DANS LE JARGON de la santé publique, la santé communautaire est une approche populationnelle (ici, les migrants africains), impliquant la participation active de la population concernée, à propos d’un problème majeur de santé (ici, le sida et l’infection par le VIH). Ensuite, les choses se compliquent, parce que rien n’est tracé d’avance. En effet, si l’on tient à prendre «le patient dans sa globalité», pour reprendre un autre jargon à la mode, alors il faut s’intéresser à son mode de vie, à sa culture, à ses liens. A plus forte raison si l’on tient à faire de la prévention. De fil en aiguille, on se retrouve à faire beaucoup de choses. Bien entendu, « on » n’est pas quelqu’un, une personne isolée : ce sont des personnes qui, avec le temps, ont appris à travailler ensemble et ne sont pas tous des professionnels de la santé, mais aussi des médiateurs et des bénévoles.
Rassembler les bonnes volontés.
L’Uraca, c’est d’abord une formidable force de rassemblement des bonnes volontés autour d’objectifs communs, avec un état d’esprit qui allie convivialité, rire (ici, le travail sociosanitaire n’est pas triste), respect, donc, apprentissage de l’autre avec l’autre, sur des problématiques variées. Les ressources des deux cultures, occidentale et africaine, sont sollicitées. Comme l’a expliqué le Pr Daniel Sereni (hôpital Saint-Louis, Paris) : «L’essentiel est de guérir. Si, pour cela, il faut aussi lever un sort, eh bien, levons le sort!» Mais que l’on ne s’y trompe pas : le travail n’a rien de folklorique. Chacun expérimente l’étrangeté de la culture de l’autre : la psychologue (Jacqueline Faure, hôpital Tenon, Paris) raconte son désarroi devant les méthodes africaines, et l’Africain, son étonnement, parce que, en France, les adultes ne se sentent pas responsables de tous les enfants. Chacun expérimente aussi la profonde identité entre les arts de soigner, y compris parfois sur les techniques, comme le rapporte le Dr Patrick Knipper, chirurgien plasticien (hôpital Saint-Antoine, Paris).
«Bien, dit le lecteur impatienté, mais où est la lutte contre le sida dans tout ça?» Partout. C’est le repas africain apporté par des bénévoles au patient hospitalisé. La consultation avec un tradipraticien ou un médecin africain dans un service de médecine interne. Les médiateurs qui passent inlassablement dans les salons de coiffure pour parler de la maladie, tandis que, en Afrique, leurs collègues passent l’information aux piroguiers, aux griots et aux « journaux parlants », les bavards officiels qui transmettent les nouvelles. Une plaquette expliquant la maladie. Les réunions expliquant l’utilité des préservatifs et combattant l’idée qu’ils sont réservés aux époux infidèles. Le dispensaire ouvert dans un village. Le puits creusé à 60 m de profondeur, parce que les maladies infectieuses sont quand même les plus fréquentes et se transmettent d’abord par l’eau. La possibilité de garder des liens avec les siens restés en Afrique ou en France. La liste est encore longue.
«La finalité de notre action, c’est de donner aux gens ce qu’ils veulent, et non pas forcément ce que l’on a envie de leur donner», dit le Dr Moussa Maman, fondateur de l’Uraca. «Nous faisons le lien entre les deux cultures. Notre arme, c’est la culture.»«Ce qui ne signifie pas que c’est leur culture qui empêche les gens de se soigner, ajoute le Pr Olivier Bouchaud (hôpital Avicenne, Bobigny). Les conditions sociales passent toujours avant. Le sida accompagne la misère.»
Au terme de cette journée anniversaire, le plus étonnant est ce qu’ont dit tous les professionnels de santé « blancs et Français de souche » : merci. Comme l’a dit le Dr Frédérique Kirch-Noir (hôpital des Invalides, Paris) : «J’ai appris des choses sur moi-même, sur mes patients africains et sur mes patients français, parce que la qualité de mon écoute a changé.» Le Pr Bouchaud a eu cette phrase magnifique et étonnante : «L’Uraca m’a aidé non seulement à être plus efficace, mais aussi à meconstruire en tant qu’être vivant.»
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