La génétique arrive en quatrième position dans l'échelle des risques de développer un cancer du sein, les trois premiers étant le sexe féminin, l'âge et le pays dans lequel vit la femme. « On pense rarement à citer ces trois premiers facteurs, observe le Pr Eisinger. Pourtant, un homme porteur d'une mutation délétère a moins de risque de développer un cancer du sein qu'une femme non porteuse de la mutation (mais un risque 50 fois plus élevé qu'un homme sans cette anomalie). De même, l'âge étant un facteur important, l'espérance de vie du pays dans lequel on se trouve est un facteur déterminant. Toutefois, ces trois éléments pris en compte, le facteur génétique devient prépondérant. Et le fait "qu'il y ait des cancers dans la famille" suscite de l'angoisse chez les patients. Il faut les écouter, rectifier les fausses croyances, repondre à leurs questions. Il faut aussi évaluer leur profil de risque et proposer des solutions. Nos consultations sont faites pour cela. »
On estime que, en France, chaque année, 2 000 nouveaux cancers du sein et 200 nouveaux cancers de l'ovaire sont liés à une prédisposition génétique constitutionnelle. De 1 personne sur 300 à 1 personne sur 800 serait porteuse d'une mutation constitutionnelle délétère (MCD) Brca1 ou Brca2. Les femmes porteuses d'une MCD ont entre 40 et 85 % de risque de développer un cancer du sein avant l'âge de 70 ans et entre 10 et 63 % de risque de développer un cancer de l'ovaire. Le risque est bien sûr fonction de l'âge et n'est pas équivalent avec les deux mutations. Le risque d'être atteinte d'un cancer de l'ovaire avant 45 ans est de l'ordre de 10 % en cas de mutation de Brca1 et de moins de 1 % en cas de mutation de Brca2. Concernant le sein, le risque d'être atteinte avant 45 ans est de l'ordre de 25 % pour Brca1 et de 7 % pour Brca2. Enfin le risque annuel de cancer controlatéral d'une femme atteinte d'un cancer du sein se situe entre 3,8 et 6,5 % pour Brca1 et entre 2,1 et 4,2 % pour Brca2.
Informer pour éclairer le choix.
« L'objectif de la consultation d'oncogénétique est d'identifier avec la patiente (ou le patient) son profil de risque, d'estimer s'il est opportun ou non de faire une recherche génétique de mutation et, le cas échéant, de proposer un test à la personne, qui, seule, prendra la décision de pratiquer ou non la recherche, puis d'informer la femme (ou l'homme) sur les moyens de gérer le risque. Notre principale mission est d'informer la patiente et d'ouvrir le dialogue, afin qu'elle puisse faire ses choix », souligne le Pr Eisinger.
A qui s'adresse une telle consultation ? Aux personnes atteintes d'un cancer ou indemnes de toute symptomatologie, présentant un haut risque réel ou supposé de cancer du sein et/ou de l'ovaire. S'il le juge utile, ou si la patiente se pose particulièrement des questions sur son niveau de risque, le gynécologue (ou le généraliste) l'informera de la possibilité de consulter en oncogénétique. « Le niveau supposé de risque et la réalité de la demande de la consultante sont deux critères importants, mais c'est le second qui prime, insiste le Pr Eisinger. Si la patiente est réticente, la consultation doit être différée, cela même s'il s'agit d'une famille à très haut risque. »
« L'histoire personnelle et familiale de la patiente - quelquefois difficile à reconstituer - nous permet d'estimer la probabilité qu'il y ait ou non, derrière l'agrégation de cas familiaux, un mécanisme génétique, explique le Pr Eisinger. Un test de génétique moléculaire peut être proposé à la femme. Trois cancers du sein dans la famille, deux avant 50 ans ou un avant 35 ans, l'association chez un membre de la famille d'un cancer du sein et d'un cancer de l'ovaire, ou un cancer du sein chez un homme sont évocateurs d'une mutation. »
Le résultat du test est donné dans le cadre d'une consultation individuelle. Si la recherche de MCD est négative (cas le plus fréquent), le niveau de rique sera recalculé en fonction de cette donnée. Le résultat permettra de dire si la patiente se rapproche du niveau de risque de la population générale ou de celui des personnes porteuses d'une MCD. Entre les deux, il y a une zone intermédiaire où les décisions seront individualisées. Dans tous les cas, les éléments de la prise en charge ultérieure sont discutés avec la patiente.
Les moyens d'action.
« En théorie, plusieurs outils sont à notre disposition - prévention, dépistage, chirurgie préventive ou traitement du cancer déclaré -, mais tous ne sont pas applicables et n'ont pas la même efficacité ni la même acceptabilité, note le Pr Eisinger. Là encore, il faut bien informer la patiente et lui laisser le choix. Cela est tout particulièrement vrai concernant la chirurgie prophylactique. »
L'importance esthétique, psychologique et symbolique du sein doit être prise en compte dans la décision de recourir à une mammectomie prophylactique. « La demande doit venir de la femme ; elle seule sait le prix que va lui coûter cette opération, cela surtout si elle a déjà eu un cancer du sein opéré. Le rôle du médecin est de lui exposer le plus clairement possible l'efficacité et les limites des différentes méthodes », ajoute le Pr Eisinger.
En cas de MCD, la chirurgie prophylactique du cancer des ovaires est plus facile à proposer une fois le projet d'enfants réalisé, d'une part, parce que la valeur symbolique des ovaires est moins importante que celle des seins et, d'autre part, parce qu'aucune autre option n'est réellement efficace - ni le dépistage, ni la prévention, ni même le traitement. « Il s'agira surtout de discuter l'âge auquel l'ovariectomie avec annexectomie sera faite », estime le Pr Eisinger.
« Evaluer le risque de cancer du sein et/ou de l'ovaire chez une femme est très important pour adapter une stratégie de dépistage et de prévention adaptée ; cela surtout s'il existe des facteurs de risque ou des cas familiaux. Si on ne fait pas cette évaluation précise, on aura de fortes chances d'être soit trop exigeant, soit trop laxiste. Les consultations d'oncogénétique ont été mises en place pour cela », conclut le Pr François Eisinger.
> Dr Denise Caro
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