Q UELQUES heures seulement après les attentats de New York et de Washington, le SAMU de Paris activait la cellule médico-psychologique (CMP) interrégionale de Paris - Ile-de-France.
« Dans un premier temps, notre rôle est surtout de nous mettre à l'écoute des phénomènes psychologiques et psychiatriques qui vont se produire, explique le Dr Didier Cremnniter, responsable de cette unité d'intervention qui compte une quarantaine de médecins, psychologues et infirmières. Il faut repérer en priorité les psychotraumatismes déclarés chez les sujets qui ont été directement au contact des événements : passagers des vols partis vers les Etats-Unis et qui ont été déroutés vers leur aéroport de départ ; Américains et Français dans l'attente de nouvelles de proches qui se trouvaient sur les lieux des drames ; familles qui, le moment venu, vont avoir à participer à l'identification des corps. »
Première phase de sidération
Pour ce spécialiste, la situation est évidemment sans précédent. « D'expérience, poursuit-il, nous savons que toute nouvelle catastrophe nécessite un travail de redécouverte qui lui est spécifique. Mais, en la circonstance, l'éloignement des événements, leur ampleur jamais atteinte dans l'histoire, leur reproduction à travers les écrans de télévision peuvent retentir de diverses manières. Chez les patients psychotiques et les sujets en difficultés psychologiques, passé la phase de sidération qui peut durer quelques jours, on pourra observer le développement de névroses traumatiques. Celles-ci correspondent à un tableau bien connu : revisitance, avec apparition des images dramatiques, troubles du sommeil, cauchemars, réveils accompagnés de malaises (sudation, tremblements, etc.), manifestations phobiques (peur de sortir faire des courses, de rejoindre des lieux très fréquentés), modifications du caractère, troubles de la personnalité, phénomènes dissociatifs d'apparence hystériforme et comportements automatiques : les gens ont l'air de marcher comme des automates, déconnectés, apparemment en roue libre. Des malaises psychosomatiques sont parfois signalés, tels des pertes de cheveux, des troubles de la tension artérielle et même apparition d'une tumeur maligne (cas rapporté chez une hôtesse de l'air à la suite d'une prise d'otage sur un Airbus d'Air France). »
« J'ai revécu le bombardement de Rennes »
Parmi les sujets à risque, les spécialistes s'accordent à mentionner les personnes qui ont déjà vécu des scènes de guerre. C'est la « réminiscence ».« Moi-même, quand j'ai découvert les tours jumelles en flammes à la télévision, raconte le Pr Louis Crocq, à l'origine des cellules médico-psychologiques, j'ai revu les cailloux voler dans la poussière, comme ce 17 juin 1940 où le garçonnet de 12 ans que j'étais a assisté au bombardement de Rennes par les Allemands. Plus de 3 000 morts avaient été relevés des ruines de la capitale bretonne. J'ai revécu cette effroyable journée. »
Cela dit, les anciens ne sont pas forcément les plus démunis. Ils avaient déjà puisé en eux les ressources pour s'en sortir. Tel n'est pas forcément le cas pour les populations les plus jeunes, les plus démunies, selon le même Pr Crocq. Ces enfants réussiront-ils à faire la distinction entre l'univers ludique de films sensationnels comme « Independence day », ou celui des jeux vidéo, et les images de la réalité que rediffusent inlassablement les chaînes de télévision ? Pour le Pr Michel Lejoyeux (hôpital Louis-Mourier de Colombes), ce sont les réactions angoissées des adultes qui leur font immédiatement comprendre qu'ils ne sont pas au cinéma.
Les réactions d'angoisse, précisément, les médecins doivent s'attendre à les observer ces jours-ci chez la plupart de leurs patients, prévient ce psychiatre spécialisé dans les addictions. « Comment pourrait-il en être autrement, interroge-t-il ? Nous avons eu la chance de connaître un long temps de paix. Depuis mardi, nous découvrons des images de guerre, tragiques et traumatisantes, aussi imprévues qu'exceptionnellement graves. Personne n'y était préparé. Nous qui n'avons de cesse de cultiver l'illusoire sentiment de notre invulnérabilité, nous voilà sous le coup d'un processus de déni d'invulnérabilité. Nous sommes plongés dans l'inconnu et l'immaîtrisable. Dans ces conditions, il faut laisser la souffrance retentir et se métaboliser dans notre système psychique. Elle passe d'abord par la catharsis collective des images diffusées par les médias. Elle s'exprime ensuite dans la prise de parole. Personne n'a d'analyse originale des événements à proposer, mais tout le monde éprouve le besoin d'en parler avec ses proches, ses voisins, ses collègues de travail.»
« Dans ces conditions, n'hésite pas à affirmer le Pr Lejoyeux , c'est l'absence d'angoisse qui serait pathologique et nécessiterait d'aller consulter. S'angoisser en effet, c'est manifester son empathie au monde d'une manière on ne peut plus normale. Les médecins doivent l'expliquer à leurs patients et se garder de psychiatriser trop rapidement les symptômes. Les Français ne vont pas être 60 millions à déprimer sous le choc. Gardons-nous donc de prescrire à tour de bras benzodiazépines, anxiolytiques ou antidépresseurs ! »
Somme toute, à son patient qui lui fait part de son angoisse, le médecin se doit de répondre qu'il est aujourd'hui raisonnable d'être anxieux quand nul n'est en mesure de nous rassurer sur ce que demain nous réserve.
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