«IL EXISTE une maladie qui touche aujourd'hui plus de 3millions de personnes en France. Une maladie qui peut vous empêcher de parler, de rire, de manger, de travailler, de dormir ou de vous lever le matin. Une maladie qui peut vous empêcher de vivre. Cette maladie, c'est la dépression.» Telle était la teneur du message diffusé lors de la campagne d'information, la première du genre, organisée en décembre dernier par l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé). La réduction de la prévalence de la dépression et une meilleure prise en charge figurent parmi les objectifs prioritaires de la loi de santé publique de 2004. Mais le phénomène reste difficile à évaluer, comme le montrent les études présentées dans le « BEH » (n° 35-36).
Deux études menées par l'INPES (Baromètre santé 2005 et enquête dépression dans la population générale, ANADEP) ont permis d'évaluer la prévalence des épisodes dépressifs majeurs (EDM) en France. L'outil utilisé, la version courte du questionnaire d'évaluation mis au point par l'OMS, a permis d'interroger par téléphone respectivement 6 498 et 16 883 personnes.
Les prévalences étaient de 5 % dans l'ANADEP et de 7,8 % dans le Baromètre santé, soit dans la fourchette basse des résultats des différentes études réalisées en France, qui évaluent la prévalence sur les douze derniers mois entre 6 et 12 %. En dépit de prévalences différentes, les deux enquêtes ont permis de dégager des profils de risque équivalents : les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes, de même que les personnes présentant des situations sociales ou familiales difficiles (veuvage, divorce, chômage, invalidité, arrêt maladie).
Les événements de vie dans l'enfance.
L'épidémiologie sociale (biographique et contextuelle) est une autre approche. L'étude de Christelle Roustit et coll. a été réalisée à partir des données de la cohorte SIRS (Santé, inégalités et ruptures sociales) de 3 000 personnes, constituée en 2005.
La première vague d'enquêtes, conduites entre septembre et octobre 2005 (questionnaire en face à face au domicile), révèle que 11,7 % des sujets ont présenté un épisode dépressif majeur dans les 15 jours précédents. Là encore, le risque de dépression était deux fois plus élevé chez les femmes, quelle que soit la tranche d'âge. L'appartenance à la catégorie des cadres et des professions intellectuelles ainsi qu'un niveau d'études universitaire constituaient des facteurs protecteurs. Selon les auteurs, des événements survenus dans l'enfance, ainsi que certaines caractéristiques du fonctionnement familial, «apparaissent fortement et indépendamment associés à la dépression; notamment le fait d'avoir été victime de violences sexuelles ou témoin de violences interparentales, mais également le fait que les parents aient connu de longues périodes de chômage ou de graves difficultés financières».
L'étude montre aussi que la dépression est plus fréquente dans les quartiers classés en zone urbaine sensible. L'association entre quartiers défavorisés et troubles mentaux a d'ailleurs été observée dans différents pays. Conscients de la portée de leurs résultats dans le débat actuel, les auteurs soulignent les perspectives qu'ils offrent, d'une part, pour la prévention primaire et, d'autre part, pour les politiques d'information et de prise en charge. «Dans le premier cas, précisent-ils, il ne s'agit pas tant de “dépister” les enfants à risque que de rechercher, chez l'adulte, les événements traumatiques de l'enfance et de développer les services d'aide à l'enfance et à la parentalité pour prévenir le risque de dépression ultérieur à l'âge adulte. Dans le second cas, il pourrait s'agir de cibler prioritairement les campagnes d'information dans les territoires où habitent les personnes les plus défavorisées.»
Détresse chez les étudiantes en médecine.
Une autre étude du « BEH », celle de Pierre Verger et coll., porte sur les conditions de vie et la santé mentale des étudiants de première année dans les universités de la région PACA (Provence-Alpes-Côte d'Azur). L'analyse réalisée à partir de 1723 questionnaires (725 garçons et 998 filles) montre un taux de prévalence de 25,7 %, avec là encore un effet de genre : 33 % chez les filles, soit un tiers de la population féminine, et 15,7 % chez les garçons. Chez les garçons, la détresse psychologique (DP) était associée aux événements négatifs récents de leur vie, aux difficultés d'adaptation à l'université et à un faible contrôle de soi. Chez les filles, elle était surtout associée à la nationalité étrangère, aux antécédents psychiatriques et aux études médicales. «Les études de médecine étaient associées à une prévalence accrue de la DP, chez les filles uniquement», notent les auteurs. Il s'agissait par ailleurs de la seule filière, parmi celles représentées dans l'enquête, dans laquelle les étudiants préparaient un concours sélectif .
Une mesure difficile
Le CDI (Composite International Diagnostic Interview) a été développé par l'OMS pour évaluer la prévalence des troubles dépressifs hors du contexte clinique. Il comprend un ensemble de questions portant sur les symptômes répartis en 41 sections et nécessite en moyenne deux heures. Il doit être utilisé par des enquêteurs formés de façon approfondie (40 heures de formation sur cédérom et trois jours de formation présentielle). Son utilisation lors d'une enquête en population générale portant sur plusieurs dizaines de milliers de personnes reste difficile. La version allégée, le CDI Short-form (CIDI-SF), peut être utilisée par des enquêteurs non spécialistes après une formation de quelques heures et, par téléphone, le questionnaire est applicable en une dizaine de minutes.
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