Poutine ne risque la prison que s'il s'aventure un jour dans les pays qui reconnaissent l'autorité de la CPI. Les procès qu'elle a intentés contre des chefs d'État ou de gouvernement ont rarement abouti à des condamnations. Elles ont néanmoins désigné des coupables et déclenché des changements de régime. La décision de poursuivre le président de la deuxième puissance mondiale ne réclamait ni courage ni audace. La distance qui sépare les magistrats de la CPI de Poutine empêche toute efficacité de ses poursuites.
Mais l'objectif, pour la CPI (et l'ONU) consiste à faire peser sur le dictateur une épée de Damoclès. Il n'est plus libre de ses mouvements, il apparaît enfin pour ce qu'il est (un criminel de haute volée) et sa culpabilité évidente le privera peu à peu de quelques-uns de ses soutiens actuels. Il n'est pas seul ; il est soutenu parfois par des hommes qui eux mêmes sont des cibles que la CPI pourrait juger. Dans un premier temps, il agira selon son humeur, comme à l'accoutumée. Dans un second temps, il sera recouvert de honte. Et son opinion, abreuvée à la propagande russe, commencera à se demander pourquoi le tzar a, dans le monde, la très mauvaise réputation qu'il a acquise.
La décision de la CPI est donc plus politique que judiciaire. Elle annonce très clairement les limites du pouvoir d'un despote. Il se trouve en outre que les atrocités de l'armée russe en Ukraine, notamment les déportations d'enfants, sont bien documentés et que Poutine, qui a voulu cette guerre, ne peut plus ignorer les crimes commis par les soudards russes. Certes, rien ne peut le forcer à en parler ou à les commenter. Il continuera à s'abriter derrière la sémantique mensongère qu'il a choisie. Il donnera continuellement une analyse logique et morale de son intervention. Le procès, en quelque sorte, n'aura pas lieu à La Haye, mais il se déroulera par déclarations et contre-déclarations.
Un argument de poids pour Zelensky
Désigné comme un monstre, il va perdre peu à peu son influence, notamment dans les pays du tiers-monde qui, bien qu'ils aient pris leurs distance avec l'Europe et les États-Unis, sont excédés par une guerre dont ils croyaient, comme nous, qu'elle ne durerait pas. C'est sur le temps long que Poutine est menacé. La CPI, surtout, a apporté à Volodomyr Zelensky un argument exceptionnel. Il n'y a vraiment plus aucune raison de brider les Ukrainiens, de leur interdire de porter les combats sur le sol russe, d'utiliser des armes sophistiquées qui finiraient par leur assurer la victoire. Jamais la nécessité de vaincre Poutine n'est apparue comme aussi indispensable, jamais la perspective d'un compromis avec Moscou qui gèlerait ses acquis en Ukraine ne pourra être acceptée. Le contentieux russo-ukrainien est énorme, le dossier accablant pour Poutine, les excès de la guerre insensés.
L'Ukraine d'aujourd'hui est un abcès de fixation qu'il faut crever. La capacité des Russes à envahir l'Ukraine s'est brisée à Kiev, puis à Bakhmout, que la stratégie d'Evguéni Prigojine, le chef de la milice Wagner, n'a pas encore réussi à conquérir, même si cette ville n'a aucune valeur stratégique. Tout cela montre l'ahurissante détermination de l'armée ukrainienne. Zelensky souhaitait évacuer Bakhmout pour en finir avec le carnage, ses militaires ont préféré continuer à s'y battre. Voilà un refus d'obtempérer des plus admirables, alors que les jeunes Russes menacés par la conscription prennent la poudre d'escampette et partent pour l'Europe occidentale afin d'échapper à la mort. On ne dira jamais assez qu'à la férocité et à la sauvagerie de Moscou, sont opposés le courage bien sûr, mais aussi la certitude des Ukrainiens que ce qui est en jeu, c'est non seulement leur liberté, mais leur droit.