De notre correspondante
à New York
Les anticorps, que l'on appelle aussi immunoglobulines, sont des protéines sécrétées par des cellules immunes (lymphocytes B). Un concept fondamental en immunologie, ancré depuis un siècle, est que les anticorps ont pour seule fonction de reconnaître les antigènes - des fragments moléculaires présentés par un organisme pathogène étranger - et de les signaler au système immunitaire afin d'attirer sur les lieux de l'infection les systèmes immuns « effecteurs » (comme le complément et les cellules phagocytaires) qui détruiront l'organisme pathogène.
Une équipe du Scripps Research Institute (La Jolla, Californie), dirigée par le Pr Richard Lerner, bouleverse cette notion et démontre maintenant que les anticorps sont aussi capables de détruire directement les bactéries.
Dans une précédente étude, l'équipe avait démontré que n'importe quel anticorps est capable, en présence d'un oxygène moléculaire singulet (O2), d'oxyder l'eau pour produire du peroxyde d'hydrogène (H2O2). L'eau oxygénée, la solution aqueuse de peroxyde d'hydrogène, est bien connue pour ses propriétés oxydante et antiseptique. Les chercheurs montrent maintenant que cette voie d'oxydation de l'eau par les anticorps peut tuer efficacement les bactéries (en l'occurrence, E. coli dans l'étude). « La découverte de l'activité bactéricide des anticorps en présence d'O2 est la première preuve directe qu'ils peuvent détruire leurs cibles antigéniques en l'absence de complément ou de phagocytes », notent les chercheurs.
De l'ozone dans le corps humain
En outre, et c'est peut-être la découverte la plus surprenante des chercheurs, l'activité bactéricide des anticorps nécessite non seulement le peroxyde d'hydrogène mais aussi une autre espèce moléculaire, produite par la voie d'oxydation de l'eau, dont la signature chimique est celle de l'ozone. Cette espèce moléculaire, montrent les chercheurs, est aussi produite dans la peau enflammée du rat, et non dans la peau normale. Ils n'ont pas démontré de façon définitive que ce que les anticorps produisent est l'ozone, mais ils en sont presque sûrs, car aucune autre molécule connue n'a la même signature chimique.
L'ozone est une forme particulièrement réactive d'oxygène qui existe naturellement sous forme de gaz à l'état de trace dans l'atmosphère. On en parle beaucoup, car son absence dans la stratosphère, ou sa présence dans l'air, peut poser un risque de santé publique. La couche d'ozone dans la stratosphère absorbe les rayons UV et protège ainsi la vie sur terre des rayons solaires délétères. L'ozone, un gaz très réactif, est un composant dangereux du smog* durant l'été en milieu urbain et industriel.
Mais l'ozone n'a jamais été détecté en biologie. « C'est une nouvelle molécule en biologie et elle pourrait, par conséquent, avoir des ramifications énormes pour le signal et l'inflammation », commente dans un communiqué le Dr Paul Wentworth, premier auteur de l'étude. L'ozone est très toxique mais sa vie est courte ; deux propriétés idéales pour une molécule effectrice puisque ses dégâts seraient ainsi localisés au site d'inflammation. L'ozone, ajoutent les chercheurs, non seulement tue, mais aussi fonctionne comme un signal pour amplifier la réponse inflammatoire (par la production d'IL6 et de TNF-alpha), autre caractéristique partagée par les effecteurs immuns.
Tous les anticorps ont la capacité de tuer les bactéries, mais, pour cela, ils ont besoin d'un substrat, un oxygène singulet, une forme d'oxygène hautement réactive, excitée électroniquement. L'oxygène singulet se forme spontanément durant les processus métaboliques normaux ou lorsque l'oxygène est soumis à la lumière (visible ou UV) en présence d'un sensibilisateur. Les cellules immunes phagocytaires, comme les polynucléaires neutrophiles actives, produisent aussi l'oxygène singulet parmi leur cocktail d'oxydants puissants. Ainsi, d'après les chercheurs, les polynucléaires neutrophiles activés qui sont recrutés par les anticorps au site d'infection pourraient être une source d'oxygène singulet pour l'activité bactéricide des anticorps.
L'équipe spécule que la fonction originale d'une forme ancienne de l'anticorps, avant l'évolution chez les vertébrés il y a des centaines de millions d'années de la réponse immune humorale médiée par l'anticorps moderne, pourrait avoir été l'élimination de l'oxygène singulet, car cette molécule est capable de détruire n'importe quelle cellule. Plus tard, les anticorps ont conservé leur fonction originale, car elle leur fournissait un peu de létalité supplémentaire.
Des implications cliniques
Cette capacité des anticorps à générer des composés toxiques pourrait les lier à des maladies inflammatoires, comme l'athérosclérose, le lupus, la sclérose en plaques et la polyarthrite rhumatoïde.
De plus, cette recherche ouvre la voie au développement potentiel de nouvelles thérapies médiées par anticorps pour les infections bactériennes et virales ainsi que pour le cancer, selon un communiqué. En outre, une foule de questions se posent, note le Pr Bernard Babior, membre de l'équipe, notamment : « Que fait l'ozone aux protéines et aux acides nucléiques de l'organisme ? Y a-t-il des concentrations létales d'ozone ? »
« Science », 14 novembre 2002, sciencexpress.org
* Smog : anglicisme provenant de la contraction de smoke (fumée) et de fog (brouillard). Le smog est un brouillard épais formé de particules de suie et de gouttes d'eau.
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