PRÉVENIR des comportements délinquants à l’adolescence ou à l’âge adulte, en procédant à un dépistage systématique du trouble des conduites chez les enfants de 3 ans et moins, est-ce éthiquement possible, est-ce tolérable ? La stigmatisation du comportement de jeunes enfants et le risque d’utilisation judiciaire de certaines données médicales ne constituent-ils pas des entorses, qui vont en outre à l’encontre du but recherché ? C’est sur ces questions que le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (Ccne) a été appelé à réfléchir, depuis avril dernier, à la demande du collectif Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans. Il rend public aujourd’hui son avis, alors que le projet de loi de prévention de la délinquance chez les mineurs doit être examiné en seconde lecture par l’Assemblée à partir du 13 février.
Bien avant d’avoir franchi les portes du Parlement, le texte avait soulevé la colère du corps médical – psychiatres et médecins de PMI en tête – et de l’Union nationale des associations de familles et anciens malades mentaux (Unafam). Il lui est reproché de pousser «à désigner des personnes étiquetées comme socialement dangereuses» et donc à «déplacer l’optique médicale vers une optique sécuritaire» (« le Quotidien » du 2 février). Les pouvoirs publics ont en tête de «transformer la psychiatrie en un simple outil d’enfermement, d’exclusion et de contrôle social», estime l’Union syndicale de la psychiatrie au vu du projet de loi actuel. La future législation comporte une mesure de levée obligatoire du secret professionnel, au profit des maires, dans les cas de personnes «présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles», fait remarquer pour sa partPas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans.
Rejeter l’approche sécuritaire.
Tout a commencé avec une expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de septembre 2005, préconisant de repérer le trouble des conduites dès la naissance et jusqu’à 3 ans. Le ministre de l’Intérieur, pour qui «les turbulences graves à l’adolescence» sont le plus souvent précédées par des perturbations durant la petite enfance, voit là un soutien scientifique à son projet de loi. Un an plus tard, le 14 novembre 2006, sous la pression de Pas de zéro de conduite – lancé en janvier de la même année par le Pr Pierre Delion, pédopsychiatre lillois –, l’Inserm fait son mea culpa. Lors d’un colloque, spécialement organisé pour l’occasion, l’institut revient sur les méthodes d’expertise qui l’ont amené à établir une corrélation abusive entre les difficultés psychiques de l’enfant et une évolution vers la délinquance. «Désormais, lorsqu’une expertise aura de fortes implications sociétales, nous demanderons aux professionnels de terrain de nous faire des propositions sur les noms d’experts à consulter. Puis, à l’issue de ce travail, mais avant sa publication, nos interlocuteurs y auront à nouveau accès, afin de ne pas donner l’impression d’un texte détenteur d’une réalité intangible. Il nous faut également rejeter toute approche sécuritaire, en étant d’une vigilance sans faille vis-à-vis des risques de récupération politique», affirme le Pr Jean-Marie Danion, psychiatre strasbourgeois, l’un des conseillers du directeur général de l’Inserm.
Prévention n’est pas prédiction.
Pour Pas de zéro de conduite, qui affirme représenter plus de 200 000 personnes, il faut distinguer la prévention chez un enfant de 3 ans de la prédiction de sa conduite future. «Troubles de conduites entre zéro et trois ans et délinquance plus tard» ne sont pas à mettre «sur le même plan», insiste le Pr Bernard Golse, chef de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker - Enfants-Malades (Paris). En termes de risques, explique au « Quotidien » le Dr François Bourdillon, président de la Société de santé publique, un tout-petit soupçonné d’être un délinquant potentiel «va voir son espace de liberté réduit» et son développement psychomoteur pourra s’en trouver affecté. Il y a aussi un danger thérapeutique, prévient-il, en signalant qu’aux Etats-Unis 8 millions d’enfants hyperactifs sont sous psycholeptiques. En troisième lieu, une instrumentalisation à des fins sécuritaires est à craindre : «Comment, une mère, un père, accepteront-ils de consulter un médecin pour leur enfant en difficulté, si la confidentialité du colloque singulier est susceptible d’être rompue par un secret professionnel éventé, comme l’envisage toujours le projet de loi sur la prévention de la délinquance?»
Autant de mises en garde que le Comité consultatif national d’éthique ne devrait pas manquer de réaffirmer dans son avis.
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