COORDONNÉS par un historien des religions, Michel Meslin, un gynécologue-obstétricien, Alain Proust, et une spécialiste de l’hindouisme, Ysé Tardan-Masquelier, une douzaine d’auteurs, parmi lesquels des historiens, des théologiens, des sociologues, des philosophes ou encore des psychanalystes, résument les traditions religieuses, les sagesses et les conditionnements qu’elles suscitent avant de réfléchir aux liens entre douleur et souffrance. Ils analysent la façon dont ces expériences sont ressenties et entendues aujourd’hui par les individus concernés, la société en général, les soignants, et ce que peut signifier la religion pour chacun dans l’expérience de la souffrance.
Peut-on dire que la douleur fait souffrir ? se demandent au début de l’ouvrage une sage-femme, Isabelle Leguillette, et deux gynécologues, Michèle Lachowsky et Alain Proust, après avoir proposé une instructive et éloquente étude des définitions de la douleur tout au long de l’histoire des idées en médecine. Comment le discours chrétien a-t-il évolué au fil des siècles ? s’interroge Michel Meslin, en soulignant que la souffrance n’a pas donné lieu à de grands débats théologiques comme d’autres sujets, tels que la liberté, la grâce ou la nature divine, et que la rupture de l’Eglise avec le dolorisme est assez récente ; le christianisme d’aujourd’hui promettant désormais à ses fidèles, à travers la foi, non plus «un remède surnaturel à la souffrance» mais plutôt un usage spirituel de leurs souffrances.
Et le Coran, que dit-il de la souffrance ? Michel Dousse, lui aussi historien des religions, aborde cette question dans le livre sacré des musulmans et en Islam, en proposant une approche lexicale de la souffrance. Il note qu’il existe de grandes disparités entre les idiomes hébreu et arabe. Si le lexique hébraïque est vaste pour exprimer au plus juste la souffrance et la douleur, le lexique arabe est beaucoup moins riche dans ce domaine et traite du sujet «dans une sorte d’extériorité objective qui n’accorde guère d’attention au pâti ni au patient, si ce n’est sous la forme de l’endurance et de la patience», explique ce spécialiste des monothéismes abrahamiques. Dans la traduction oecuménique de la Bible, l’auteur trouve près de 200 termes pour dire souffrance ou douleur, aucun dans le Coran, et il attribue le «silence coranique» concernant la thématique de la souffrance pâtie et sa possible sublimation à la non- appropriation par le sujet de sa douleur, comme de son bonheur. Puis il montre en quoi la sublimation shi’ite de la souffrance présente de nombreuses analogies avec certaines formes doloristes de la piété chrétienne mais s’en différencie «parce qu’elles ne s’accomplissent pas idéalement en béatitude des pauvres selon l’idéal évangélique, mais en véhémence eschatologique».
Guérison, salut ou apaisement ?
Les sagesses hindoues, la tradition chinoise, l’analyse bouddhique, le rappel des expériences africaines sont également l’objet de développements tous passionnants pour montrer ce que ces religions ou cultures ont proposé ou proposent comme moyens intellectuels pour surmonter la douleur et la souffrance. Comment elles se posent comme médiatrices entre l’être souffrant et le monde pour réduire l’isolement de cet individu que la douleur et la souffrance rendent étranger à lui-même et aux autres. La référence à l’invisible, expliquent avec beaucoup de finesse Michèle Lachowsky et Jacques Audinet (sociologue et anthropologue), permet de replacer le corps souffrant dans le cosmos, de rompre son isolement avec la communauté humaine. La modernité en revanche «dissocie en autant d’approches fonctionnelles ce qui relève du corps et ce qui relève du psychique ou du spirituel».
Que devient alors l’invocation des dieux ou la mémoire des grands récits dans de telles perspectives ? C’est tout le sujet de la seconde partie de cet ouvrage. Quel modèle, quelles façons de faire la modernité sommes-nous contraints d’inventer pour comprendre la souffrance de l’autre et ce particulièrement lorsqu’on est soignant ? Le père Maurice Bellet évoque le propos d’Ambroise Paré, «je le soignais, Dieu le guérit», dans son texte sur la maladie chronique et la question du sens pour souligner, au-delà d’une certaine impuissance thérapeutique face à des malades incurables, l’importance d’être envers les malades et non plus seulement de faire. Car, paradoxalement, il arrive que la lutte contre la douleur menace autant le soi que la douleur elle-même. C’est même ce qui peut rendre la tâche médicale si délicate : éradiquer ce qui rend étranger à soi-même (la douleur), sans atteindre le sujet dans sa sensibilité et sa conscience.
Autant de questions longuement débattues dans cet ouvrage collectif dont les différents chapitres parviennent à s’articuler de manière remarquablement cohérente les uns avec les autres.
« La quête de guérison - Médecine et religions face à la souffrance », sous la direction de Michel Meslin, Alain Proust, Ysé Tardan-Masquelier, Bayard, 405 pages, 25 euros.
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