SIX ANS après la loi Kouchner sur les droits des malades, les rencontres Dauphine-Santé (1) ont dressé un état des lieux sur «l'information du patient: enjeux éthiques, enjeux économiques?». Il en est ressorti un tableau plutôt en demi-teinte, dans lequel l'information due au patient n'est pas toujours délivrée dans des conditions optimales. Du fait du développement de la judiciarisation, le Pr Emmanuel Hirsch, directeur de l'espace éthique de l'AP-HP, a regretté la tendance actuelle «à protocoliser les choses pour éviter les mises en examen», en faisant signer, par exemple, des formulaires exhaustifs, mais standardisés, ce qui «a perverti l'information au cas par cas». Le Dr François Stéphani, vice-président de la section éthique et déontologie du Conseil national de l'Ordre des médecins, a noté aussi que «les médecins se sentent tellement menacés judiciairement qu'ils pensent parfois à se protéger plus eux-mêmes que le malade. C'est quelque chose d'éthiquement insupportable».
Outre les médecins, les émetteurs d'information en santé sont désormais légion. «Polyphonie ou cacophonie?», s'est interrogé Nicolas Péju, directeur de la communication à la Fédération hospitalière de France (FHF), qui vient d'ouvrir un portail grand public (www.hopital.fr).
L'information au patient est susceptible de modifier son comportement de «patient consommateur» et donc d' «acteuréconomique». Le groupe Médéric a déjà abandonné sa «relation uniquement financière» avec les assurés couverts par ses contrats complémentaires, pour se positionner «dans l'information, le service et la prévention», a précisé le Dr Marcel Garnier, directeur du département Innovation santé de cette institution de prévoyance.
Peu avertis et gros payeurs.
La Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) n'est pas en reste. Pour Thomas Fatome, directeur de cabinet du patron de la CNAM, le patient en France est «très libre dans le système de soins» – le médecin traitant était un «gate-keeper assez soft». Ce proche collaborateur de Frédéric van Roekeghem estime cependant que les patients manquent d'informations dans ce «système devenu très compliqué». A titre d'exemple, «moins de 50% des assurés savent ce que sont les secteursI etII», d'où leur «capacité limitée à comprendre les mécanismes économiques». La Sécu promeut la transparence des tarifs à travers son service téléphonique Infosoins et contrôle le « tact et la mesure » des dépassements de certains praticiens. Thomas Fatome a observé toutefois que ces contrôles se révèlent malaisés dès lors que les patients «associent un prix élevé à la qualité des soins». La CNAM «essaye d'agir» sur le comportement des assurés, via son expérimentation Sophia (accompagnement de 136 000 diabétiques) et surtout sa politique en faveur des médicaments génériques. La subordination du tiers payant à l'acceptation d'un générique a eu «un impact fort sur les comportements» et a «bien marché en termes économiques», a rappelé Thomas Fatome.
Sur le générique, a protesté Christian Lajoux, président du LEEM (Les Entreprises du médicament), «il y a eu clairement détournement du droit», même si «le Parlement a volé au secours de l'UNCAM» (Union nationale des caisses d'assurance-maladie), pour légaliser le dispositif. L'industrie pharmaceutique, a-t-il souligné, «peut et souhaite participer à l'information du patient dans un cadre négocié», à condition que cette information soit «clairement distinguée de la publicité et de la promotion». Dans un contexte où l'Internet est facteur de désinformation, le LEEM a le «souci du bon traitement, bien utilisé par le bon patient», ce qui peut «économiser d'autres coûts de santé».
Christian Saout, président du CISS (collectif de patients et d'usagers) et de la Conférence nationale de santé, a regretté pour sa part que les patients demeurent des «nains politiques» dans un système qu'ils «solvabilisent à 99%», via les prélèvements sociaux, les complémentaires auxquelles ils souscrivent et leurs restes à charge. «Le patient a le droit d'être un acteur économique, mais un peu idiot quand même», faute d'avoir accès à toutes les informations sur l'offre de soins (tarifs, dépassements, qualité…). Afin d'obtenir sa «nécessaire émancipation», Christian Saout a réclamé pour les patients des outils comparables à ceux accordés aux consommateurs dans le domaine de l'environnement («droit d'appel, class action, enquêtes publiques, fiches d'impact»), ainsi qu'une juste «restitution à l'euro près» des données de santé détenues par l'assurance-maladie obligatoire et complémentaire.
(1) Organisées par l'association DESSEIN (Dauphine Economie Santé Social Entente et Idées Nouvelles) et animées par Claude Le Pen, du LEGOS (Laboratoire d'économie et de gestion des organisations de santé).
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