« L'ombre portée par les événements du 11 septembre, de Toulouse, de Nanterre, a mis en lumière une spécialité jusqu'ici délaissée : la victimologie », assure le Dr Marc Sylvestre. Mais cette « victimologie » d'exception, si elle est médiatisée, n'est pas la plus fréquente. Elle l'est beaucoup moins que celle, « ordinaire », « que nous rencontrons tous les jours dans notre pratique quotidienne, en médecine générale comme en spécialité ».
Aucune étude d'envergure ne permet aujourd'hui, en France, d'évaluer avec précision le nombre de personnes victimes de troubles psychotraumatiques. Les données d'autres pays permettent cependant d'estimer à 7 % de la population générale le nombre de personnes qui pourraient être concernées. Il s'agit, poursuit le Dr Marc Sylvestre, de ce que nous pourrions qualifier d' « épidémie cachée ».
Les situations sont en effet nombreuses : agressions et sévices, violences conjugales ou sociétales, harcèlement moral ou sexuel, accidents naturels ou technologiques. Les adultes comme les enfants ou les personnes âgées sont concernés.
Transgresser l'intimité des patients
La difficulté tient au fait que les troubles peuvent se manifester longtemps après l'événement déclenchant, des mois, voire des années plus tard. Et si la demande se fait, dans la plupart des cas, au cabinet du médecin, il ne perçoit pas toujours le lien entre la plainte somatique (douleur de dos ou de nuque) ou psychique (sentiment de malaise ou de mal-être, troubles anxieux - attaques de panique, agoraphobie, troubles addictifs - ou des conduites alimentaires) et un traumatisme antérieur.
Son rôle dans le dépistage est pourtant stratégique. Pour cela, il est autorisé à transgresser l'intimité des personnes et, par ses questions, amener des patients pudiques à formuler leur malaise.
C'est la première étape d'une prise en charge qui, bien souvent, sera multidisciplinaire, en faisant intervenir des psychologues et des psychiatres, des acteurs du monde social, mais aussi parfois juridico-judiciaire. Le Dr Bernard Lyon (médecin généraliste, Paris) témoigne : « J'ai bien compris qu'il fallait, d'une façon ou d'une autre, améliorer la qualité de vie de mes patients. J'ai considéré que, plutôt que de prescrire, il fallait peut-être commencer par écouter ce que me disent mes patients. Mais cela demande un état d'esprit, une formation et du temps. »
Depuis 1995, les connaissances nécessaires sont dispensées dans les différents diplômes* de victimologie, et, depuis peu, un site Internet** soutenu par l'URML et l'URCAM permet de constituer un réseau qui dispense tous les renseignements utiles aux médecins d'Ile-de-France confrontés à ces difficultés de prise en charge et d'orientation dans leur pratique quotidienne.
« J'ai utilisé ce réseau, informel, et j'ai également adressé les patients vers les organismes qui pouvaient les aider, en fonction de leurs difficultés de vie, matérielles, sociales ou professionnelles », poursuit le Dr Lyon.
Cette journée de sensibilisation devrait aider à une meilleure prise de conscience des problèmes soulevés non seulement par le dépistage et par la prise en charge, mais aussi des aspects déontologiques et juridiques de la discipline : il s'agit, par exemple, d'éviter l'excès de diagnostic en s'aidant de critères d'évaluation clinique. La maltraitance de l'enfant au sein de la famille pose également des problèmes spécifiques.
Une démarche de médecine préventive
La victimologie s'inscrit dans une démarche de médecine préventive qui intéresse tous les médecins, non seulement les généralistes, mais aussi les spécialistes (gynécologues, ophtalmologues, rhumatologues, chirurgiens, etc.). Il s'agit, par une prise en charge précoce, d'éviter les « vies gâchées », avec des patients en rupture qui subissent année après année une dégradation de leur qualité de vie. Les coûts professionnels, sociaux et médicaux peuvent alors être considérables.
* Paris-V, avec le Pr Christian Hervé et la Fédération française de thérapies comportementales.
** www.victimo.fr.
Un devoir d'assistance aux plus faibles et aux blessés
La récente loi française relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé aura des conséquences non seulement pour le patient mais aussi pour le médecin.
Ce dernier est amené à retrouver sa mission première qui ne se réduit pas uniquement au devoir de soigner, mais comporte un devoir d'assistance aux plus faibles et aux blessés. L'approche médicale centrée sur la « personne » exige de la considérer dans son histoire, son vécu, ses attentes, ses rêves, ses possibilités, ses limites, car la maladie interfère avec un projet de vie. Cette approche devrait concerner de manière égale toutes les personnes, que leur demande auprès du médecin soit due à une maladie, ou à une situation de souffrance dont les causes peuvent être à la fois médicales, sociales et juridiques comme cela est le cas pour les personnes victimes d'une agression.
La contribution du corps médical à la notion de personne, qui est en débat à tous les échelons de la société, est essentielle. La réponse à cette question viendra d'une réflexion transdisciplinaire, dans laquelle l'expérience des médecins sera prise en compte. L'apport de la victimologie et ses réponses aux personnes atteintes dans leur intégrité pourraient être importants.
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