L’AUTEUR commence par montrer qu’il n’est pas forcément facile de définir ce qu’est une ville, d’autant que la relativité se fait très vite jour : le seuil de l’effectif de la population, considéré comme urbain à partir de 2 000 ou 5 000 habitants, n’empêche pas qu’en Islande on parle de ville à partir de 200 habitants. Au Canada, la taille de l’agglomération doit être au minimum de 1 000 habitants. Les Français prennent en compte la continuité de l’habitat. Ailleurs, la définition sera purement administrative, comme au Pakistan ou en Egypte : on baptise, unit ou sépare car la ville est... déjà là et a installé son affolante conurbation. Aussi les Etats-Unis ne craignent-ils pas la tautologie, qui nomment villes les localités de 2 500 habitants... les plus urbanisées.
En matière de ville, la géographie est évidemment bousculée par l’histoire. Jacques Véron montre que, contrairement à une idée reçue, l’urbanisation est d’abord le contrecoup d’une révolution agricole. Mais, par sa force d’entraînement, la ville facilitera ensuite l’innovation, la diffusion des techniques industrielles et le marché de la main-d’oeuvre.
C’est l’Angleterre qui, en Europe, connaît l’urbanisation la plus précoce, puisque, dès 1850, elle compte 45 % de citadins. La France ne devient majoritairement urbaine qu’au début des années 1950.
Jacques Véron montre en détail que le caractère généralisant du terme « urbanisation » cache les cas particuliers, les histoires mêmes des villes précises. Si Paris compte plus de 3 millions d’habitants en 1900, ce qui la situe au troisième rang mondial, après Londres (6,6 millions) et New York (4,2 millions), le taux d’urbanisation global de la France reste faible : c’est l’ex-fameux « désert français » appliqué à la répartition démographique.
L’histoire globale intervient pour Delhi, elle est dans le mouvement d’une forte urbanisation des villes indiennes au début du siècle, mais les Anglais favorisent son développement au détriment de Calcutta, trop subversive. Inversement, Los Angeles et San Francisco sont prises dans la même histoire, le même essor, la même côte américaine, mais organisent leur espace de façon opposée : décentralisé pour la première, concentré pour la seconde, ce qui induirait aussi des manières différentes de vivre.
Du rapprochement au ghetto.
L’urbanisation accompagne-t-elle nécessairement le développement, en est-elle le signe absolu ou le contrecarre-t-elle ? Au moment où la ville éclate en métropole, mégapole ou mégalopole, beaucoup de penseurs de la ville croient bon d’émettre des signaux désapprobateurs. Ils feront sourire ceux qui considèrent que la ville a depuis bien longtemps gagné la partie : le malheureux qui y connaîtra davantage la solitude et l’anxiété que les charmes de la « foule sentimentale » n’a-t-il pas un jour quitté sa province pour sa ville au loin, sa Désirade ? Jugées responsables de la désertification des campagnes, les villes, et leur scintillement tentateur, recrachent souvent l’isolé, le peu ou mal intégré vers le continuum de « banlieues-paillassons » ou dans d’anonymes zones rurbanisées.
Le père de la sociologie française, Emile Durkheim, voyait un lien entre la densité démographique et ce qu’il nommait curieusement la densité morale. On a tenté ces dernières décennies de définir un « modèle de personnalité urbaine » résultant de l’immersion dans nos pullulantes cités. S’il en ressort que triomphent les relations anonymes, superficielles et éphémères, on découvre aussi une massification des conduites et la création de très nombreux liens liés à la vie de quartier*. La mégalopole fractionne, mais tend à rapprocher des êtres semblables, donc, à accentuer ghettos de riches et de pauvres.
Précisément, ainsi que le marque fortement J. Véron, «la croissance indéfinie de la population urbaine sera très problématique si elle ne va pas de pair, dans les villes, avec un développement économique et social». Nos cités vont devoir répondre à des défis de plus en plus grands, si une gouvernance urbaine de haute qualité ne prévaut pas, pollution, violences et incivilités s’accroîtront. La ville reflète le monde, de ce point de vue les crises dans les villes ne sont pas forcément des crises de LA ville.
Jacques Véron, « l’Urbanisation du monde », coll. « Repères - Economie », La Découverte, 122 pages, 8,50 euros.
* Construites le long des grandes routes, les villes américaines ignorent la plupart du temps la notion de centres-villes, au grand désarroi du touriste européen. Elles y substituent la position sur un axe avec le peu attrayant Downtown.
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