LE PARFUM de la rupture flotte à Aubervilliers... Mais dans la quatrième ville de Seine-Saint-Denis (73 000 habitants), il s'agit d'un divorce au sein de la gauche avec un duel PC-PS (comme c'est le cas dans plusieurs villes du département : Bagnolet, La Courneuve, Pierrefitte...) qui jette aux oubliettes l'union rouge-rose qui prévalait depuis quarante ans.
Galvanisé par le score de Ségolène Royal – 39 % au premier tour – et le basculement de la circonscription côté socialiste, le PS s'est senti pousser des ailes. Et brigue donc ce bastion communiste où plane pour longtemps encore l'ombre de Jack Ralite : l'ancien ministre de la Santé fut le maire d'Aubervilliers pendant vingt ans, de 1984 à 2003, année où il avait transmis le flambeau et la mairie à son gendre, Pascal Beaudet, qui brigue un nouveau mandat avec le soutien de Lutte ouvrière et du Parti des travailleurs.
«Je regrette cette primaire, soupire le maire communiste. Mais le PS n'a même pas voulu discuter, il veut devenir le premier parti de France et a décidé de se compter dans les grandes villes où le PC a perdu de l'influence. Au cours du mandat passé, le PS a géré ici l'urbanisme, la jeunesse, le commerce, la politique de la ville, l'insertion, les personnes âgées... Ce n'est pas rien! Si sa vision d'Aubervilliers était opposée à la nôtre, ça se saurait!»
Quoi qu'il en soit, la bagarre à gauche s'annonce disputée. Les sondages, officiels ou secrets, donnent les deux listes de gauche au coude-à-coude, chacune revendiquant un «large rassemblement».
Le MoDem n'a pas dit son dernier mot. Le parti de François Bayrou a investi le Dr Thierry Augy, un médecin généraliste très bien implanté, qui avait même failli emporter la victoire en 2001 (voir encadré ci-dessous). Quant à l'UMP, elle a choisi de présenter un candidat « de la diversité », Fayçal Ménia.
« Sarkozy veut dépecer la Sécu ! ».
Ce mercredi soir de campagne, dans le petit local socialiste d'Aubervilliers, une trentaine de personnes ont répondu à l'invitation de Jacques Salvator, maire adjoint depuis 1989, médecin généraliste de formation (il a effectué des remplacements de 1974 à 1996), qui conduit la liste PS-Verts-Radicaux. Au menu : un débat public sur la santé . Deux invités de marque : le Pr Guy Atlan, auteur d'un rapport remarqué sur les inégalités sociales de santé en Ile-de-France, et le Dr Claude Pigement, « Monsieur Santé » du PS depuis trente ans et «très fier d'être sur la liste de Jacques Salavator».
Figure familière du monde médical, le Dr Pigement n'a rien d'un parachuté puisqu'il est en charge d'une consultation de gastro-entérologie à l'hôpital européen de La Roseraie, à Aubervilliers. Mais ce soir-là, son discours, bien rôdé, ne s'attarde pas sur les enjeux locaux. C'est de l'avenir du système de santé français solidaire dont il est question. Nicolas Sarkozy, accuse Claude Pigement, veut «dépecer» la Sécu, «nous voulons la sauver»; il est «scandaleux» de ne plus trouver de médecins aux tarifs opposables et «les devis de Bachelot, c'est pipeau» pour freiner les dépassements d'honoraires ; la droite «a copié notre proposition de maisons de santé, mais 100maisons, c'est un peu “cheap” quand Ségolène Royal en promettait 500»; sans oublier un réquisitoire contre les franchises médicales .
Dans cette ville marquée par la précaritésociale (21 % de chômage, revenu par habitant le plus bas d'Ile-de-France, 20 000 bénéficiaires de la CMU et de la CMU-C...), les mots font mouches même si les sympathisants PS étaient déjà convaincus.
Ancienne cité industrielle en pleine expansion.
Au cours des deux heures de discussion, les habitants d'Aubervilliers témoignent avec pudeur de leurs difficultés : le coût de la santé qui «oblige à faire des choix»; les refus de soins de certains dentistes ; la carence de la médecine du travail ; le «degré zéro» de l'éducation sanitaire ; mais aussi des problèmes rarement évoqués, comme la difficulté pour les très nombreuses familles étrangères d'Aubervilliers de comprendre (et donc de suivre correctement) les prescriptions et les traitements médicaux.
A l'évidence, « se soigner » est ici un thème de campagne.
A l'écoute, Jacques Salvator défend les ateliers santé-ville «mais veut aller plus loin»; réclame le transfert à la commune de compétences d'hygiène et de santé pour combattre l'insalubrité ; promet des moyens pour la santé au travail... Dans le livre qu'il vient de publier (1), balade historico-politique dans un Aubervilliers « en devenir », il raconte son ancrage local, évoque son itinéraire du PSU au PS , souligne les «formidables potentialités» de l'ancienne cité industrielle en expansion et en pleine reconversion aux portes de Paris. Un potentiel qui, dit-il, serait «menacé» en cas de victoire de la liste PC, avec le risque d'une gestion «rétrograde, malthusienne».
Si le PS mise sur les nouveaux électeurs à Aubervilliers (parmi lesquels nombre de cadres moyens venus de Paris où l'immobilier est prohibitif, mais aussi des populations fragiles), le maire actuel, Pascal Beaudet, affiche sa confiance puisée dans «l'histoire, le bilan et des projets structurants»: la prolongation de la ligne de métro, l'aménagement de la porte d'Aubervilliers, la construction d'un centre nautique «pour accueillir les championnats du monde».
La ville est extrêmement endettée ? Certes, mais, rétorque le maire, «plus les populations sont en difficulté, plus on leur doit des services qui coûtent cher». Lui aussi promet le développement harmonieux d'une cité «où se bousculent les promoteurs», la création d'emplois, une politique de «fermeté» contre les squatters. Quant à succéder à Jack Ralite, concède-t-il, «ce n'est pas une mince affaire, personne ne le remplacera».
(1) « Une ville peut en cacher une autre ».
Un généraliste du MoDem en embuscade
Médecin généraliste en secteur II, installé à Aubervilliers depuis trente ans, le Dr Thierry Augy, étiquette MoDem, croit plus que jamais en ses chances.En 2001, sous la bannière UDF, n'avait-il pas créé la surprise, devancé par Jack Ralite de seulement 250 voix, soit, précise-t-il, «126électeurs»? Cette fois encore, sourit-il, «l'enfant se présente bien. PC et PS, c'est bonnet blanc et blanc bonnet, les gens en ont marre, le seul changement crédible à Aubervilliers, c'est moi».
Le Dr Augy dénonce le «clientélisme» de l'équipe sortante, alors qu'Aubervilliers bénéfice d'atouts «considérables». «La ville est assise sur un tas d'or [les friches industrielles aux portes de Paris] », résume-t-il. S'il est élu, il «désendettera la ville, construira des logements» et en finira avec une politique d'accueil de «l'extrême pauvreté et des ménages non imposables».
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