1. Le virus et son vecteur
Le virus chikungunya est un arbovirus de la famille des Togaviridae, du genre Alphavirus. La première description, qui remonte à 1952 en Tanzanie, lui a valu son nom qui signifie, en swahili (langue de l'Afrique de l'Est), «celui qui marche courbé en avant». Le virus est transmis à l'homme, en Afrique, par piqûre d' Aedes africanus ou d' Aedes furcifer et, en Asie, par piqûre d' Aedes aegypti ou d' Aedes albopictus, ces derniers étant des moustiques anthropophiles et péridomestiques. L'infection évolue par petites épidémies ou sous forme de cas sporadiques. Dans la majorité des cas, les épidémies surviennent après un pic de précipitations, favorisant la pullulation des vecteurs.
2. Conséquences
•Les conséquences de l'infection chez l'homme.
Après une incubation courte de deux à six jours, la maladie s'exprime typiquement en deux phases successives. Une phase aiguë de cinq à dix jours, caractérisée par l'association simultanée ou successive de signes généraux intenses, d'une polyarthrite incapacitante et de fréquentes manifestations cutanées. Les manifestations générales du chikungunya sont non spécifiques : fièvre élevée, asthénie extrême et douleurs musculaires diffuses. Le malade peut être confiné au lit du fait d'arthralgies inflammatoires ou d'arthrites, le plus souvent bilatérales et symétriques, touchant en quelques jours la plupart des articulations périphériques et le rachis. Une atteinte cutanée est fréquente, de type éruption maculopapuleuse, hyperémie diffuse et oedème de la face et des extrémités. Quelques saignements muqueux transitoires sont possibles à ce stade précoce (conjonctivites, épistaxis, gingivorragies). L'évolution se fait habituellement vers une amélioration rapide, avec disparition de la fièvre en un à dix jours, des signes cutanés en deux à trois jours et des signes articulaires en quelques semaines. Cependant, à la différence des principales arboviroses, l'expression clinique perdure souvent au-delà de cette phase aiguë, avec une symptomatologie polyarthritique pendant quelques semaines à plus d'un an. Cette polyarthrite intense, rebelle et invalidante fait tout l'impact humain et socio-économique lors d'épidémies dont les taux d'attaque ont parfois atteint 80 à 90 % d'une population.
La confirmation diagnostique repose sur la mise en évidence du virus ou sur des arguments sérologiques. En phase aiguë, le diagnostic est moléculaire ou sérologique par recherche d'IgM, apparaissant en moyenne trois à cinq jours après le début du tableau clinique. Le diagnostic moléculaire repose sur la mise en évidence de l'ARN viral par RT-PCR réalisable sur le sang ou un autre type de prélèvement biologique, comme le LCR. En cas d'évolution depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois, il faudra demander une recherche des IgG, apparaissant à partir du 15e jour.
3. Traitement
•Traitement de l'infection par le virus chikungunya.
La prise en charge thérapeutique est exclusivement symptomatique et empirique. Il n'existe toujours pas de traitement antiviral efficace en 2007. Pendant la phase aiguë, qui dure environ sept à quatorze jours, il est sûrement souhaitable de se limiter aux antalgiques et d'éviter si possible les anti-inflammatoires non stéroïdiens, étant donné la possibilité d'une cytolyse hépatique, d'une thrombopénie et parfois de manifestations hémorragiques. Ces traitements n'ont cependant aucun effet préventif sur la survenue d'une évolution chronique. A la phase chronique, on peut utiliser les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Cependant, le recours à la corticothérapie est parfois nécessaire. Exception faite d'une étude ancienne de méthodologie imparfaite suggérant le bénéfice du phosphate de chloroquine sur le rhumatisme chronique, les données expérimentales sur les sels de chloroquine méritent de mettre en place des essais thérapeutiques. Actuellement, deux protocoles thérapeutiques sont en cours à l'île de la Réunion, évaluant l'efficacité de la chloroquine prescrite de manière précoce à la phase virémique et de l'hydroxychloroquine dans les formes articulaires chroniques. Enfin, un vaccin vivant atténué contre le virus chikungunya a été évalué par l'armée américaine. Les résultats retrouvaient une bonne immunogénicité et une tolérance qui semblait acceptable. Ce vaccin non commercialisé est actuellement en phase de requalification.
En l'absence de traitement spécifique, la prévention de cette infection est à la fois collective et individuelle, reposant sur la lutte antivectorielle. Au plan individuel, elle repose sur une prophylaxie d'exposition (vêtements longs, répulsifs cutanés, insecticides pyréthrinoïdes sur les vêtements, moustiquaire). Au plan communautaire, il convient d'organiser une lutte antivectorielle à large échelle, avec épandages précautionneux d'insecticides, d'adulticides et/ou de larvicides, et élimination des gîtes larvaires potentiels, particulièrement en zone péridomestique (pots de fleur, récipients divers, pneus usagés, déchets encombrants…).
4. Enseignements
•Les enseignements de l'épidémie récente dans les îles de l'océan Indien.
La brutalité de l'épidémie récente a révélé la sous-estimation du potentiel du virus chikungunya et l'insuffisance des connaissances sur la maladie. L'analyse de cette épidémie, d'une ampleur inégalée dans une zone médicalement développée, a permis d'apporter des données inédites sur les caractéristiques épidémiologiques, pathogéniques, cliniques et thérapeutiques de cette arbovirose.
4.1. Histoire de l'épidémie dans les îles de l'océan Indien.
Elle a débuté en janvier 2005 aux Comores, puis s'est étendue principalement aux îles Maurice et de la Réunion en mars 2005, avant de sembler s'éteindre au cours de l'hiver austral. Depuis le début de l'année 2006, avec la reprise des précipitations dans cette région, on observe une flambée épidémique de grande ampleur, touchant principalement la Réunion, mais aussi les autres îles de l'océan Indien (Seychelles, Mayotte, Maurice, Inde, Maldives et probablement Madagascar). A la Réunion, après un premier épisode entre mars et juin 2005, l'épidémie de chikungunya avait repris sur l'île en octobre 2005, avant d'atteindre son pic au cours de la semaine du 6 au 12 février 2006. Au total et pour l'ensemble de la période épidémique, on estime qu'environ 266 000 personnes ont présenté, à un moment ou à un autre, une forme clinique de la maladie (pour 780 000 habitants à la Réunion). Une enquête de séroprévalence menée du 16 août au 20 octobre 2006 auprès de 2 442 personnes a montré un taux de séroprévalence de 38,25 % au sein de la population réunionnaise, soit environ 300 000 habitants contaminés. Depuis le mois de juillet 2006, on observe, chaque semaine, un nombre de cas très limité (moins de 20 cas), ce qui correspond à une transmission sporadique.
4.2. Le chikungunya à la Réunion: formes émergentes graves et atypiques.
Réputée comme une affection douloureuse mais bénigne, un certain nombre de formes graves et atypiques de chikungunya ont été enregistrées au cours de l'épidémie. Deux cent quarante-six personnes ont été hospitalisées en réanimation : méningo-encéphalites, syndromes de Guillain-Barré, hépatites aiguës sévères ou fulminantes, atteinte cutanée sévère avec des formes bulleuses extensives, insuffisance rénale sévère, myocardites ou péricardites, décompensation d'états pathologiques antérieurs et une quarantaine de cas de transmissions materno-néonatales avec confirmation biologique ont été retrouvés.
Entre le mois de janvier et le mois de décembre 2006, 254 certificats de décès mentionnant le chikungunya ont été recensés, les trois quarts concernaient des personnes âgées de plus de 70 ans. Il apparaît donc que la mortalité directe est sans doute faible, mais la mortalité indirecte (décès de patients âgés fragilisés par cette infection qui décompensent une pathologie préexistante) reste difficile à connaître. Au total, on a pu estimer que l'excès de mortalité attribué au chikungunya sur l'île de la Réunion pourrait avoir été supérieur à 10 % au cours de l'année 2006 et voisin de 34 % au moment de l'acmé de l'épidémie en février 2006.
4.3. Formes émergentes de la femme enceinte: transmission materno-foetale.
L'éventuelle tératogénicité du chikungunya, assez proche du virus de la rubéole, était crainte, mais il n'y a pas eu de cas rapportés de malformations chez les femmes enceintes infectées. Quelques cas d'infection foetale abortive par le chikungunya ont été responsables d'avortements au cours du deuxième trimestre de la grossesse. A l'instar d'autres arbovirus, il existe aussi des cas documentés de transmission materno-foetale, survenant au moment de l'accouchement, lors du passage dans la filière génitale. Il convient donc d'hospitaliser les femmes enceintes en cas d'infection par le chikungunya survenant à proximité du terme pour évaluer le risque d'accouchement. Cependant, la césarienne ne semble pas avoir une action protectrice vis-à-vis de l'infection de l'enfant, sauf en cas de lésions bulleuses vulvaires chez la mère. En matière d'allaitement maternel et bien que les premières études n'aient pas permis de retrouver le virus dans le lait, il est préconisé, par principe de précaution, pendant la période de virémie, de tirer le lait et de le porter à ébullition ou de le jeter transitoirement.
5. Conclusion
La Réunion et d'autres îles de l'océan Indien ont été récemment confrontées à une épidémie de chikungunya peu connue et habituellement considérée comme bénigne. Avec plus d'un tiers de la population réunionnaise touchée, de nombreuses formes chroniques ou récidivantes, des formes graves parfois mortelles, cette maladie vectorielle a montré un visage plus inquiétant qu'on ne le pensait. Les conséquences ne sont pas uniquement médicales, avec un engorgement du système sanitaire, des polémiques vives relayées dans les médias, une crise sociale et politique ainsi que la perspective d'une crise économique grave avec la baisse du tourisme. Ainsi, une connaissance scientifique minimale de ces arthrites virales exotiques peut éviter des égarements diagnostiques, voire thérapeutiques. Compte tenu du nombre croissant de voyageurs partant vers les zones tropicales et la difficulté du diagnostic clinique, le médecin confronté à des arthralgies fébriles doit être conscient de la nécessité de recourir aux tests sérologiques spécifiques orientés par la connaissance des virus circulants dans les pays visités.
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