Exercice médico-légal

Les délinquants sexuels et nous

Publié le 05/12/2007
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Par le Pr JEAN-PIERRE OLIÉ*

LA POPULATION des délinquants sexuels est évidemment hétérogène : d'authentiques malades mentaux, notamment schizophrènes ou déficients intellectuels, expriment leur maladie par un acte de délinquance sexuelle. Plus souvent, l'acte délinquant révèle une personnalité pathologique que certains désigneront perverse : alors la psychiatrie n'a pas grand-chose à proposer, en dehors d'un éventuel soutien psychologique qui ne peut avoir, de son simple fait, valeur thérapeutique. Que dirait-on si l'on voulait traiter un cancer par un accompagnement psychologique sans que le cancérologue guide les décisions ? Il en va de même pour les délinquants : en dehors des cas répondant aux critères (cliniques et évolutifs) d'une pathologie sur laquelle la médecine a déjà fourni les preuves de son efficacité, le magistrat doit rester le décideur, chargé de choisir et de faire appliquer les punitions que la loi a prévues.

En effet, que peut la médecine face aux prédateurs sexuels ? Les techniques comportementales (sur le modèle des cures de dégoût chez l'alcoolique) n'ont pas fait la preuve d'une efficacité. Pas plus les thérapies cognitives ou les actions de psychoéducation.

Pour autant, il ne s'agit pas de renoncer aux actions individuelles ou de groupe telles que celles mises en place par certains psychiatres, à la condition de ne pas ignorer que l'efficacité de ces interventions reste non établie.

Sur le plan pharmacologique, il en va de même : les antagonistes de la testostérone réduisant l'activité sexuelle (surtout utiles en cas d'hypersexualité imposant plusieurs masturbations et éjaculations par jour) et les agents sérotoninergiques supposés contrarier la part obsédante ou impulsive du comportement n'ont pas démontré une grande efficacité en dehors de quelques situations individuelles. Les premiers de ces médicaments (on parle parfois de castration chimique) ont le désavantage d'entraver toute vie sexuelle : cela suppose un renoncement que l'épreuve du temps met à mal dans bien des cas.

Tout le monde s'accorde à considérer que ces situations de délinquance sexuelle nécessitent une prise en charge globale ayant aussi bien recours aux moyens psychologiques que médicamenteux.

Concourir à l'action de l'autorité judiciaire.

En un mot : les psychiatres (et psychologues ou autres soignants) peuvent concourir à l'action que mène l'autorité judiciaire sans prétendre la décharger du cas. Les juges auraient grand tort de croire que la question est réglée par la « passe » au psychiatre !

Un certain nombre d'urgences sont identifiées et connues de nos autorités. A propos de la formation des psychiatres : il faut obtenir la mise en place d'un DESC (diplôme d'études spéciales complémentaires) de psychiatrie médico-légale ouvert aux psychiatres, comme il en existe un pour la pédopsychiatrie. Cela permettra aux psychiatres ayant suivi une formation de travailler dans ce domaine : ce sera un très grand changement.

Et il faut aussi identifier des formations spécifiques pour des psychologues cliniciens et des infirmiers : la réduction du nombre de psychiatres le justifie, d'autant plus que, formés, ces professionnels sauront s'acquitter des missions d'éclairage et d'accompagnement psychologiques dont magistrats et délinquants ont besoin.

Il faut aussi que soient mis en oeuvre des travaux de recherche clinique qui aideront à mieux comprendre les phénomènes sous-tendant les déviances sexuelles et à évaluer les différentes voies thérapeutiques éventuelles, psychologiques ou médicamenteuses. Il est urgent qu'un appel d'offres ciblé ouvre la possibilité de travaux susceptibles de nous faire progresser aussi bien sur le plan épidémiologique que physio- ou psychopathologique, ou encore thérapeutique.

Le système psychiatrique public est un outil sur lequel s'appuyer : tous les pays n'ont pas la même opportunité dont on aurait tort de ne pas profiter.

Gardons-nous, nous, psychiatres, de faire illusion et cherchons donc à connaître mieux avant de nous lancer dans des pratiques aventureuses.

* Faculté de Paris Descartes, chef de service, hôpital Sainte-Anne, Paris, expert national.

OLIE Jean-Pierre

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8272