La condamnation du Dr Canarelli, psychiatre, à un an de prison avec sursis pour homicide involontaire, après un meurtre commis par son patient, fait couler beaucoup d’encre. Procès de la psychiatrie ou cas d’espèce ? « Le Quotidien » a obtenu le jugement du tribunal correctionnel de Marseille daté du 18 décembre, qu’il publie dans son entier.
La psychiatre, soutenue par les syndicats hospitaliers, a décidé de faire appel du jugement. Son dossier sera donc de nouveau examiné par la Cour d’Appel et la décision du tribunal correctionnel peut donc n’être pas définitive.
Les faits
Le Dr Canarelli est accusée d’avoir involontairement et indirectement causé la mort le 9 mars 2004 de Germain Trabuc, assassiné à la hache par son patient Joël Gaillard 20 jours après avoir refusé une hospitalisation et s’être enfui de l’hôpital Édouard Toulouse de Marseille. Malade, il a bénéficié d’une ordonnance de non-lieu en 2005.
Un malade particulièrement complexe
Le document souligne à plusieurs reprises la singularité de l’affaire. « Le tribunal a (...) conscience des enjeux pour la profession. (…) L’évocation détaillée voir exhaustive du parcours médical de M G. fera ainsi ressortir que la poursuite vise simplement à apprécier un comportement individuel marqué de multiples singularités », peut-on lire page 4.
Les 11 pages suivantes retracent donc le parcours psychiatrique du patient, depuis une première hospitalisation d’office en février 2000, jusqu’au drame de 2004. Pendant cette période, M. Gaillard a été l’objet de trois hospitalisations d’office et d’une hospitalisation à la demande d’un tiers. Il a été vu par près d’une dizaine de médecins.
Le document résume ensuite le rapport de l’expert, le Dr Archambault, qui conclut que le Dr Canarelli « n’a jamais considéré M. Gaillard comme un malade mental » et « semble être rentrée en résonance avec son patient qui était en total déni par rapport à sa pathologie ». En réponse, le Dr Canarelli a émis plusieurs observations. Elle fait notamment valoir qu’au vu de la symptomatologie du patient lors des hospitalisations, elle ne pouvait pas établir clairement le diagnostic de schizophrénie. Elle affirme avoir instauré des traitements antipsychotiques oraux sur l’avis de ses collègues et fait valoir que « les soins psychiatriques ne se limitent pas au traitement médicamenteux », mais intègrent aussi une prise en charge relationnelle.
Erreur de diagnostic
Dans son jugement le tribunal prend soin de rappeler que la loi n’impose pas au médecin une obligation de résultat. Les magistrats reconnaissent la complexité du patient, et écrivent noir sur blanc que « la prédictivité et le risque zéro n’existent pas ». Le président Fabrice Castoldi connaît bien la psychiatrie : il a écrit en 2005 comme membre de l’inspection générale des services judiciaires un rapport sur la réforme de la loi de 1990 sur l’hospitalisation des malades psychiatriques.
Ces précautions prises, les magistrats assument leur sévérité à l’égard du Dr Canarelli. Ils lui reprochent d’avoir posé un mauvais diagnostic qui minimise la dangerosité de son patient à l’égard d’autrui et de lui-même, et de n’avoir pas dispensé un traitement adéquat. Le tribunal évite de prendre position dans le débat médical. Il ne se prononce pas sur l’utilité des neuroleptiques d’action prolongée, et reconnaît l’importance « majeure » de l’alliance thérapeutique à condition qu’elle soit un moyen, non une fin en soi. Mais le jugement identifie tout de même une « absence de soin ».
« Aveuglement »
Surtout, les magistrats reprochent au Dr Canarelli « un aveuglement » qui a duré 4 ans. Selon le jugement, les échecs qui se sont succédé pendant cette période trouvent leurs causes dans « la discordance manifeste entre les troubles mentaux décrits par les médecins prescripteurs des hospitalisations sans consentement et la conduite thérapeutique adoptée ». « Elle a persisté dans son approche thérapeutique en négligeant les avis multiples » des différents médecins, y compris son chef de service. « Elle est restée dans l’incapacité de poser un diagnostic » et n’a pas « mesuré, à l’aune de ses premiers échecs, les faiblesses de son approche thérapeutique initiale ».
Les magistrats regrettent aussi que la psychiatre n’ait pas envisagé une hospitalisation en unité pour malades difficiles, comme le préconisaient les experts judiciaires, ni n’ait « envisagé de passer la main ».« Elle aurait pu prioriser l’aspect sanitaire de l’hospitalisation en confiant à une autre équipe le soin de soigner M. Gaillard », peut-on lire.
Le tribunal conclut donc que les défaillances relevées sont à l’origine de l’errance du patient, et de son passage à l’acte.
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