LES SUBSTANCES chimiques n'épargnent personne : tel est le message emblématique que le Fonds mondial de la nature (WWF) a voulu faire passer, par l'intermédiaire de 39 députés européens.
En décembre dernier, le WWF a entrepris une étude sur des volontaires de plusieurs pays d'Europe afin de déterminer les concentrations dans le sang humain de différentes catégories de produits chimiques.
« C'est l'enquête la plus large jamais entreprise sur le sujet », a commenté Michael Warhurst, du WWF, en rappelant que peu de données étaient disponibles en la matière. La recherche portait sur 101 substances provenant de cinq groupes : les pesticides organochlorés (incluant le DDT, interdit en 1978), les PCB (polychlorobiphényles, interdits progressivement à partir de 1979), les retardateurs de flamme bromés (présents dans les ordinateurs, télévisions, canapés, etc), les phtalates (plastiques, cosmétiques, jouets, etc.) et les composés perfluorés (certains textiles, revêtements en téflon, etc.). La personne porteuse du plus grand nombre de ces produits, susceptibles notamment d'être cancérigènes ou de provoquer des troubles hormonaux, en comptait cinquante-quatre. En moyenne, quarante et une de ces substances ont été détectées par individu. Treize produits ont été systématiquement trouvés chez toutes les personnes testées, avec en tête des niveaux de concentration, le phtalate DEHP, « un dérégulateur endocrinien qui agit sur la reproduction et la gestation », selon le WWF. D'un pays à l'autre, le degré de contamination « varie largement ». Toutefois, « le petit nombre de volontaires représentant chaque pays ne permet pas de tirer de conclusions sur l'influence de la nationalité », ajoute l'organisation écologique.
Des effets à préciser.
Les effets à long terme sur l'organisme de ces substances chimiques (transmissibles aux enfants par le placenta et l'allaitement) sont encore inconnus, mais cela n'autorise pas à les considérer « sans danger », a souligné le WWF.
Les résultats de cette opération médiatique, qui vise à tirer la sonnette d'alarme à la veille d'une refonte de la réglementation européenne en matière de produits chimiques, n'étonnera aucun toxicologue : ce sont moins les produits retrouvés dans le sang qui sont déterminants que leur valeur significative. Les risques pour la santé sont difficiles à déterminer précisément. Dans une interview accordée à « Libération », Jean-François Narbonne, toxicologue et expert de l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments), reconnaît que l' « on manque d'information et surtout d'études épidémiologiques sur l'impact des faibles doses de ces produits sur la santé ». « On découvre aussi aujourd'hui le polymorphisme génétique, c'est-à-dire ce qui fait que nous ne métabolisons tous de la même façon ces produits chimiques, et que nous sommes plus ou moins vulnérables aux dommages qu'ils provoquent », ajoute le toxicologue. Selon lui, les doses journalières admissibles sur lesquelles « on s'appuie pour autoriser ou pour interdire un produit », n'a plus de sens en termes de santé publique : « On découvre tous les jours de nouveaux mécanismes de toxicité qui obligent à réviser ces doses journalières admissibles ».
Un texte en attente.
Pour le député Harlem Désir, l'enquête du WWF « fait la démonstration qu'un règlement européen rigoureux, assorti de sanctions, encadrant la production et l'utilisation de produits chimiques est maintenant urgent. Il faut tourner une page, celle de l'utilisation insouciante de n'importe quel procédé ou composant sans considération pour les effets à long terme. L'Europe doit devenir le continent de l'éco-industrie », dit-il.
Le WWF a appelé l'Union européenne à retirer du marché les produits aux « effets néfastes », à les remplacer, et, « si ce n'est pas possible », à mieux les contrôler, en adoptant une « version renforcée » d'une proposition de législation faite en 2003 par la Commission européenne. Ce programme, dénommé Reach (pour Registration, evaluation and authorization of chemicals), vise à imposer à l'industrie la réévaluation de 30 000 produits chimiques fabriqués ou importés dans l'Union sur une période de onze ans. Le texte législatif, qui exempte les polymères synthétiques et les produits fabriqués ou importés en quantité inférieure à dix tonnes par an, attend toujours de passer devant le Parlement européen.
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