BIEN SUR, cette dyarchie n'est pas innocente : une biologiste pour dire que c'est en se fondant sur un cerveau et un corps inférieurs que la femme fut d'emblée disqualifiée ; la sociologue du travail pour illustrer la relégation sociale qui en découle.
De fait, à l'article « cerveau », les auteurs ont tôt fait de débusquer les confondantes stupidités qui, au XIXe siècle, s'accrochent aux différences de taille et de poids des cerveaux des deux sexes. Des différences, bien sûr, en faveur de l'homme, et dont le Dr Lebon dit que «cette inégalité va en croissant avec la civilisation, en sorte que, du point de vue de la masse du cerveau et par suite de l'intelligence, la femme tend à se différencier de plus en plus de l'homme».
A ceux qui seraient tentés de penser que ces billevesées scientistes d'un autre âge n'ont plus cours, il est montré que le préjugé se déplace subtilement, de nos jours, vers le fonctionnement du cerveau lui-même. Il n'est pas rare de voir expliquer par ce dernier facteur la plus grande appétence des filles pour les matières littéraires et des garçons pour les disciplines scientifiques.
Tout aussi intéressant et convergent est la petite halte au mot « corps ». Scrutant les explications du corps humain dans les encyclopédies pour enfants, les auteurs prennent en compte l'opposition du corps masculin illustré : là, tout n'est que muscles, cerveau et hormones, quand le corps féminin est chair rebondie, passivité et maladresses sur le terrain de jeux. La jeune fille révèle une totale infériorité biologique, elle a bien de la testostérone, mais moins !
Querelles de salle de bains.
Il n'est pas jusqu'à la dégustation d'une pomme qui n'accuse la cruelle différence. Un ouvrage montre que les muscles lisses et passifs, ceux de l'oesophage, interviennent chez la fille, alors que le garçon plie athlétiquement son bras pour porter le fruit à sa bouche.
C'est avec un grand plaisir qu'on parcourt ces tableautins du préjugé, d'autant qu'on y trouve souvent la pointe acérée de la verve et de la subtilité. Tel l'article « clarinette », qui lie de façon inattendue les positions du corps féminin et sa place dans la musique de chambre.
Mais attention au vent de l'histoire, qui peut vite retourner la dénonciation elle-même en ridicule idée reçue, choc en retour figeant certains passages en demi-douzaine de métros en retard. A propos des hommes lambda utilisant aujourd'hui des cosmétiques, on lit qu' «une telle préoccupation continue à être perçue comme bizarre et malsaine», alors que Monsieur rivalise de petits tubes et pots avec Madame…
Ce sont justement les querelles de salle de bains qui symbolisent les « Agacements » évoqués par le livre de Jean-Claude Kaufmann. Ce sociologue très spécial a su jeter l'ancre (et l'encre) sur des situations ou des états d'âme minimalistes : les regards sur la plage ou l'obsession du prince charmant chez certaines femmes. Déjà, en regardant au fond des casseroles ou en faisant le fil à fil du linge, il scrutait le couple.
Revenons dans la salle de bains, elle lui sert à planter un décor qu'illustre sa couverture : un malheureux tube de dentifrice y apparaît dans une convulsive douleur, il a été pressé au milieu par un « pouitcheur ». L'homme sûrement : dans un couple, cela le définit, avec les chaussettes qui traînent et la lunette des toilettes non close… Car un couple, c'est cela, mille petites contrariétés, pouitcheurs contre non-pouitcheurs, ordonnés à l'excès contre vandales détruisant l'appartement mieux que Carthage. S'ensuivent représailles, vengeances mesquines, incompréhension, blocages parfois irréversibles.
Mais tout cela est-il embrayé sur de la sociologie sérieuse méritant que l'on sorte tout un arsenal théorique, comme le fait Jean-Claude Kaufmann ? Reprenons : au début c'est l'amoureux désordre qui règne, «les repas sont des dînettes, les coups de balai sont subvertis par des plaisanteries et cris joyeux», dit l'auteur facétieux. Et puis le couple «se pose» et apparaissent des différences qui souvent renvoient les duettistes à leur vie « avant ». «Je vois, dit une jeune femme, des choses (sortir les poubelles, passer le balai, ranger tel vêtement qui traîne) sans que lui les voie. De fait, son compagnon répond systématiquement “Ça ne me dérange pas”.» Il n'y a pas que la question de l'ordre et du désordre, on songe à cette demoiselle devant supporter difficilement l'attachement de l'homme de sa vie aux cervidés taxidermisés…
Jean-Claude Kaufmann ne tombe pas dans la facilité qui consisterait à dire que ces mille microconflits de la vie quotidienne sont le signe d'un effroyable malaise du couple. Quoi ! Le divorce pour des pouitchages récidivistes ? Pourtant, on ne s'en sortira pas par le sourire. La vie conjugale connaît ses petits drames et l'auteur les rattache à l'éclatement de l'ancienne société où chacun avait ses rôles parfaitement définis dans le couple. «Nous nous trouvons pris au piège d'une injonction contradictoire, opposant besoin de tranquillité et modernité libératrice», dit l'auteur.
Les agacements ne sont-ils pas des invitations, au-delà de leur côté anecdotique, à ce que les couples se réinventent sans cesse ?
« Pour en finir avec la domination masculine de A à Z », Ilana Löwy et Catherine Marry, Ed. Les Empêcheurs de penser en rond », 340 p., 20 euros.
« Agacements », Jean-Claude Kaufmann, Armand Colin, 245 p., 19,90 euros.
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