De notre correspondante
à New York
L E glioblastome multiforme (encore appelé « gliome malin » ou « astrocytome malin ») est non seulement le cancer du cerveau le plus fréquent, mais c'est aussi le plus mauvais, presque toujours rapidement fatal, répondant médiocrement à la chirurgie, à la radiothérapie et à la chimiothérapie.
Le Dr Matthias Gromeier et son équipe de la Duke University ont développé une nouvelle approche thérapeutique qui pourrait peut-être changer le pronostic de ce terrible cancer. L'idée de cette approche, qui repose sur le poliovirus, leur est venue lorsqu'ils ont découvert que le récepteur cellulaire humain pour le poliovirus, le CD155, est anormalement exprimé sur les cellules tumorales du gliome malin. Ainsi, le poliovirus pourrait cibler naturellement ces tumeurs cérébrales. Il restait à trouver le moyen pour que le poliovirus devienne inoffensif pour les neurones normaux, tout en détruisant les cellules tumorales du gliome malin.
Le Dr Matthias Gromeier explique l'approche et les résultats au « Quotidien ».
Le virus incapable de se répliquer dans des cellules normales
LE QUOTIDIEN - Comment le poliovirus a-t-il été modifié génétiquement ?
Dr MATTHIAS GROMEIER - Nous avons inséré un petit morceau d'information génétique du rhinovirus, le virus responsable du rhume, dans le génome du poliovirus. Du fait de cette altération génétique, le virus chimérique devient incapable de se répliquer dans les cellules neuronales normales, mais se développe très bien dans les cellules tumorales. Ce poliovirus est par conséquent incapable de provoquer la poliomyélite, comme nous l'avons démontré chez le singe.
La seule modification du poliovirus est donc l'insertion d'un fragment génétique du rhinovirus. Quel est cet élément génétique ?
Cet élément génétique est appelé site d'entrée ribosomique interne (ou IRES). Il est crucial pour le contrôle de la translation. Résultat : le virus chimérique ne peut plus exprimer ses gènes dans les cellules neuronales normales.
Sur quelles cellules le CD155, récepteur cellulaire pour le poliovirus, est-il exprimé ?
Nous pensons, sur la base de nos travaux, que cette protéine est exprimée dans le cerveau durant le développement embryonnaire, et qu'elle est exprimée à des taux très faibles après la naissance. Mais les cellules tumorales du gliome malin expriment anormalement cette molécule.
Les tumeurs éliminées en quelques jours
Contre quel type de tumeur cérébrale chez la souris avez-vous testé le virus chimérique ?
Nous avons inoculé chez des souris des cellules humaines du gliome malin (xénogreffes). Les souris ont reçu une seule injection du virus. L'examen pathologique de leur cerveau révèle que les tumeurs sont éliminées en quelques jours par le virus qui se réplique. C'est une thérapie virale oncolytique. Ce n'est pas une thérapie génique, car il n'est pas nécessaire, ici, d'exprimer du matériel génétique étranger pour tuer les cellules tumorales. Le virus s'en charge lui-même.
Existe-t-il une approche similaire ?
Il existe en effet une approche similaire avec le virus herpès, mais c'est très différent car le virus est différent.
Pensez-vous que votre approche soit plus prometteuse ?
Nos études précliniques sont extraordinairement positives. Il est bien sûr très difficile de prédire ce que révéleront les études cliniques. Cette approche repose sur une nouvelle technologie ; nous avons exploité très élégamment des propriétés que possède le poliovirus, et qui sont très utiles pour la thérapie cancéreuse. Ce virus peut se développer très rapidement et tuer une cellule infectée en six à huit heures. Il est très enclin à envahir le système nerveux central et à cibler les cellules tumorales qui sont éloignées du site tumoral principal ; ce qui est important, car un grand problème du traitement du gliome est d'éradiquer toutes les cellules tumorales qui se trouvent dans différentes régions du cerveau. Nous pensons donc que l'aptitude naturelle du poliovirus à provoquer la maladie chez l'homme en fait un agent formidable contre le glioblastome multiforme, meilleur que le virus herpès. Mais il faudra attendre les études cliniques pour voir si cela se révèle exact.
Un à deux ans avant les études cliniques
Quand comptez-vous commencer les études cliniques ?
Le virus est actuellement produit avec les fonds du National Cancer Institute. Il nous faudra conduire de nombreuses autres études d'efficacité et d'innocuité. Nous formulerons une demande d'étude clinique dans un proche avenir, et cela prendra au moins un à deux ans avant d'avoir le feu vert, car c'est un virus vivant.
* 101e Congrès de l'American Society for Microbiology, Orlando, Floride.
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