HIPPOCRATE et Aristote connaissaient déjà le phénomène de non-compliance thérapeutique. Ce terme n’a toutefois fait son entrée dans le vocabulaire médical qu’en 1975. Aujourd’hui que les traitements et les recommandations médicales se multiplient, un patient sur deux ne suit pas les prescriptions et les conseils prodigués par les médecins, et cela quelle que soit la gravité de sa maladie. Les professionnels de santé qui proposent des recommandations ont leurs raisons ; ceux qui refusent de les suivre, les leurs ; «le but de cet essai est de montrer comment ces deux rationalités peuvent avoir des chances de se réunir», écrit Gérard Reach, diabétologue (hôpital Avicenne) et professeur d’endocrinologie à la faculté de Bobigny. Car, s’agissant d’observance, la question n’est pas tant de savoir pourquoi les patients (ou nous-mêmes lorsque nous sommes malades) ne suivent pas les recommandations médicales, mais pourquoi ils le font. Pourquoi en effet se soigne-t-on ? Certes, le caractère paradoxal de la non-observance paraît évident chez le sujet atteint d’un glaucome qui va le rendre aveugle s’il ne met pas ses gouttes oculaires et qui, pourtant, ne le fait pas. Mais le caractère paradoxal de l’observance existe lui aussi, pourvu que l’on accepte de l’observer. C’est toute la réflexion proposée par Gérard Reach qui, après avoir montré l’intervention, dans l’adoption des comportements de santé, des croyances, des attitudes, des habitudes, éclaire ces états mentaux à la lumière de la philosophie.
Cet essai de philosophie analytique de l’esprit n’est pas un simple alibi pour donner à la prescription ses lettres de noblesse. Comme le souligne, dans sa préface, Pascal Engel, professeur de philosophie à la Sorbonne, «la philosophie n’a pas à intervenir comme une sagesse ou comme une éthique appliquée; elle est bien plus un instrument d’analyse et de modélisation au même titre que la psychologie et la sociologie de la santé»; c’est bien de cette façon que Gérard Reach la met à profit, évitant ainsi la leçon de sagesse comme la démonstration abstraite.
Du désir au principe de prévoyance.
Le fait de se soigner est la réalisation d’actions, inscrites dans le temps : avant l’action, la ou les raisons, elles-mêmes dépendantes des désirs, des pulsions, des croyances, des connaissances ; après l’action, les conséquences, contingentes. L’observance serait en quelque sorte le refus d’une contingence : le refus de prendre tel ou tel risque, autrement dit le fait de délibérer pour agir dans le respect d’un principe de prévoyance. Comprendre le phénomène d’observance, c’est comprendre le choix entre deux options : obtenir une satisfaction immédiate en fumant une cigarette ou espérer conserver sa santé future en ne le faisant pas. «La non-observance thérapeutique est en quelque sorte due à une impossibilité de se livrer à la nécessaire révision des croyances, des attentes et des préférences qui conduirait à l’acceptation de se soigner», écrit Gérard Reach. Finalement, pour accepter de se soigner, il faut avoir une raison de le faire, autrement dit le désirer, en avoir durablement et profondément l’intention, ce qui implique d’y avoir réfléchi, d’avoir choisi cette option parmi plusieurs autres. Gérard Reach dégage un modèle holistique de l’observance où les émotions représentent une porte d’entrée au même titre que les connaissances ; le médecin peut jouer un rôle décisif dans la prise de décision, dans la manière d’aborder la temporalité, la question du pourquoi et celle du pour quoi. Le choix, pour un patient, de se soigner ou pas, dépend de ses connaissances, de ses compétences, de ses croyances, de ses émotions et de ses désirs. L’éducation thérapeutique, en apportant connaissances et compétences dans une maladie chronique comme le diabète, par exemple, peut donc jouer un rôle décisif. Dans un second temps, c’est l’alliance thérapeutique qui aide le patient à connaître et à faire avec ses véritables moteurs que sont ses émotions et ses désirs, puis à s’engager. D’où l’importance cruciale de la relation de confiance entre le médecin et celui qui accepte d’être patient, souligne le Pr Reach.
Poser la problématique de l’observance dans le contexte de la temporalité revient à aborder cette question du pourquoi (vers quoi) et, avec elle celle de la fameuse volonté, de la persistance dans ses résolutions. La raison pour laquelle on se soigne a un rapport étroit avec la relation au temps, explique l’auteur. Tel Ulysse qui résiste au chant des sirènes, «je me soigne, parce que je veux arriver sain et sauf au terme de mon voyage».
Gérard Reach, « Pourquoi se soigne t-on ? », Editions Le Bord de l’eau, coll. « Clair & Net » (dirigée par Antoine Spire), 271 pages, 18 euros.
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