Une addiction pas forcément pathologique

Publié le 09/11/2005
Article réservé aux abonnés

LE TERME de « nouvelles addictions » est pour une part excessif, car on sait depuis longtemps qu'existent bel et bien des troubles de dépendance autres que l'alcoolisme ou la toxicomanie. Ce qui est nouveau est la qualification en tant qu'addiction de comportements à caractère répétitif et compulsif, sans consommation de substances psychoactives.
L'addiction à la télévision, qui peut être placée sur ce plan, n'est pas non plus un phénomène nouveau. Le GeneralSurgeon américain avait publié dans les années 1980 un rapport sur les effets pervers des heures passées devant le spectacle télévisé d'activités antisociales (meurtres, violences entre hommes et femmes, guerres), qui entraînent elles-mêmes un risque de développer des comportements antisociaux. Il soulignait la banalisation que cela implique.
Des auteurs en psychologie expérimentale ont démontré le rôle de la télévision dans le développement de la haine (Bandura et Walters en 1967, Beck en 2002**). Les images offrent un modèle de fonctionnement où les enfants se réabreuvent, ce qui le renforce de manière répétée. L'amorce est souvent donnée par les parents, qui les mettent devant la télévision.
Actuellement, le temps moyen passé devant un écran (télévision, ordinateur) par les Français est de plus de trois heures par jour. Puisque certains ne regardent pas du tout la télévision, cela veut dire que d'autres passent de très nombreuses heures devant leur poste. Mais ce n'est pas pour autant que l'on est dans le domaine des psychopathologies graves.

Télévision-dépression-inaction.
L'analyse du cours des programmes montre qu'il existe une activation de l'anxiété, avec un pic à 20 heures, au moment des informations télévisées, avec la présentation de faits humains dramatiques. Le spectateur peut devenir dépendant de la violence, qui active la vigilance, le signal d'anxiété, les émotions. Ça se détend ensuite dans la soirée, et surtout dans la nuit, quand les programmes sont plus souvent des documentaires, des concerts, des émissions culturelles, qui ont un effet tranquillisant. Chez certaines personnes, la télévision peut fonctionner comme une sorte d'opium. On peut observer, chez des chômeurs, par exemple, un cycle télévision-dépression-inaction, qui témoigne du malaise de la société. Un aspect typique de l'addiction est retrouvé chez les personnes qui deviennent dépendantes des programmes nocturnes tardifs. Le matin, elles ne peuvent pas se lever, et le cycle recommence. Ce qui souvent alerte le médecin.
On en voit actuellement un nombre plus important qu'il y a par exemple une dizaine d'années, et c'est clairement en relation avec l'augmentation du chômage.
Sur le plan du mécanisme, l'addiction à la télévision est l'équivalent de la fièvre acheteuse ou de la dépendance à Internet ou encore aux jeux vidéo. Là, on entre dans un domaine globalement plus déviant, avec plus de charge psychopathologique. Mais ce ne sont pas forcément des personnes antisociales, borderline, ou qui dépendent de scénarios impulsifs graves.

* Directeur de l'unité de traitement de l'anxiété, hôpital neurologique de Lyon. Auteur de « la Répétition des scénarios de vie » (Odile Jacob).
** « Prisonniers de la haine », de Beck et d'Aaron, Masson, 2004. « Social Learning of Agression », de Bandura, 1977.

> Dr BÉATRICE VUAILLE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7840