En France, la différence d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre supérieur est en moyenne de six ans, un écart encore plus important si l’on considère l’espérance de vie en bonne santé. Les personnes handicapées sont trois fois plus hospitalisées que les valides et ont plus de difficultés que les autres à bénéficier de soins courants (soins bucco-dentaires, gynécologie, ophtalmologie, orthodontie). Les inégalités sociales de santé (ISS) tout comme les inégalités liées au handicap sont des défis majeurs pour les soignants. Les premières étaient au cœur d’un colloque organisé par MG France. À l’occasion de la remise du rapport Jacob sur l’accès aux soins des personnes handicapées, le gouvernement a promis des mesures dès cet automne.
C’EST LA PAROLE d’un enfant handicapé à un médecin : « Ta peur me fait peur ». Celle d’une mère qui récupère son fils après une hospitalisation : « Vous me l’avez rendu sans le mode d’emploi ». Ces propos, rapportés par Adrien Jousserandot, co-auteur du rapport sur l’accès aux soins des personnes handicapées, témoignent de la peur qui entoure le handicap. Une peur où la dignité et le respect s’estompent. « Dans un autre service d’urologie que celui de Garches, les soignants étaient bien intentionnés mais ils ne nous connaissent pas et ne nous voient que comme des urètres et des vessies. Ils ne voient pas la personne handicapée derrière, nos terreurs parfois, et notre besoin d’être considéré comme des personnes à part entière », se souvient Adrien Jousserandot, lui-même tétraplégique. Le glissement du handicap à la maladie tend à estropier l’intégrité de l’humain.
Les difficultés d’accès aux soins assombrissent le trait. La prévention ? « Lorsque la personne n’est plus à l’école et ne bénéficie plus de la médecine scolaire, elle a rarement la médecine du travail. La prévention est difficile surtout lorsque le corps ne communique pas », analyse Adrien Jousserandot. D’après l’association Handidactique I=MC2, 70 % des handicapés renoncent aux soins courants devant la complexité des démarches. Ainsi, « 80 % des handicapés qui arrivent aux urgences en repartent 12 à 24 heures après sans avoir reçu un soin. Il faut 20 fois plus de temps pour nous trouver un lit. Pourtant, lorsqu’on appelle un médecin de ville un vendredi entre 16 et 18 heures, 99 fois sur 100, il nous dit de composer le 15 », détaille Adrien Jousserandot. Parfois les structures font totalement défaut. Il n’existe en France que 2 appareils de mammographies adaptées à des femmes assises.
Le manque de coordination entre les professionnels fait courir de graves risques iatrogéniques. Et les dossiers médicaux débordent des avis de spécialistes.
Combattre la peur.
Inspirés par le vécu des personnes handicapées, les auteurs ont consacré le premier axe de leur rapport de plus de 200 pages, fruit de 9 mois de travail, aux mesures destinées à combattre la peur des professionnels de santé. « Le travail se fera dans la sérénité quand il n’y aura plus la peur du patient », déclare Pascal Jacob au « Quotidien ». « Les médecins doivent être sensibilisés. En France, nous sommes trop près de la médecine d’organe, pas assez de la médecine globale et personnalisée », poursuit le rapporteur.
Il préconise d’organiser des stages en début de cursus universitaires dans des milieux de vie dédiés au handicap et de former tous les acteurs du soin, notamment par des personnes handicapées elles-mêmes. Le Développement professionnel continu (DPC) pourrait en faire une orientation prioritaire, ainsi que la circulaire de cadrage annuel des plans de formation des établissements de santé. Un label « qualité handicap » récompenserait les efforts des professionnels et des établissements de santé.
La peur n’épargne pas les 4 millions d’aidants. Pour les aider, le rapport Jacob appelle à leur revalorisation et les invite à suivre des formations. Sans revendiquer un statut d’aidant, la reconnaissance de leurs droits est indiquée.
Coordination des soins.
Les experts insistent sur la prévention. « Les handicapés sont trois fois plus hospitalisés que les valides. On soigne quand c’est trop tard », déplore Pascal Jacob, qui fixe comme objectif la diminution de 50 % des hospitalisations urgentes liées à l’absence de suivi médical.
Autre axe majeur : la coordination des soins autour d’un référent du parcours de santé, qui soit la personne la plus proche du sujet handicapé (sans être pour autant le parent). Elle pourrait s’appuyer sur un dispositif public territorial de coordination, chapeauté par l’Agence régionale de santé. Et comme outil, « Le carnet de santé informatisé doit être le sésame de l’information pour les urgences, les spécialistes, les aidants », précise Pascal Jacob. La moitié des examens redondants serait supprimée, de même pour l’iatrogénie médicamenteuse.
Pour améliorer la proximité des soins et éviter les urgences générales, le président d’I=MC2 suggère la constitution d’équipes mobiles d’urgence pluridisciplinaires coordonnées avec le SAMU, et d’unités mobiles soins. Le développement du « réseau intégration handicap », destiné aux personnes handicapées, aux aidants, et aux professionnels de santé permettrait de rompre l’isolement des acteurs.
La question de la fin de vie suppose in fine la mise en place de compétences autour du handicap dans les structures d’hospitalisation à domicile, avec, encore, la coordination comme horizon.
Revalorisation de la CCAM.
Au chapitre des moyens, le rapport Jacob souhaite la création d’un réseau de recherche national sur tous les handicaps qui serait adossé à un Centre Handicap universitaire. Il préconise enfin la création d’une classification pour la prise en charge des patients handicapés dans la future CCAM clinique, et en attendant, la mise en place d’un forfait. « Il y a plein de solutions. La situation en France ne sera plus comme avant grâce au Comité interministériel du handicap. Ce n’est pas qu’une question d’argent, mais aussi de volonté », estime Pascal Jacob.
Son rapport a été salué par la majorité des associations, comme l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) qui voit une convergence avec ses propres propositions pour les personnes handicapées mentales, la fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés (APJH), ou, avec davantage de réserves (sur le label handicap), la FNATH (accidentés de la vie). Toutes attendent des actions concrètes de la part du gouvernement.
La ministre déléguée Marie-Arlette Carlotti a assuré que l’accès aux soins des personnes handicapées serait au cœur du Comité interministériel du handicap (CIH) qui devrait se tenir en juillet. Seront notamment étudiés l’accessibilité de l’offre de premier recours, les outils adaptés à une prise en charge hospitalière et l’adaptation des messages de prévention. Un parcours de soins, semblable à ceux pour les personnes âgées ou les malades chroniques, pourrait être reconnu, a annoncé Marisol Touraine. Des mesures pourraient être amorcées dès le PLFSS 2014, avant d’être confortées dans la stratégie nationale de santé.
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