« A l'origine, raconte le Pr Moriette , il faut citer le nom du Pr Alexandre Minkowski qui, le premier, a commencé à échafauder, dès la fin de la dernière guerre, les bases passionnantes des actions à mener dans l'intérêt des nouveau-nés et de leurs mères. Le premier service a été ouvert par ses soins en 1967 à la maternité. Deux ans auparavant, le Pr Gilbert Huault avait ouvert le premier service de réanimation pédiatrique à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Ce n'était pas un service de néonatalogie, mais de réanimation où seules les pathologies néonatales les plus graves étaient prises en charge. »
Un service de néonatalogie comporte des lits de réanimation, mais aussi de soins intensifs et de pédiatrie néonatale, pour faire face à toutes les pathologies du nouveau-né, des plus graves justifiant une réanimation avec assistance respiratoire, jusqu'aux plus bénignes. Mais l'apparition des techniques de réanimation, et en particulier de l'assistance respiratoire, a été un élément déterminant. « On a commencé à appliquer les mêmes modes de raisonnement physiologique et les mêmes techniques chez le nouveau-né que chez l'adulte ou le grand enfant, pour l'empêcher de mourir de problèmes respiratoires, la cause principale de mortalité néonatale, indique le Pr Moriette . En même temps s'est développée la compréhension physiologique des phénomènes.
« Les problèmes les plus fréquents sont liés à la prématurité, mais il arrive, plus rarement, qu'un enfant à terme ait une pathologie très grave (malformations sévères et curables, problèmes infectieux sévères). La prématurité est la plus grande cause de mortalité et de morbidité des nouveau-nés. »
La périnatalogie (période couvrant la fin de la grossesse et les sept premiers jours de vie de l'enfant) est très étroitement intriquée avec l'obstétrique.
Il est assez facile de schématiser de façon synthétique les grandes étapes de la progression de la périnatalogie et de la néonatalogie.
1) En anténatal
- La régionalisation des soins et le transfert anténatal des mères.
« Il s'agit d'appliquer la notion bien démontrée que le pronostic est meilleur si la femme accouche à l'endroit adapté à son niveau de risque obstétrical et là où l'enfant va être soigné, explique le Pr Moriette . Cette idée, qui date des années soixante-dix, a mis beaucoup de temps à être acceptée en France. La mise en place en région parisienne date des cinq à six dernières années ; bien après certaines régions, comme les pays de la Loire ou la Bourgogne. Les maternités sont divisées en trois types, du type 1, sans structure d'hospitalisation de nouveau-nés, au type 3 où est présente une réanimation néonatale, en passant par le type 2 avec des possibilités d'hospitalisation de l'enfant sans réanimation. » Les maternités des différents types s'organisent en réseaux qui permettent cette gradation de prise en charge. Les décrets de 1998 ont prévu que l'on ne peut avoir de lits de réanimation que s'il existe aussi des lits de soins intensifs et des lits de pédiatrie néonatale.
« De nombreux travaux internationaux ont prouvé que ce type d'organisation améliore le pronostic de la prématurité, autant pour la mortalité que pour la morbidité. »
Les derniers chiffres de l'INSERM ont montré que la prématurité, après avoir diminué jusqu'au début des années quatre-vingt, a augmenté de nouveau en France entre 1995 et 1998, en grande partie en raison des grossesses gémellaires (multiplication du risque de prématurité et de mortalité par un facteur dix).
« Cela n'est pas dû uniquement aux procréations médicalement assistées (FIV et stimulations), mais aussi à l'augmentation de l'âge des mères. Dans certains pays, au cours d'une FIV, on ne met plus en place qu'un seul embryon. Le taux de réussite est moindre, mais avec moins de risques de grande prématurité. »
- La corticothérapie anténatale, qui consiste à donner aux femmes des corticoïdes (bêtaméthasone), en cas de menace d'accouchement prématuré. « La grande prématurité (avant 33 semaines, 1,6 % des naissances sur plus de 700 000 annuelles) est pourvoyeuse de la majorité des maladies respiratoires, notamment la maladie des membranes hyalines. On a prouvé, dès 1972, que l'administration de corticoïdes à la mère après avoir retardé l'accouchement réduit ce risque de plus de la moitié, sans inconvénients pour la mère. Outre les avantages sur le plan respiratoire, précise le Pr Moriette, on sait que ce traitement diminue aussi les complications cérébrales, et notamment les hémorragies intracrâniennes. Le traitement se fait sur 48 heures, délai que permettent de gagner les bêta-mimétiques (tocolytiques). En quelques années, l'utilisation des corticoïdes maternels a augmenté considérablement après un délai dans la mise en application. Au début des années quatre-vingt-dix, les taux d'utilisation étaient encore ridiculement bas. La corticothérapie est donnée maintenant dans 70 % des cas environ. »
Pour témoigner de la qualité d'un système et de l'organisation de soins, le taux de corticoïdes donnés à la mère constitue un élément significatif. De même pour le transfert anténatal des grands prématurés. L'idéal est d'avoir le maximum d'enfants dont les mères ont reçu des corticoïdes anténatals et nés sur place. « A Montréal, exerce une équipe très connue dans ce domaine ; elle rapporte une utilisation des corticoïdes anténatals dans 95 % des indications. »
2) En postnatal, on compte deux catégories de progrès essentiels
- L'utilisation des surfactants exogènes. « L'histoire de ce grand progrès de la néonatalogie a une vingtaine d'années, raconte le Pr Moriette . Les surfactants sont entrés dans la pratique quotidienne en 1990, après que les essais cliniques eurent montré précisément les bénéfices. Le principe est le remplacement du surfactant qui fait défaut par immaturité pulmonaire. Le produit est tout à fait au point. La survie des enfants est améliorée très nettement et les pneumothorax, complications autrefois fréquentes, ont beaucoup diminué.
« Le surfactant est indiqué en traitement curatif, en cas de maladie des membranes hyalines manifeste (définie par un besoin en oxygène de 40 % ou plus et des signes radiologiques). Mais il peut être aussi donné à titre prophylactique. Beaucoup d'équipes l'utilisent chez les enfants les plus prématurés et dont les mères n'ont pas reçu de corticoïdes, sans attendre les signes de maladie des membranes hyalines. Le problème est qu'il n'a pas d'AMM en prophylaxie (une ampoule revient à 5 000 F et le traitement coûte entre 5 000 et 10 000 F). »
- Les techniques d'assistance respiratoire. « Le progrès a évolué en continu depuis les débuts de la réanimation, par une meilleure compréhension physiopathologique, d'abord, et une amélioration considérable des ventilateurs, ensuite. C'est en 1965 que le Pr Huault a commencé à utiliser la ventilation mécanique chez les bébés, après intubation trachéale. La pression expiratoire positive a constitué un progrès important (1971), de même que la technique d'oscillation à haute fréquence, qui n'a cependant pas révolutionné la réanimation néonatale, contrairement à ce qu'on a pu en attendre (Cf. encadré) . »
« En ventilation mécanique, souligne le Pr Moriette, un autre progrès a été constitué il y a une dizaine d'années par l'apparition des machines à déclenchement par l'effort respiratoire. Cela a permis de diminuer les doses de calmants administrés pour faciliter la ventilation artificielle. » Les appareils doivent être suffisamment sensibles pour détecter le début de l'inspiration (un bébé de 1 kg a un volume courant de 5 ml ; l'appareil doit donc se mobiliser dès le premier demi-millilitre), sans être trop sensibles pour ne pas se déclencher aux mouvements de l'enfant.
« Les années récentes ont été marquées par le regain d'intérêt pour les méthodes d'assistance en pression expiratoire positive (PEP) par voie nasale. Elles existaient dans les années soixante-dix, mais les systèmes sont devenus beaucoup plus performants. Un autre progrès est venu de l'idée d'associer cette technique au surfactant. Sous l'influence des Suédois, une tendance actuelle est de laisser les enfants intubés le moins longtemps possible. On extube dès que le surfactant a été administré et on met l'enfant en PEP. »
Propos recueillis auprès du Pr Guy Moriette, chef du service de médecine néonatale de l'hôpital Port-Royal, Paris.
Des progrès coûteux
Les progrès de la néonatalogie sont indiscutables. Mais des questions se posent sur la capacité que l'on aura à les poursuivre et à les faire entrer dans la pratique courante. « Les médecins, indique le Pr Moriette, sont de moins en moins nombreux à embrasser la spécialité, tout comme les obstétriciens et les anesthésistes. Et il reste des inconnues sur les moyens dont vont disposer les hôpitaux public pour les appliquer. Les coûts sont très élevés par rapport au budget dont ils disposent. La PEP nasale, par exemple, est très onéreuse (les embouts jetables en particulier, qui sont à usage unique). L'Agence régionale a décidé de fermer des services, sans proposer de solutions de remplacement satisfaisantes. A Port-Royal, la demande est très grande, et on ne peut garder les enfants dès qu'ils commencent à aller bien après la réanimation. »
Les limites de la viabilité
La limite inférieure de « viabilité » du ftus varie selon les pays et les efforts de réanimation. « En France, explique le Pr Moriette, un consensus est établi pour soigner les enfants à partir de 24 semaines. A 24 et 25 semaines, ce qui correspond à des enfants d'un poids qui varie entre 500 et 700 g, il demeure une mortalité élevée et un risque important de séquelles. Grossièrement, à 25 semaines, la mortalité est de 50 % et les problèmes ultérieurs concernent entre le tiers et la moitié des cas. Mais il est extrêmement difficile de fixer un seuil rigoureux en deçà duquel on n'entreprend pas de traitement intensif. Les données statistiques et épidémiologiques sont précieuses comme repères, mais elles ne permettent pas une prise en charge optimale des individus : celui-ci, juste en deçà du seuil « autorisant » le traitement, a peut-être un bien meilleur pronostic en cas de survie que celui-là, bien au-delà de ce seuil (plus mature, plus gros), mais qui présente dès la première évaluation postnatale des lésions cérébrales. On ne peut que raisonner pour chaque individu, en fonction de "repères" de terme et de poids mais aussi de la pathologie qu'il présente, et en tenant compte des parents. »
L'oscillation à haute fréquence : une assistance respiratoire particulière
Les appareils conventionnels, chez un adulte comme chez un nouveau-né, ont été conçus pour s'efforcer d'imiter la fréquence de la respiration spontanée.
L'oscillateur à haute fréquence est un appareil qui crée une variation de pression sur un tube trachéal mais à une fréquence beaucoup plus élevée que la normale, de l'ordre de 900/mn (un bébé respire à la fréquence de 60/mn), en générant comme une vibration de la colonne d'air. On avait espéré une réduction des complications de la ventilation mécanique, comme la dysplasie broncho-pulmonaire et les pneumothorax, mais il est apparu que la place actuelle de l'oscillateur est de venir en secours quand les techniques conventionnelles sont en train d'échouer. Dans les maladies respiratoires qui n'évoluent pas bien sous respiration conventionnelle, lorsque, par exemple, il est nécessaire d'utiliser beaucoup de pression, on sait que l'on risque d'abîmer le poumon et d'augmenter le risque d'évolution prolongée de la maladie respiratoire. Cela s'oppose à une notion que l'on avait il y a quelques années. « Au début des années quatre-vingt-dix, on pensait mettre systématiquement les grands prématurés sous oscillation. Mais il existe peut-être un accroissement du risque de complications cérébrales. Dans le doute, on garde cette technique pour les problèmes difficilement gérables. Cela donne un meilleur effet sur les problèmes d'hypercapnie et sur les gaz du sang. Mais l'important n'est pas tant l'amélioration des paramètres sanguins que la survie avec les meilleures chances. »
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