Clairance calculée à 52 ml/min
Après les deux premières grossesses, la pression artérielle est redevenue normale. C'est après la 3e grossesse que la patiente est restée hypertendue et qu'un traitement définitif a été institué. Cette hypertension, selon la patiente, a été bien contrôlée, d'abord par un bêtabloquant, puis plus récemment par un antagoniste calcique (dihydropyridine). La pratique de Cockcroft depuis 2004 par les laboratoires d'analyses médicales amène son médecin traitant à découvrir fortuitement une clairance calculée à 52 ml/min en 2004. La patiente pèse alors 59 kg pour une taille de 1,62 m. Le contrôle ne sera refait que trois ans plus tard et montre une perte de 7 ml/min par rapport à la valeur de la clairance en 2004.
Un bilan plus approfondi est alors demandé par le médecin traitant. Une microalbuminurie des 24 h est dosée à 120 mg (normale < 30 mg), la glycémie à jeun est normale, il n'existe pas de dyslipidémie, le sédiment urinaire ne montre ni hématurie ni leucocyturie. L'échographie rénale montre des reins de contours réguliers dont la taille est de 9,5 cm des deux côtés. Il n'existe pas d'anomalies sur le trajet des voies urinaires. Un Doppler des artères rénales est ensuite réalisé, lequel ne montre aucune lésion vasculaire significative. La patiente n'a jamais fumé.
Prématurée de 1,2 kg
L'évaluation des antécédents familiaux précise que cette femme est la troisième d'une fratrie de cinq enfants, que tous sont en vie. Elle ne possède pas d'informations sur leur santé. Ses parents sont décédés, son père d'un accident vasculaire cérébral à l'âge de 73 ans, sa mère de mort subite à l'âge de 82 ans. La patiente n'a aucun antécédent clinique permettant d'évoquer une maladie rénale dans l'enfance ou à la période initiale de l'âge adulte. Elle précise enfin que sa mère a eu deux grossesses difficiles, notamment la sienne, puisqu'elle est née prématurée avec un poids de 1,2 kg à la naissance, avec peu de chances de survie à l'époque, ajoute-t-elle, selon les témoignages de ses parents.
Commentaire 1
Une hypertension artérielle essentielle qui apparaît au décours d'une hypertension gravidique récidivante est une forme particulière d'hypertension essentielle précoce.
L'hypertension qui apparaît au cours d'une grossesse peut être soit une prééclampsie si elle est associée à une protéinurie souvent massive, soit une prééclampsie surajoutée à une hypertension artérielle chronique antérieure à la grossesse, soit une hypertension essentielle installée qui persiste en dehors des grossesses, soit enfin une hypertension gravidique qui disparaît entre les grossesses. L'absence de protéinurie, de prématurité et/ou de retard de croissance intra-utérin de ses enfants sont les éléments cliniques qui permettent d'exclure une prééclampsie. Cette patiente a donc développé au cours de ses grossesses une hypertension gravidique récidivante, devenue définitive après la 3e grossesse. Jusqu'à il y a encore quelques années, ce type de séquences suggérait une prédisposition génétique à développer une hypertension artérielle « essentielle » à un âge plus ou moins avancé. L'effet « hypertensiogène » de la grossesse n'était pas clairement expliqué. Toutefois, le lien qui existait parfois avec l'hypertension induite par la pilule contraceptive suggérait un rôle possible des hormones de la grossesse à l'origine de cette hypertension gravidique.
Commentaire 2
Une insuffisance rénale d'apparition précoce associée à une microalbuminurie chez une patiente hypertendue évoque un syndrome d'hyperfiltration glomérulaire de réduction néphronique.
Moins de 3 % des femmes âgées de moins de 60 ans ont une insuffisance rénale dans la population générale. Aucun fait clinique ne permet d'évoquer la survenue d'une maladie rénale dans les années antérieures, notamment glomérulaire. Une maladie rénale glomérulaire évolutive a toujours une protéinurie élevée > 1,5 g/24 h. Une microalbuminurie n'est pas un indicateur de progression d'une néphropathie glomérulaire. En revanche, elle traduit une hyperfiltration glomérulaire soit dans le cadre d'un diabète non équilibré, soit dans le cadre d'une obésité importante, soit dans le cadre d'une réduction néphronique congénitale ou acquise. Cette patiente n'est pas diabétique, n'est pas obèse et a une échographie rénale normale qui permet d'exclure une réduction néphronique « anatomique » comme cela se voit dans la néphropathie de reflux (petits reins aux contours externes irréguliers dus aux cicatrices cortico-médullaires).
La physiopathologie de l'hypertension artérielle essentielle prend en compte la régulation anormale de la balance sodique par le rein. Cela explique que le traitement antihypertenseur le plus constamment efficace est le natridiurétique. Il est suggéré aujourd'hui que la capacité à réguler la balance sodique, eu égard à la charge en sel alimentaire, soit directement liée au nombre de glomérules. Des études récentes réalisées sur 56 patients autopsiés montrent que le nombre de glomérules dans cette population, dont le poids de naissance était connu, variait de 230 000 à 1 800 000, soit huit fois plus, chaque kilo de poids de naissance supplémentaire correspondant à un gain de 260 000 glomérules. Lorsque le nombre de glomérules était faible, leur taille était plus grande. Cette très belle étude (Hughson M et coll., Glomerular Number and Size in Autopsy Kidneys : The Relationship to Birth Weight, « Kidney Int », 2003 ; 63 : 2113-22) montre donc pour la première fois une relation entre le poids de naissance et le nombre de glomérules, sorte de « capital néphronique », à la naissance. L'hypertension artérielle essentielle pourrait être la conséquence d'un capital néphronique insuffisant en regard de la consommation alimentaire en sel.
Commentaire 3
Un petit poids de naissance augmente le risque d'une hypertension artérielle et d'une insuffisance rénale précoce.
Notre patiente était une grande prématurée de 1,2 kg qui, à l'épo-que (1945), aurait pu ne pas survivre. Sa réserve néphronique est vraisemblablement faible et explique très vraisemblablement l'hypertension gravidique récidivante suivie après la 3e grossesse d'une hypertension permanente. Une insuffisance rénale chronique (IRC) associée à une microalbuminurie en l'absence de diabète et d'obésité témoignent d'une hyperfiltration glomérulaire par réduction néphronique.
L'existence d'une IRC témoigne qu'au moins 50 % de la population néphronique est détruite. Un capital néphronique de naissance faible entraînera une insuffisance rénale liée au vieillissement plus précoce que lorsque le capital néphronique de naissance est huit fois plus élevé. Ainsi sont expliquées les données des études épidémiologiques démontrant que l'hypertension artérielle essentielle était un risque d'IRC.
La microalbuminurie est un risque cardio-vasculaire par le fait qu'elle est le reflet d'une hypertension artérielle non contrôlée.
Pour ralentir l'évolution vers l'insuffisance rénale terminale de tels patients, nous disposons aujourd'hui de traitements pharmacologiques (IEC, ARAII), qui non seulement contrôlent l'hypertension artérielle, mais ont également un effet « néphroprotecteur » en réduisant l'hyperfiltration glomérulaire dont la microalbuminurie est le reflet. Cette patiente reçoit comme traitement antihypertenseur et néphroprotecteur un ARAII, un antagoniste calcique (non dihydropiridinique) et un natridiurétique, les cibles visées étant < 130/80 mmHg.
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