CE N'EST PAS nouveau, le corps médical penche à droite. Le récent sondage réalisé par l'Ifop auprès des médecins libéraux pour « le Quotidien » laisse d'ailleurs présager de la très forte majorité que devraient accorder les praticiens à Nicolas Sarkozy (75 %) contre Ségolène Royal (25 %) (« le Quotidien » du 12 avril). La balance a également de bonnes chances de pencher en faveur du candidat de l'UMP chez les médecins hospitaliers, même si la tendance est moins forte et que, de l'avis d'un responsable syndical, «les hospitaliers sont plutôt de sensibilité de gauche». Quoi qu'il en soit, les médecins n'attendent pas aux mêmes tournants le futur président selon qu'ils exercent une activité libérale ou hospitalière. Leurs positions divergent sur les problématiques de l'accès aux soins, de la permanence des soins ou des revenus. Ces discordances pourraient peser sur les votes le 6 mai.
Mise en lumière par la divulgation d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les dépassements d'honoraires, la question de l'accès aux soins devrait animer le débat de l'entre-deux tours de la présidentielle (« le Quotidien » du 23 avril). Dans ce document « provisoire », l'Igas redoute que la multiplication des dessous-de-table constitue un «obstacle à l'accès aux soins».
Par ailleurs, la récente proposition de Nicolas Sarkozy de mettre en place quatre nouvelles franchises annuelles a suscité des réactions de rejet chez les médecins libéraux. Ces derniers s'inquiètent de l'impact que cette mesure pourrait avoir sur l'accès aux soins chez les patients les plus démunis. D'aucuns redoutent également que la multiplication des franchises n'ait une incidence négative sur la fréquentation de leurs cabinets, tandis que les hôpitaux seraient épargnés par ces mesures. De très nombreux médecins libéraux et hospitaliers figurent parmi les 17 600 signataires de la pétition lancée contre ces franchises par les généralistes écrivains Christian Lehmann et Martin Winkler
(www.appelcontrelafranchise.org). L'accès aux soins est également mis à mal dans certains secteurs géographiques par l'inégale répartition des médecins libéraux. Plus enclins à défendre le service public que leurs confrères libéraux – l'hôpital est leur outil de travail –, les médecins hospitaliers expriment des inquiétudes. Quitte à poser la question des dépassements d'honoraires, parfois facteur d'exclusion : «Il faut assurer partout, à tous les patients, les meilleurs soins», martèle le Dr Pierre Faraggi, syndicaliste, dans une lettre ouverte aux candidats. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal promettent tous deux de mieux faire, sans entrer dans le détail des mesures. Nicolas Sarkozy a en tout cas assuré qu'il ne toucherait pas aux piliers de la médecine libérale. A l'hôpital public, les praticiens pensent pourtant que cette organisation de la médecine de ville, dont les fondements remontent aux années 1970, a vécu. Certains PH n'hésitent pas, par exemple, à réclamer un encadrement de la liberté d'installation. Combler les déserts médicaux, par la contrainte si nécessaire, permettrait aux hôpitaux de se recentrer sur leurs missions, font-ils valoir. Les mêmes médecins hospitaliers – surtout ceux qui n'ont pas d'activité libérale – s'émeuvent des écarts de revenus entre le public et le privé dans certaines spécialités. La convergence entre le salariat et le paiement à l'acte est souhaité par une partie des PH, mais rejeté – du moins dans les discours syndicaux – par les libéraux. Toucher aux sacro-saints piliers de la médecine libérale s'apparente à une déclaration de guerre pour certains syndicats, si bien que les politiques, toutes tendances confondues, hésitent à aborder frontalement le sujet.
Le second tour sera-t-il l'occasion de poser le débat ? Pour le Dr Francis Fellinger, président de CME à l'hôpital d'Haguenau, les esprits ont changé, et le moment est plutôt opportun. «Les points de vue entre médecins libéraux et hospitaliers diffèrent, c'est vrai, sur des sujets comme la permanence des soins –l'hôpital souhaite un partage des contraintes avec la ville–, la liberté d'installation –que les hospitaliers ne veulent plus totale– ou les revenus. Mais ces divergences ne correspondent pas à des clivages partisans. Certains syndicats de médecins libéraux sont d'ailleurs prêts à la discussion.»
Au chapitre des revalorisations, les médecins généralistes attendent un alignement du C sur le CS, proposé par Nicolas Sarkozy alors que Ségolène Royal n'a fait sur le sujet aucune promesse. Le candidat UMP souhaite maintenir le pilier de la rémunération à l'acte auquel sont attachés la majorité des syndicats libéraux et propose d'instaurer de nouveaux espaces de liberté tarifaire encadrée. La candidate socialiste prône la mise en place d'un mode de rémunération mixte avec la création de forfaits qui compléteraient le paiement à l'acte. Ségolène Royal rencontre plus d'écoute chez certains interlocuteurs hospitaliers quand elle propose d'augmenter de 2,5 milliards d'euros supplémentaires le budget des hôpitaux publics et de «remettre à plat la tarification à l'activité».
Un vote non corporatiste.
Sur ces questions budgétaires, médecins libéraux et hospitaliers sont divisés : les médecins de ville reprochent à l'hôpital d'être un gouffre financier opaque. En retour, les hospitaliers digèrent mal les revalorisations tarifaires accordées à certains spécialistes, qui creusent un peu plus le fossé de rémunération entre les deux secteurs.
Quel que soit l'intérêt des médecins pour les programmes socialistes ou UMP, le domaine de la santé ne dictera pas seul le vote des hospitaliers et des libéraux le 6 mai. Certaines organisations de médecins libéraux ont clairement affiché leur préférence pour le représentant de l'UMP. Le président du SML, le Dr Dinorino Cabrera, a souligné que «plusieurs mesures de Nicolas Sarkozy l'avaient emballé». Alliance s'est prononcée pour le candidat UMP, «plus à l'écoute que les socialistes». Pourtant, les syndicats libéraux majoritaires (Csmf, MG-France, FMF) réservent leur pronostic et préfèrent ne pas se prononcer en faveur d'un candidat avant le second tour. Pour l'avenir de l'hôpital, Royal ou Sarkozy ? Peu importe, répondent la plupart des PH. Seul un tiers d'entre eux – d'après une étude TNS-Sofres réalisée en mars – pensent que l'élection d'un nouveau chef d'Etat peut avoir un impact sur le fonctionnement de l'institution hospitalière. Pour nombre d'observateurs, les programmes santé des candidats ne détermineront pas le prochain vote des médecins. «Les médecins vont réagir comme des citoyens lambda, il n'y a pas un vote uniforme du corps médical, explique le Dr Fellinger . C'était vrai il y a dix ans avec les ordonnances Juppé, mais cela a changé. Les clivages politiques existent au sein même du seul secteur hospitalier. Un grand patron de l'AP-HP et un PH d'un petit centre hospitalier n'ont pas forcément la même vision et peut-être voteront-ils différemment.»
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