Les coûts de la lutte contre le cancer en 2004

12 milliards de dépenses publiques

Publié le 09/04/2007
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C'EST UN TRAVAIL collectif d'une ampleur inégalée qu'ont réalisé les équipes de l'Inca sous la direction de Franck Amalric, directeur adjoint du département sciences humaines et économie du cancer : évaluer l'ensemble des coûts relatifs à la maladie en France, des pertes de production aux dépenses pour la recherche, en passant par le coût des soins et des politiques publiques de prévention et de dépistage. Avec un double objectif, comme l'explique le président de l'institut, le Pr Dominique Maraninchi, dans la préface du rapport publié aujourd'hui : «D'une part, garantir que les moyens investis par la collectivité nationale dans la lutte contre le cancer sont utilisés de manière efficace. D'autre part, s'assurer que les financements disponibles sont suffisants pour permettre la diffusion des innovations thérapeutiques sur tout le territoire, dans des conditions égales pour tous les citoyens.»

Le premier des coûts que fait peser le cancer sur la société française, c'est celui du nombre de malades (280 000 cas par an, en augmentation) et des décès (153 000 en 2002). Les décès par cancer sont souvent prématurés (avant 65 ans) et représentent quelque 2,3 millions d'années de vie perdues, dont 460 240 pour le seul cancer de l'arbre pulmonaire (poumon, larynx, trachée, bronches), le plus meurtrier. Ce cancer est aussi celui qui entraîne le plus de pertes de production : 3,72 milliards sur un total évalué à 17 milliards. Le coût pour les employeurs des arrêts maladie étant de 500 millions.

Presque tout pour les soins.

Le coût des soins pour l'assurance-maladie est évalué à 11 milliards. Les deux tiers concernent les établissements de santé et un tiers, les soins de ville. Cela représente environ 90 % de l'effort financier fait par les administrations publiques (Etat, assurance-maladie, collectivités locales), pour lutter contre la maladie, la prévenir et la dépister. S'y ajoutent, si l'on veut évaluer le coût total pour la société, certaines dépenses à la charge des patients ou les soins prodigués par des proches.

L'étude confirme que le poids économique de tel ou tel cancer ne correspond pas à son poids en termes d'incidence, sauf pour les premiers de la liste, les cancers de l'appareil digestif (19 % des coûts des soins des cancers et 19 % de l'incidence totale) : c'est le cas notamment des cancers hématologiques (12,8 % des coûts, 7,6 % de l'incidence) ou, dans le sens inverse, des cancers du sein (13,4 % des coûts, 15 % de l'incidence).

L'une des surprises des résultats vient de la part relativement faible des molécules onéreuses dans le coût des soins : à peine plus de 4 %. Elles sont toutefois en très forte augmentation (41 % entre 2003 et 2004). Une étude a été lancée pour expliquer cette hausse et savoir s'il s'agit seulement d'un rattrapage grâce au nouveau mode de financement (le passage à la T2A au début de 2004) ou s'il faut s'attendre, avec les molécules actuellement en développement, à une progression, et jusqu'où.

Au regard du coût des soins, le coût des politiques publiques de prévention ne pèse guère : 120 millions au total (46 millions pour lutter contre le tabac, 63 millions contre la consommation excessive d'alcool et 11 millions pour l'éducation à la santé en matière de nutrition et d'exercices physiques), sachant que ces investissements participent également à la poursuite d'autres objectifs de santé publique. L'Etat et l'assurance-maladie dépensent un peu plus pour le dépistage organisé du cancer du sein (194 millions) et du cancer colo-rectal (54 millions pour 19 départements). Quant à la recherche publique, elle a bénéficié d'environ 670 millions d'euros. Un chiffre à comparer avec les 600 millions d'euros par an dépensés dans ce domaine par l'industrie pharmaceutique et même aux financements alloués par les associations pharmaceutiques dans ce domaine (27,6 millions pour la Ligue contre le cancer, 21,6 millions pour l'ARC).

Des outils d'évaluation.

Ce travail, malgré son large champ, n'est qu'une première étape et a vocation à être actualisé, indique au « Quotidien » Franck Amalric. Une deuxième version devrait être publiée à la fin de 2008 ou au début de 2009. Le but est d'identifier des pistes de recherche et de lancer des projets «afin de bâtir un stock de connaissances en économie de la santé qui puisse aider à améliorer la lutte contre le cancer dans le pays». Deux groupes de travail vont être mis en place cette année. L'un pour réfléchir à l'impact de la recherche et à son évaluation non pas seulement pour la santé (mises au point de nouveaux médicaments, de nouvelles thérapies), mais en termes de retour économique. Le deuxième groupe de travail devra affiner les outils utilisés pour évaluer les politiques de santé publique. Car, compte tenu de la multiplicité des objectifs, il n'est pas simple de savoir si une politique atteint son objectif et si les dépenses faites ont été rentables. Encore moins de dire combien la collectivité devrait investir pour atteindre les objectifs de santé publique, notamment ceux fixés par la loi de 2004. L'interdiction de fumer dans les lieux publics, par exemple, peut être évaluée à l'aune d'un objectif de santé au travail (protéger les personnes qui travaillent dans les restaurants, casinos…) ou à l'aune d'un objectif de santé publique (réduire le niveau de tabagisme dans la population). Franck Amalric cite un autre exemple encore plus parlant. Quand on annonce vouloir réduire la mortalité par cancer, de la mortalité de qui parle-t-on ? «Si vous faites plus de soins, c'est celle des malades aujourd'hui; si vous faites plus de dépistage, vous allez réduire la mortalité de gens qui seraient malades dans cinq ou dix ans; et si vous faites plus de prévention et de recherche, vous allez réduire la mortalité de personnes jeunes, susceptibles d'être malades dans vingt ou trente ans.»

C'est pourquoi, dès le départ, il n'était pas question de faire des recommandations, mais seulement de poser des questions. Dans deux ou trois ans, espère le responsable du rapport, il pourra y avoir des réponses plus précises et utiles pour guider dans leurs choix les pouvoirs publics.

Les données utilisées

Différentes approches et sources ont été utilisées pour ce travail. Pour évaluer l'impact direct de la maladie sur le bien-être des Français, le rapport s'appuie sur les données d'incidence (en 2000) collectées de l'Institut de veille sanitaire et Francim, le réseau français des registres du cancer, ainsi que sur les données de mortalité (2002) de l'Inserm.

Pour calculer le coût des soins en établissements hospitaliers, c'est la base Pmsi 2004 qui a été exploitée. Pour l'évaluation du coût des soins de ville, la difficulté était de distinguer les soins liés au cancer des autres. Des études récentes de la Drees, de l'Irdes et de la Cnamts ont été utilisées. Pour les pertes de production, un travail original de l'Inca a été réalisé. Et pour les autres aspects, les résultats ont été obtenus en regroupant les données existantes et en remontant autant que possible à la source de ces données (comptes de la santé, budget de l'Etat...).

> RENÉE CARTON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8143