friction ne se trouve confirmé, a posteriori, que si le risque de révision de la prothèse qui le porte est réduit, à long terme. Le meilleur outil statistique d'évaluation de ce risque est ce qu'il est convenu d'appeler la courbe de survie du modèle de prothèse considéré. Du fait que l'une des toutes premières générations de prothèses dignes de ce nom (la prothèse de Charnley) présente un taux de survie à dix ans supérieur à 90 %, chercher a détrôner ce couple de frottement par des taux de survie supérieurs relève d'un pari redoutable. Certes, les exigences d'usage de la prothèse sont de plus en plus importantes de la part des patients, et les simulations en laboratoire (tests tribologiques) semblent donner l'avantage aux nouvelles générations de couples de frottement ; mais seule l'expérience clinique proprement dite est à même de confirmer ou non les espoirs de ces tests de laboratoire.
Parmi les prothèses conservant le polyéthylène sur la cupule, la compétition en matière de couple de frottement se fait essentiellement entre les billes d'acier (ou en alliage chrome-cobalt) et celles de céramique d'alumine (ou de zircone). L'avantage de la céramique n'apparaît clairement confirmé que pour les billes de grande dimension (32 mm) relativement moins utilisées. Pour ce qui est des prothèses cherchant à se passer du polyéthylène dans le couple de frottement, la compétition en présence se fait essentiellement entre le couple bille en céramique - cupule en céramique et le couple bille en alliage métallique - cupule en alliage métallique. Un des facteurs essentiels de succès éventuel de la cupule céramique est l'obtention de son ancrage pelvien satisfaisant. Une des préoccupations non résolue du couple de frottement en alliage métallique est l'éventuel relargage dans l'organisme de certains de ses éléments métalliques, possiblement allergisants.
Un choix finalement délicat
Les promoteurs des différents couples de frottement disponibles sont tous plus convaincants les uns que les autres, ce d'autant qu'un réel effort technologique se poursuit pour encore améliorer les matériaux et limiter les éventuels reproches que l'on pourrait encore leur opposer. La fabrication du polyéthylène continue de faire l'objet de remises en cause industrielles, parfois coûteuses ; les céramiques font l'objet de recherches cherchant à en améliorer les propriétés mécaniques, avec la mise au point de nouvelles céramiques hybrides d'alumine et de zircone. Enfin, les alliages métalliques font l'objet de retouches de composition et/ou de traitements spéciaux (céramisation de surface).
Les connaissances se trouvent donc périodiquement remises en question, ce qui ne facilite pas nécessairement le choix du chirurgien.
Force est donc pour ce dernier de dégager de cette multitude d'expériences une certaine philosophie du fait de l'absence de certitude ou d'exactitude scientifique absolue. La sélection finale, pour un patient donné, d'un couple de frottement plutôt qu'un autre va dépendre, certes, des habitudes du chirurgien, mais également quelque peu de l'espérance de vie et du niveau d'activité envisagé après cette intervention.
Choisir son chirurgien orthopédiste
Il est indiscutable que le choix du matériau du couple de frottement de la prothèse représente volontiers une demande d'information légitime de la part du patient. Le médecin se doit de lui expliquer qu'il s'agira, de toute façon, d'un compromis. Plus que le matériau qui constitue la prothèse, c'est la surveillance périodique de cette dernière après implantation qui importe le plus.
Enfin, comme le dit le Pr Courpied, au nom de la SOFCOT, le patient ou la patiente candidat(e) à une arthroplastie doit fixer son choix sur un chirurgien orthopédiste plutôt que sur les habitudes d'utilisation de matériaux particuliers par un centre chirurgical donné.
Les critères de choix des matériaux l'arthroplastie
Il semble ainsi raisonnable, en présence d'un (ou d'une) futur(e) opéré(e) plutôt âgé(e) (c'est-à-dire à espérance de vie relativement réduite et à niveau d'activité prévisible plutôt faible), de persister à privilégier le couple classique acier-polyéthylène ; en revanche, en présence d'un (ou d'une) candidat(e) jeune à activité normale, voire supérieure à la normale, l'usage des alternatives au polyéthylène (céramique, alliages métalliques) peut se discuter.
Quelques leçons de l'histoire
Le grand décollage de l'histoire des prothèses de hanche a eu lieu il y a presque un demi-siècle, avec l'introduction par le Britannique Charnley d'une prothèse dite à faible frottement (low-friction) combinée à sa fixation au squelette au moyen de ciment. Le chemin accompli d'un seul coup, après l'expérience plutôt malheureuse des premières prothèses métal-métal, donne à cette prothèse le statut de référence. Ses caractéristiques deviennent elle-mêmes des standards : diamètre réduit (22 mm), bille céphalique de métal contre polyéthylène (dur contre souple), fixation au ciment, etc.
Pendant une bonne dizaine d'années, il apparut hasardeux de diverger trop significativement de telles caractéristiques, fortement validées par l'expérience clinique. Certes, le diamètre de la tête, susceptible de luxation en cas de petite taille, encouragea certaines écoles à s'aventurer vers l'usage de billes de plus grande taille (32 mm pour Muller, 28 mm ou 26 mm pour d'autres). Mais le couple de matériaux en présence resta invariable, métal contre polyéthylène.
Au début des années soixante-dix, un chirurgien français (Dr Boutin) prend l'initiative de transgresser ce dogme en expérimentant l'usage d'une bille d'un matériau - la céramique - différent de celui constituant l'essentiel de la pièce fémorale (métal). Le développement concomitant de la modularité, déjà rappelé, en autorisant une solidarisation fiable de la bille articulaire à la pièce fémorale (queue d'ancrage diaphysaire), ouvre une ère nouvelle sur une éventuelle optimisation des matériaux utilisables pour le couple articulaire de frottement. La modularité permet d'analyser de façon prsque indépendanteles paramètres influençant la qualité de tenue dela queue fémorale et les paramètres influençant les performances du frottement (ou du glissement) articulaire proprement dit.
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