LA MALADIE, quelle qu’elle soit, a toujours deux visages. Celui décrit par le médecin et celui que raconte le malade. La maladie de Parkinson illustre parfaitement ce phénomène. Parce que le médecin évoque les progrès thérapeutiques, alors que le malade souligne ce qu’il reste à faire, parce que le médecin parle de traitement quand le malade raconte son vécu. «L’apparition du tremblement est, pour le médecin, le moins inquiétant des symptômes du point de vue de l’évolution de la maladie, explique le Pr Destée (CHU de Lille). Mais c’est le plus mal vécu par le malade car il attire le regard des autres, souvent suspicieux, parce que mal interprété; on pense alors à la sénilité, à l’alcoolisme.»
Dans le cas du Parkinson, l’opposition est d’autant plus marquée que depuis l’avènement des précurseurs de la dopamine, des agonistes dopaminergiques et, plus récemment, de la neurochirurgie fonctionnelle, il y a désormais deux phases que tout oppose : la période où le malade est équilibré par le traitement ; il peut, durant cette période, continuer à travailler, mener une vie sociale et familiale normale, ses symptômes sont contenus, et cela peut durer des années, cinq, dix ans parfois. C’est ce qu’on a longtemps appelé «la lune de miel». «L’état déficitaire de dopamine chez le malade peut être comblé par la L-dopa, qui reste la pierre angulaire du traitement de la MPI, ou, lorsque la gêne est minime et chez le sujet jeune, par les agonistes dopaminergiques, rappelle le Dr Jean-Denis Turc, neurologue**.
Et puis il y a la période où tout se dégrade. Les structures biologiques n’arrivent plus à compenser les fluctuations de taux sanguin du médicament, la L-dopa produit elle-même des complications motrices (dyskinésies pouvant s’accompagner de dystonies douloureuses), les molécules disponibles ne sont plus efficaces pour empêcher la réapparition des symptômes. Le malade s’enfonce alors lentement et de manière irréversible dans un handicap moteur et psychique de plus en plus profond, l’institutionnalisation est nécessaire dès lors que les troubles cognitifs et psychiatriques deviennent trop présents ou que l’entourage ne peut plus faire face. Les témoignages des familles de malades arrivés à ce stade sont bouleversants.
Aussi, durant ce colloque, qui réunissait spécialistes de la maladie et patients, les deux aspects de ce syndrome n’ont cessé de se côtoyer. Les professionnels décrivent l’importance d’optimiser les traitements pour améliorer la qualité de vie durant la première phase ; les malades, ou leur famille, insistent sur le manque de formation des personnels soignants et l’absence d’institution spécialisée pour les parkinsoniens lourds dans la deuxième période d’évolution de la maladie.
Détresse et épuisement.
Les prises de parole sont éloquentes : «Je viens vous faire part de ma détresse et de mon découragement. Ma mère est dans une maison de retraite médicalisée, et pourtant, quand je dois m’absenter quelques jours, je paye une auxiliaire de vie, privée, qui me remplace à ses côtés.» Cette femme raconte le quotidien d’un malade en maison de retraite, où les horaires de prises de médicaments ne sont pas respectés, où les patients ne sont pas stimulés, où le personnel est ignorant des spécificités de la maladie. Vient le tour de cet homme de 80 ans dont la femme est en maison de retraite municipale depuis un an, après dix ans de soins constants à la maison et qui n’est jamais sûr, lui non plus, que son épouse aura ses médicaments à l’heure prescrite : «J’ai dû parfois puiser dans le stock que j’ai encore à la maison car les médicaments n’avaient pas été livrés.»
Dans certains départements, des bénévoles assurent des formations en institution. L’un d’eux prend la parole : «Nous allons en crever, pas de la maladie, mais d’épuisement. Il y a tant à faire; le personnel qui s’occupe de nos parkinsoniens dans les maisons de retraite est de bonne volonté, mais est en nombre insuffisant et mal payé.»
Il a fallu au Pr Destée un certain courage pour reprendre la parole après ces nombreux témoignages qui évoquent l’avenir sombre de cette maladie dont on ne soigne que les symptômes, en attendant d’en comprendre les origines. Il souhaitait rappeler qu’il voyait aujourd’hui des malades se rendre seuls, de façon autonome, à ses consultations, chose impensable il y a vingt ans : «Les médecins spécialisés dans d’autres pathologies, je pense, par exemple, à la maladie d’Alzheimer, nous envient. Nous avons un traitement. Il n’est pas curatif, mais il permet de faire disparaître les symptômes pendant des années, de retarder l’entrée dans la dépendance, d’allonger l’espérance de vie de cinqans en moyenne.»
La maladie de Parkinson concerne 100 000 personnes diagnostiquées, nombre auquel il faut ajouter 30 à 40 %, les malades méconnus, en raison de la banalisation des symptômes à un âge où l’on attribue souvent la rigidité aux rhumatismes, les tremblements à un début de sénilité.
La France est le seul pays européen à ne pas disposer de centre spécialisé dans l’accueil de parkinsoniens. Une première expérience menée dans un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) du Cantal montre la voie, avec l’accueil de 15 malades souffrant de Parkinson dans une structure de 70 résidents.
* Colloque organisé et présidé par Alain Gournac, sénateur des Yvelines, et Gérard Bapt, député de la Haute-Garonne, sous l’égide et avec le concours de la Fédération française de neurologie, l’Association France Parkinson (www.franceparkinson.fr) et de la Fédération française des groupements de parkinsoniens.
** Conférence de consensus « La maladie de Parkinson : critères diagnostiques et thérapeutiques », 3 mars 2000 (texte disponible sur le site de la Haute Autorité de santé, www.has-sante.fr).
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