La chirurgie assistée par ordinateur, qui se développe depuis quatre à cinq ans, est aujourd'hui reconnue comme un instrument permettant de sécuriser un certain nombre de gestes en chirurgie laparoscopique. L'interface électronique entre l'opérateur et le bras articulé, « l'endo-effecteur », démultiplie l'amplitude du geste et supprime les mouvements aberrants, comme les tremblements. Quant au chirurgien, installé dans une position plus ergonomique, il peut se concentrer sur le champ opératoire, visualisé à l'écran et « à la demande », puisque la caméra répond à une commande vocale.
Dans cette configuration, toutefois, le chirurgien reste à quelques mètres de l'opéré. Or, la chirurgie assistée par ordinateur a presque pour vocation de permettre la chirurgie à distance, avec tout ce qu'autoriserait cette dernière en matière de « partage du geste » avec des chirurgiens plus expérimentés, où qu'ils se situent.
La délocalisation du chirurgien pose toutefois l'énorme problème du délai de transmission des ordres et des images. Un récent article consacré à un essai mené par l'armée américaine concluait qu'il est impossible d'envisager un geste à une distance dépassant 200 miles. Au-delà, des delais de transmission de 500 à 600 ms empêchent le chirurgien d'interpréter son geste en temps réel.
En France, l'IRCAD (Institut de recherche contre les cancers digestifs), à Strasbourg, se penche sur la question depuis quelques années, en collaboration avec l'EITS (European Institute of Tele-Surgery). Parallèlement à l'acquisition d'une expérience du pilotage par ordinateur du robot ZEUS, l'IRCAD-EITS a travaillé avec France Telecom pour résoudre le problème de la rapidité de la transmission. Les gains ont été progressifs.
De 300 à 500 ms entre la commande et le retour image
Le Pr Marescaux rapporte ainsi le premier essai chez l'animal, effectué en septembre 2000. Il s'agissait d'une cholécystectomie chez un cochon, effectuée par un chirurgien opérant en fait à Strasbourg, mais par l'intermédiaire d'un signal transitant par Paris avant de revenir en salle d'opération. L'intervention a duré plus de 5 heures, et s'est révélée des plus difficiles à mener du fait d'un délai encore trop long, de 300 à 500 ms, entre la commande et le retour image.
Ce délai a encore pu être réduit par les ingénieurs de France Telecom, grâce à un gros travail sur la compression-décompression des données et le débit des lignes. Le dispositif a été installé de part et d'autre de l'Atlantique et, en juillet 2001, une expérience de cholécystectomie a été tentée « à distance réelle », sur 6 cochons. L'intervention la plus courte a été effectuée en une vingtaine de minutes. « Le délai était imperceptible à l'œil », souligne le Pr Marescaux, qui indique par ailleurs que la dissection de l'artère pédiculaire et du canal cystique, soit 1 mm d'épaisseur à eux deux, a pu être menée à bien, alors qu'elle n'est pas réalisable à la main.
Le 7 septembre dernier, donc, une intervention a été tentée chez une femme de 68 ans, sous la responsabilité des Prs Joël Leroy, Michel Gagner et Marescaux, ce dernier opérant depuis New York, dans des locaux appartenant à France Telecom, équipés en tout et pour tout de deux micro-ordinateurs, d'une console de manipulation et d'un grand écran. Une ligne transatlantique à haut débit avait été réservée à la transmission des données et une seconde ligne prévue en cas d'interruption de la première. Une équipe chirurgicale se tenait par ailleurs au chevet de la patiente, avec possibilité d'interrompre à tout moment les commandes venues de New York et de reprendre la main.
L'intervention s'est déroulée en 45 minutes
Rien de tel n'a toutefois été nécessaire. L'intervention s'est déroulée en 45 minutes, avec des délais de transmission de l'ordre de 155 ms. La patiente est sortie de l'hôpital 48 heures après l'intervention.
Cette première mondiale semble mettre aujourd'hui n'importe quel bloc opératoire dans le monde à portée d'un chirurgien situé n'importe où ailleurs. Cette situation était encore inimaginable il y a cinq ans. Le travail mené par les Francais, avec une coopération américaine puisque le robot ZEUS est fabriqué par une firme de Santa Barbara, suscite donc un intérêt considérable. L'intervention fera d'ailleurs l'objet d'un rapport le 27 septembre dans « Nature », selon une procédure accélérée, alors que les articles de chirurgie trouvant place dans cette revue se comptent sur les doigts d'une main depuis quelques années.
Une autre équipe plus expérimentée
Le développement de la chirurgie à distance aura sans doute pour première conséquence la mise en place de réseaux interhospitaliers permettant à une équipe de solliciter non seulement l'avis, ce qui se fait déjà, mais aussi l'intervention directe d'une autre équipe plus expérimentée. Pour qualifier cette coopération, le Pr Marescaux parle de « compagnonnage ». Des discussions sont d'ailleurs en cours avec l'université de Standfordt pour monter un tel réseau autour de San Francisco. Autre conséquence, l'entrée virtuelle du chirurgien dans des lieux où il n'accédait pas jusqu'à présent : on peut penser aussi bien au tiers-monde qu'à la station spatiale, le signal devant alors être relayé par un satellite en orbite basse.
En termes d'indications, par ailleurs, seule la cholécystectomie a été tentée jusqu'à présent, mais des indications telles que la chirurgie coronarienne se prêtent parfaitement à l'intervention à distance. Le prix du robot, actuellement de l'ordre du million de dollars, ira en diminuant et ses capacités en augmentant. Il est donc très vraisemblable que cette première opération transatlantique inaugure une nouvelle ère en chirurgie.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature