«JAMAIS une maladie n'a fait peser une telle menace sur l'humanité», affirme à propos de l'infection par le VIH le Pr Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire, en avant-propos du rapport que publie l'institut : « VIH/sida et infections sexuellement transmissibles en France : 10 ans de surveillance (1996-2005) ». Selon lui, aucune maladie n'a eu un tel retentissement social et politique : «Ses modes de transmission et les différentes populations exposées ont mis en lumière nos carences dans le champ de la santé publique et révélé les multiples formes d'exclusion des malades», explique-t-il. Le directeur de l'InVS, structure née de la loi de sécurité
sanitaire pour répondre à la crise de la santé publique révélée par le VIH/sida, explique même que «la prise de conscience générée par le sida dans les années 1990 a forgé la modernité de notre santé publique». Elle est notamment à l'origine des revendications des malades, des citoyens, du monde associatif à être plus informés et à participer davantage à l'élaboration et au suivi des politiques de santé.
Elle a non seulement mis en évidence les carences graves de sécurité sanitaire, en particulier dans la transfusion sanguine – d'où un renforcement indispensable de la sécurité des produits de santé –, mais elle a aussi souligné l'importance des politiques de surveillance sanitaire des populations.
Les premiers outils de surveillance du sida ont été mis en place par le Réseau national de santé publique (Rnsp) créé en 1993 et remplacé en 1998 par l'InVS. «Très vite, il est apparu qu'il ne suffirait pas de surveiller l'expression clinique finale, le sida, mais qu'il fallait dépister tôt, mieux informer, prendre en charge plus vite», poursuit le Pr Brücker.
La surveillance, qui a d'abord concerné le sida, a dû s'intéresser «à la dynamique de l'infection, afin de suivre au plus près et de la manière la plus réactive, voire anticipatrice, les modifications de tendances, afin d'adapter au mieux la prévention aux différents groupes concernés», précise le Dr Jean-Claude Desenclos, responsable des maladies infectieuses à l'InVS. Le décret de mai 1999 a donc inclus dans la liste des maladies à déclaration obligatoire l'infection par le VIH quel que soit le stade et non plus seulement le sida. Là encore se sont posées des questions essentielles sur la protection des fichiers, sur la sécurisation de l'anonymat des personnes, qui ont été résolues en concertation étroite avec les associations de malades. Désormais, «nous sommes dotés du système de surveillance le plus sécurisé», note Gilles Brücker, mais aussi «le plus complexe à gérer».
Pour renforcer les stratégies de prévention, un test qui permet de mesurer le caractère récent ou non de l'infection a été développé par le Centre national de référence. Il est aujourd'hui proposé systématiquement aux patients.
En raison de son mode de propagation essentiellement par transmission sexuelle, l'infection par le VIH/sida a mis en lumière les difficultés à comprendre et à maîtriser les comportements en ce domaine. Les données récentes en faveur d'une reprise importante des comportements à risque dans des milieux incontestablement bien informés même par ceux qui se savent porteurs du virus sont révélatrices de cette difficulté. «L'épidémiologie ne peut être au service d'une idéologie partisane ou moralisatrice. Elle doit être au service de tous, plus particulièrement des plus exposés», souligne le directeur de l'InVS. De ce point de vue, le sida repose les questions fondamentales du rapport entre les libertés et les savoirs. Gilles Brücker cite Michel Foucault qui, bien avant l'irruption du sida, a décrit dans son « Histoire de la sexualité » les contradictions d'une société organisée autour de la répression et comment de cette organisation du pouvoir naissent des points de résistance : «Possibles, nécessaires, improbables, spontanées, sauvages, solitaires, concertées, rampantes, violentes, irréconciliables, promptes à la transaction, intéressées ou sacrificielle.» Grâce à l'émergence de ces résistances, «c'est sans doute bien une révolution de la santé publique que le sida a générée», commente l'épidémiologiste. Révolution qui n'est sans doute pas achevée tant cette maladie souligne l'ampleur des inégalités et des responsabilités du pouvoir face à celles-ci.
Impact des traitements.
Pour ce qui concerne les résultats de la surveillance, ils confirment l'impact des multithérapies introduites il y a tout juste dix ans. Ils sont caractérisés par une baisse spectaculaire du nombre de cas de sida (de 4 000 en 1996 à 1 200 en 2005) et celle des décès liés au sida (de 3 000 à 4 000). Parallèlement, le nombre de personnes vivant avec le VIH en France a progressivement augmenté au cours du temps passant, en une décennie, de 106 000 à 130 000. En 2005, près de 7 000 personnes ont découvert leur séropositivité et ce nombre est stable depuis 2003.
Cette évolution favorable masque des disparités. Un certain nombre de personnes infectées sont encore dépistées tardivement, au stade de sida, sans avoir bénéficié des antirétroviraux : 600 en 2005. Comme l'a déjà souligné le Pr Brücker, l'augmentation des pratiques sexuelles à risque dans la population homosexuelle masculine inquiète. Ces pratiques sont à l'origine, depuis les années 2000, de l'émergence de certaines infections sexuellement transmissibles (syphilis, lymphogranulomatose vénérienne rectale).
L'augmentation du nombre de cas de sida en Afrique subsaharienne entre 1998 et 2002, du fait d'un dépistage tardif, est un sujet d'inquiétude, même si l'évolution récente est meilleure. Cette population reste fortement touchée par la précarité. Elle est à l'origine de la féminisation croissante de l'épidémie.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature