Glycosurie à la bandelette
M. B. Jean-Pierre, âgé de 55 ans, a un diabète de type 2, découvert il y a trois ans par la médecine du travail. Lors de cette visite, l’examen des urines à la bandelette révèle une glycosurie. Cet homme, marié et père de deux enfants, exerce la profession d’agent commercial dans une entreprise de fabrique de jouets. A ce titre, il sillonne l’Hexagone cinq jours sur sept, et prend les repas du midi et du soir au restaurant. Il ne pratique aucun sport et fume en moyenne 15 cigarettes/jour. Il a une hypertension artérielle traitée depuis trois ans par une association d’un IEC (énalapril 50 mg) et d’un diurétique thiazidique (12,5 mg), 1 comprimé le matin. Il n’a pas d’autres antécédents médicaux notables, notamment familiaux. Après une tentative de contrôle de l’hyperglycémie par des mesures diététiques, un traitement par metformine 850 mg, 1 comprimé trois fois par jour, est introduit. Le traitement est bien toléré, mais le patient avoue qu’il oublie régulièrement la prise du midi.
L’examen clinique est sans particularité, en dehors d’un surpoids (80 kg pour 166 cm, IMC = 29). Il n’existe pas de signes cliniques en faveur d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOM) ou d’une neuropathie périphérique. Il ne décrit pas de douleur thoracique à l’effort. La pression artérielle habituellement retrouvée en consultation est de 145-150 mmHg pour la systolique et de 85-90 mmHg pour la diastolique.
Un bilan cardio-vasculaire a été fait récemment. Le fond de l’oeil est normal. L’ECG d’effort, maximal, est négatif. Les bilans biologiques montrent régulièrement un taux d’HbA1c compris entre 7,3 et 7,8 %, une créatinine sanguine entre 85 et 90 µmol/l, la clairance calculée par la formule de Cockcroft étant de 93 ml/min (poids réel) à 77 ml/min (poids maigre idéal). La fonction rénale est normale (> 60 ml/min) et il n’y a pas de microalbuminurie (8 mg/24 heures). Il existe une dyslipidémie ; cholestérol total : 2,48 g/l, triglycérides : 3,15 g/l, HDL cholestérol : 0,40 g/l, LDL cholestérol : 1,42 g/l.
Commentaire 1
Ce patient a un risque élevé de survenue d’un accident cardio-vasculaire (CV) dans les dix prochaines années.
Le risque CV absolu est le risque à dix ans de mortalité CV (par maladie d’origine coronarienne ou maladie d’origine cardio-vasculaire) ou de survenue d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’un infarctus du myocarde (IDM) non mortel. Ce risque est calculé d’après l’équation de Framingham adaptée à la France. Ainsi, chez ce patient, selon les données cliniques et biologiques actuelles, le risque relatif de survenue dans les dix prochaines années d’un accident mortel par maladie d’origine coronarienne ou par une autre maladie d’origine cardio-vasculaire est sept fois plus élevé que chez un homme de même âge qui ne présente aucun des quatre facteurs de risque identifiés (hypertension, diabète, tabac et dyslipidémie). Le risque de survenue d’une maladie coronarienne non mortelle est 8,6 fois plus élevé, avec un excès de risque de 23 %, et celui d’un AVC non mortel, de sept fois, avec un excès de risque de 7,8 %.
Le niveau de ces différents risques montre que le traitement actuel n’est pas suffisamment efficace, tant en ce qui concerne le contrôle du diabète, dont le taux d’HbA1c illustre l’inefficacité de la metformine et/ou la non-compliance au régime et au traitement, que le contrôle de l’hypertension artérielle, dont les chiffres devraient être inférieurs à 130/80 chez un diabétique.
En juillet 2005, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié les recommandations pour la prise en charge des patients adultes atteints d’hypertension artérielle. Le médecin généraliste qui ne disposerait pas de la méthode de calcul du risque CV absolu peut classer le niveau de risque CV de façon simple à partir des données cliniques et biologiques ( cf. tableau).
Ce tableau montre que notre patient, par le simple fait qu’il est diabétique, a un risque élevé de survenue à dix ans d’un accident CV. De même, la présence d’une atteinte des organes cibles (AOC), telle qu’une microalbuminurie (de 30 à 300 mg/24 h) ou une hypertrophie ventriculaire gauche à l’ECG, crée un risque élevé.
Notre patient n’a pas d’AOC, ni de maladies cardio-vasculaires et rénales [une insuffisance rénale, une protéinurie > 500 mg/24 h, un accident ischémique transitoire (AIT) et un AVC, une insuffisance coronarienne, une artériopathie oblitérante des membres inférieurs].
Commentaire 2
Le projet thérapeutique présenté au patient doit définir les cibles à atteindre pour réduire ou faire disparaître le risque d’accident CV à dix ans.
L’arrêt du tabac réduira le risque relatif de près de 40 %. Ainsi, si le patient parvient à ne plus fumer de façon définitive, la baisse significative du risque surviendra à la fin de la 3e année de sevrage. Par le simple arrêt du tabac, le risque relatif de faire une maladie coronarienne mortelle passe de 7,7 fois à 4,5 fois, et l’excès de risque d’une maladie coronarienne passe de 23 à 14 %, démontrant ainsi le rôle du tabac comme facteur de risque de maladie coronarienne chez un diabétique.
Il faut bien évidemment associer cet arrêt du tabagisme à un contrôle des autres facteurs de risque. Abaisser le taux d’HbA1c en dessous de 7 % ramène l’excès de risque d’une maladie coronarienne de 14 à 9,5 %. Abaisser simultanément le taux de LDL en dessous de 1 g/l, comme le recommande aujourd’hui l’HAS en présence d’un risque élevé d’accident CV, ramène l’excès de risque de 9,5 à 5,4 %. Enfin, chez ce patient diabétique, parvenir à contrôler le niveau de pression artérielle en dessous de 130/80 ramène l’excès de risque à 0,6 %, soit un niveau comparable à celui d’un homme de même âge, normotendu, non diabétique, non fumeur et sans dyslipidémie. Il apparaît donc possible aujourd’hui, grâce à un projet thérapeutique bien conduit et accompagné, de réaliser une prévention primaire efficace de la maladie coronarienne.
Commentaire 3
La prescription thérapeutique doit correspondre aux recommandations de l’evidence-based medecine.
Chez ce patient, le contrôle du diabète passera par des recommandations hygiéno-diététiques et une meilleure compliance au traitement par les biguanides. La réduction des boissons alcoolisées (1 ou 2 verres de vin par repas) réduit la surcharge pondérale, corrige la répartition androïde des graisses, diminue l’hypertriglycéridémie, améliore l’hypertension artérielle. La réduction de la surcharge pondérale et l’augmentation de l’activité physique (trente minutes de marche trois fois par semaine) diminuent l’insulinorésistance et augmentent la sensibilité aux biguanides. Le contrôle strict de la glycémie avec la cible d’un taux d’HbA1c < 7 % permet de réduire le risque de survenue de complications micro- et macrovasculaires. L’utilisation d’un sartan à une dose optimale (300 mg d’irbésartan dans l’étude IRMA2) permet de prévenir la progression de la microalbuminurie dans le diabète de type 2. L’utilisation d’une statine (40 mg/jour de simvastatine dans l’étude HPS ou Heart Protection Study, ou 10 mg/jour d’atorvastatine dans l’étude CARDS ou Collaborative Atorvastatine Diabetes Study) réduit le risque d’événement coronarien majeur ou d’AVC chez un diabétique. Dans les deux études, la cible d’un LDL cholestérol < 1 g/l était atteinte chez 80 % des patients traités. Le contrôle de l’hypertension artérielle chez un diabétique nécessite plusieurs associations d’antihypertenseurs. Une plurithérapie antihypertensive associant un IEC ou un sartan à un diurétique thiazidique (25 mg/j), un inhibiteur calcique ou un bêtabloquant est nécessaire pour atteindre la cible de 130/80 mmHg qui réduit le risque cardio-vasculaire chez un diabétique (étude HOT ou Hypertensive Optimal Treatment Study).
Commentaire 4
Les actions de prévention primaire et secondaire des maladies cardio-vasculaires peuvent bénéficier aujourd’hui de l’aide des réseaux de santé ville-hôpital.
Il ne suffit pas de faire une ordonnance de médicaments actifs pour parvenir à réduire les risques de survenue d’un accident cardio-vasculaire. Il faut que le traitement soit efficace et correctement suivi par le patient. Les professionnels de santé sont invités aujourd’hui à développer des actions de prévention primaire et secondaire en partenariat avec les réseaux de santé. Ce patient avait, depuis la découverte de son diabète, une prise en charge qui associait le contrôle du diabète par la metformine et le contrôle de l’hypertension par une association diurétique-IEC. Bien que cette démarche thérapeutique soit conforme aux données acquises de la science, nous venons de voir qu’elle n’était pas suffisante pour supprimer le risque de survenue à dix ans d’un événement cardio-vasculaire mortel ou non. Il faut aujourd’hui que la démarche thérapeutique pharmacologique s’intègre dans une prise en charge globale de la prévention du risque. Continuer à fumer lorsqu’on est diabétique réduit ou annule la plupart des actions pharmacologiques.
Les actions de prévention peuvent s’organiser, depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, au sein de réseaux de santé ville-hôpital, dont le financement, depuis décembre 2002, provient de l’Ondam. La dotation régionale aux réseaux de santé permet de financer dans chaque région française des réseaux de santé de prévention cardio-vasculaire. La mission première de ces réseaux est de coordonner les actions des professionnels de santé (infirmières, tabacologues, podologues, diététiciens, etc.) qui contribuent au sein d’un réseau à la prise en charge globale du patient.
Il ne suffit pas de conseiller à un patient l’arrêt du tabac pour qu’il arrête de fumer. Il faut prendre le temps de l’informer de façon précise sur les risques qu’il encourt et de lui proposer les moyens de parvenir au sevrage. C’est un temps de formation et d’éducation qui est situé en dehors de la consultation traditionnelle du médecin traitant ou du spécialiste. Si le patient prend la décision d’arrêter de fumer après cette information, il peut être confié à un tabacologue pour une prise en charge active du projet de sevrage. De même, pour optimiser le suivi des règles hygiéno-diététiques et trouver les solutions adaptées au mode de vie professionnel, une diététicienne peut accompagner ce patient pendant quelques mois de façon personnalisée. Une meilleure adhésion au traitement pharmacologique pour optimiser le contrôle de la pression artérielle peut également relever d’un accompagnement par une infirmière avec l’adhésion du patient à l’automesure tensionnelle. Les réseaux de santé proposent donc aujourd’hui aux médecins généralistes ou spécialistes des prestations permettant la réalisation d’un projet thérapeutique adapté aux patients à haut risque de survenue d’événements cardio-vasculaires. Il faudra quelques années pour évaluer les résultats de cette nouvelle organisation des soins. Dans certains pays où la prévention primaire et secondaire a été développée depuis plusieurs années, des résultats significatifs ont été obtenus.
Facteurs de risque (FDR) | PA : 140-159/90-99 | PA : 160-179/100-109 | PA > 180/110 |
0 FDR associé | Risque faible | Risque moyen | Risque élevé |
1 à 2 FDR associés | Risque moyen | Risque moyen | Risque élevé |
> = 3 FDR et (ou) AOC et (ou) diabète | Risque élevé | Risque élevé | Risque élevé |
Maladie CV/rénale | Risque élevé | Risque élevé | Risque élevé |
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature