Quels vont être les grands axes des débats sur l'antibiorésistance ?
Le Pr HENRI PORTIER
Nous n'avons pas dérogé à la règle établie pour les précédentes rencontres Santé-Société-Entreprise. Ce colloque se divise en trois temps. La première table ronde est consacrée à la compréhension du phénomène d'antibiorésistance, la deuxième doit analyser les cibles et les actions possibles pour le combattre et la troisième devra, à partir d'exemples de campagneS d'information mises en place en Belgique et au Canada, proposer des stratégies pour tenter d'agir sur les comportements des professionnels de santé et du grand public.
Il existe deux niveaux de résistance, le niveau hôpital et le niveau ville, où les résistances existent et augmentent très régulièrement, presque parallèlement à la consommation d'antibiotiques, bien que ce ne soit pas le seul facteur en cause. Elle concerne essentiellement Escherichia coli, le pneumocoque et Haemophilus influenza. La résistance des pneumocoques aux macrolides, qui a commencé dans les années soixante-dix, atteint aujourd'hui un taux de 30 à 40 % et celle aux bêtalactamines, qui n'était que de 2 à 3 % dans les années quatre-vingt, s'élève à environ 60 %. En ville toujours, de 10 à 15 % des colibacilles résistent à l'association amoxicilline-acide clavulanique. Et ces trois dernières années, on a vu apparaître une résistance des colibacilles aux quinolones, qui reste néanmoins de faible niveau, de 3 à 5 %.
A l'hôpital, ces trois bactéries sont concernées, puisque les patients sont hospitalisés avec leur flore de ville ; mais dans le strict cadre des infections nosocomiales, les germes plus résistants sont le staphylocoque, les entérobactéries et le pseudomonas. Depuis peu, on sait que des staphylocoques sont résistants à la vancomycine, comme, de façon inquiétante, certaines souches d'entérocoques. Enfin, certains pyocyaniques résistent à tout.
L'intérêt des tests de diagnostic rapide
Vous êtes le coordinateur de la campagne Test d'angine, expérience pilote menée en Bourgogne, qui a évalué l'utilisation du test de diagnostic rapide de streptocoque. Qu'en est-il de la faisabilité de ce test ? Les tests de diagnostic rapide (TDR) du streptocoque existent depuis le milieu des années quatre-vingt, mais les derniers ont acquis une spécificité et une sensibilité nettement meilleures que les premières générations.
Huit cents médecins ont participé à cette expérience. L'impact sur la consommation d'antibiotiques est important puisqu'ils n'ont été prescrits que dans 41 % des cas d'angine, alors qu'en France de 85 à 90 % des angines diagnostiquées sont traitées par antibiothérapie. Dans la pathologie « angine », la réduction de la prescription est donc de plus de la moitié. De plus, les patients ont adhéré à cette stratégie : 3 400 questionnaires sur 4 000 délivrés ont été retournés, soit un taux de réponse de 87 %. Leur analyse montre que le test est « supportable » dans 96 % des cas ; à 95 %, les patients acceptent l'idée d'avoir un nouveau test et 78 % d'entre eux ont compris que celui-ci permettait de faire la différence entre angine virale et angine bactérienne à streptocoque devant être traitée par antibiothérapie.
L'utilisation du test devrait être prochainement généralisée à l'ensemble du territoire.
Plusieurs stratégies peuvent concourir à une diminution de la résistance des bactéries aux antibiotiques. On l'a vu, l'amélioration du diagnostic diminue la prescription des antibiotiques. Mais la consommation d'antibiotiques n'est en effet pas le seul facteur en cause dans l'antibiorésistance. D'autres, comme le respect de la durée de la prescription, de la bonne posologie, des bons rythmes d'administration contribuent au bon usage des antibiotiques. La mise à disposition de vaccins, le vaccin contre l'haemophilus ou contre le pneumocoque, diminue de fait l'incidence des maladies. Enfin, des campagnes d'information auprès des professionnels de santé et du grand public sont nécessaires. Elles sont menées avec succès au Canada et en Belgique. En France, une campagne « Antibios quand il faut », présentée par le Pr Pierre Dellamonica (Nice), se met en place. Nous devons insister sur les messages clés : toutes les fièvres ne sont pas infectieuses, toutes les infections ne sont pas bactériennes, toutes les infections bactériennes ne méritent pas forcément des antibiotiques sophistiqués.
La stabilisation de la résistance est un objectif très légitime qui ne sera pas atteint avant trois ou quatre ans. Et puis il faudra attendre. Les bactéries réapprennent à vivre dans un environnement moins imprégné d'antibiotiques, certains mécanismes de résistance sont faciles à perdre, d'autres mettent plus de temps.
Des médecins référents en antibiothérapie à l'hôpital
Le « plan national pour préserver l'efficacité des antibiotiques » lancé par Bernard Kouchner (« le Quotidien » du 21 novembre) comporte quatre axes, explique l'un des trois médecins auteurs du rapport qui l'a inspiré, le Pr Benoît Schlemmer (Paris).
- Une politique de rationalisation de l'utilisation des antibiotiques sera mise en place, assortie d'une campagne de sensibilisation des professionnels de santé et du grand public.
- Des actions seront menées en faveur d'une amélioration de l'utilisation des antibiotiques en médecine de ville avec essentiellement la diffusion de messages et d'outils aidant les médecins à ne pas prescrire d'antibiotiques.
- Des actions seront également menées pour améliorer la prescription hospitalière : création d'une « commission antibiotiques » dans les établissements hospitaliers, notamment pour élaborer des référentiels locaux des antibiotiques ; et des médecins référents en antibiothérapie seront chargés d'une fonction transversale de conseil en antibiothérapie.
- Enfin, la formation initiale et continue sera développée.
L'ensemble de ces actions fera l'objet d'un suivi.
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