«ON NE PARLE plus assez du sida, pas assez fort, pas assez souvent.» Le bruit de fond des années 1990 s'est éteint. Tout au plus quelques chiffres témoignant de l'ampleur de l'épidémie sont annoncés chaque 1er décembre, Journée mondiale de lutte contre le sida, déplore avec raison Marina Karmochkine. Née en 1964, ce médecin parisien, qui exerce à l'hôpital européen Georges-Pompidou, a commencé sa carrière médicale avec l'épidémie au début des années 1980, en a suivi chaque étape : mise en évidence du virus, premiers tests, premières campagnes de dépistage, naissance des associations de patients, progression de leur influence, décès de patients dans la honte et la douleur, mais aussi premiers traitements antiviraux et premiers résultats thérapeutiques, passage d'une infection mortelle tout coup à à une maladie chronique. Son récit est à la fois une réflexion sur ce que le sida a transformé dans le monde médical et révélé comme dysfonctionnements dans notre société, un témoignage sur une pratique médicale novatrice parce qu'affrontée à une situation radicalement nouvelle. Des trajectoires aussi diverses que variées avec le VIH, représentatives des étapes historiques de l'épidémie illustrent son propos. Du portrait d'Anaïs, 20 ans, née avec le sida, qui, à l'aube de ses premiers rapports sexuels, s'interroge, «Saurai-je parler du sida?», à celui de Damien, contaminé dès le début de sa vie sexuelle, écrivant avant de mourir : «Je ne crois pas que le sexe soit si important qu'il mérite tant de souffrances», en passant par celui de Jeanne, quinquagénaire contaminée par un amour passionné et tardif. Autant d'histoires singulières destinées non seulement à déstigmatiser une fois de plus la maladie, mais également à souligner la dangerosité du VIH et sa capacité à toucher chacun d'entre nous. Ces portraits sont aussi l'occasion de donner de nombreux et essentiels renseignements pratiques pour comprendre la maladie.
Le sida tue encore.
Malgré le tournant de 1996 avec l'arrivée des trithérapies (il existe aujourd'hui 18 médicaments actifs contre des cibles virales différentes), on meurt encore de l'infection par le VIH ; lorsque l'on y survit, le prix à payer est souvent élevé, entre effets secondaires pénibles et stigmatisants des traitements et conséquences socio-affectives de la maladie. Les progrès thérapeutiques, l'attention portée aux patients par des équipes déployant des trésors d'ingéniosité pour concevoir une prise en charge personnalisée procurent ici aux personnes infectées qui ont la chance de pouvoir se faire soigner une vie à peu près possible. Le vertige nous saisit quand on pense aux millions de personnes dans le monde en développement qui ne disposent d'aucun de ces soins, souligne dans sa préface le Pr Michel Kazatchkine, actuellement directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose.
Non, les trithérapies ne guérissent pas la maladie. Oui, le sida touche les jeunes, les hétérosexuels comme les homosexuels ; oui, la prudence se relâche, l'usage du préservatif diminue du fait de la banalisation de la maladie, de la réduction des campagnes de prévention, la pratique de comportements sexuels délibérément à risque augmente, rappelle Marina Karmochkine. Alerter, parler, informer, sensibiliser au danger sans réveiller ou alimenter les fantasmes liés au sida, rappeler les tourments et souffrances quotidiens des malades au travail et dans la vie privée, la lourdeur des effets secondaires, l'échappement aux traitements sont autant de façons de souligner l'inepte banalisation de cette affection.
Marina Karmochkine, « Saurai-je parler du sida ? Un médecin face à la banalisation », First Editions, 170 pages, 12,90 euros.
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