Le Temps de la Médecine :
1982, en Australie : un dogme est en train d'être aboli. Barry Marshall et Robin Warren réussissent à cultiver, à partir de biopsies de la muqueuse gastrique, une bactérie spiralée initialement appelée Campylobacter pyloridis puis H. pylori. Jusqu'à cette date, il était admis qu'aucune bactérie n'était capable de résister à l'acidité gastrique. La découverte des deux médecins allait bouleverser la conception physiopathologique de l'ulcère gastro-duodénal.
Affection chronique évoluant par poussées séparées par des périodes de rémission plus ou moins longues, elle est jusqu'à la fin du XIXe, l'archétype de la maladie psychosomatique avant d'être une pathologie de l'acidité gastrique favorisée par des facteurs tels que le stress ou certaines habitudes alimentaires.
Il faudra une dizaine d'années pour que le modèle expérimental décrit par Marshall soit validé par des études cliniques, épidémiologiques et thérapeutiques. Les controverses n'ont d'ailleurs pas manqué qui devaient aboutir en France à l'organisation d'une conférence de consensus par l'agence d'évaluation (ANDEM, aujourd'hui ANAES). Le nouveau germe est un bacille Gram négatif qui se caractérise par ses propriétés génomiques et enzymatiques particulières : sa forte activité uréasique favorise la production, par hydrolyse de l'urée gastrique, d'ammoniac qui est capable de tamponner l'acide chlorhydrique et de créer un milieu favorable à sa survie. H. pylori peut alors coloniser la surface des cellules gastriques superficielles. Les réactions de défense locales (inflammation de la muqueuse et IgA sécrétoires) et humorales (anticorps sériques) sont insuffisantes pour éradiquer le germe. L'infection se traduit par une gastrite aiguë qui évolue dans la majorité des cas vers une gastrite chronique.
En 1995, la conférence « La maladie ulcéreuse et les gastrites chroniques à l'heure d'Helicobacter pylori » établit des recommandations pour mettre en adéquation la prise en charge de la maladie avec les nouvelles données scientifiques. Le Pr Yoram Bouhnik (hôpital Lariboisière, Paris), qui a fait partie du groupe de travail, décrit cette évolution : « Maladie fonctionnelle qui durait toute la vie, l'ulcère gastro-duodénal est devenu une maladie infectieuse qu'on traite avec des antibiotiques pendant huit jours. »
H. pylori est présent chez plus de 90 % des malades atteints d'une maladie ulcéreuse duodénale. La cicatrisation de l'ulcère et la diminution très importante du risque de rechute (inférieur à 5 % par an) après éradication du germe constituent une preuve en faveur d'un lien de causalité. Le schéma thérapeutique associant un antisécrétoire et deux antibiotiques conduit à un taux d'éradication supérieur à 85 %, alors qu'il est de 20 à 40 % avec une monothérapie antibiotique et de 60 % au maximum avec un antisécrétoire plus un antibiotique.
Gastrite chronique
En cas d'ulcère gastrique, H. pylori est retrouvé chez 70 % des sujets malades. Les AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) sont un cofacteur important de l'ulcérogenèse gastrique. Contrairement à l'ulcère duodénal qui ne se transforme jamais en cancer duodénal, il existe un risque de dégénérescence cancéreuse.
Ulcères gastriques ou duodénaux sont constamment associés à une gastrite chronique. Des observations ont montré que l'ingestion volontaire ou accidentelle de H. pylori est responsable de l'apparition d'une telle lésion et qu'une éradication du germe entraîne une normalisation de la muqueuse.
Le bacille découvert par Marshall et Warren joue bien un rôle fondamental dans la genèse de la maladie ulcéreuse, même si des questions demeurent. L'infection est universellement répandue avec une grande disparité des prévalences :plus élevées dans les pays en développement (de 70 à 90 %) que dans les pays industrialisés (de 20 à 30 %). En France, 40 % de la population est infectée, avec une prévalence qui augmente avec l'âge (de 1 % par an pour atteindre 60 % à 60 ans). Pourtant, seulement 10 % des sujets infectés développeront un ulcère dans leur vie.
Des facteurs liés à l'hôte ou à la bactérie doivent être pris en compte. En février 2003, le Groupe d'étude français des Helicobacter (GEFH), qui recommande l'éradication du germe en prévention du cancer, signale : « Les données récentes montrent que l'évolution vers l'ulcère duodénal ou le cancer gastrique sont mutuellement exclusives et que l'évolution vers l'une ou l'autre des pathologies est fonction de prédispositions génétiques. »
Dans l'avenir, « d'autres facteurs seront sans doute mieux mis en évidence, explique le Pr Iradj Sobhany (hôpital Henri-Mondor). Les IPP demeurent toujours les médicaments les plus prescrits dans la maladie ulcéreuse ». Les études se poursuivent pour préciser le rôle exact de H. pylori. Dans 3 % environ des maladies ulcéreuses ne sont observées ni infection à H. pylori ni cause médicamenteuse (AINS) ou maladie associée. Dans ces cas, il existe une hypersécrétion acide importante qui justifie le recours au schéma classique : traitement antisécrétoire de quatre à six semaines, relayé par un traitement d'entretien. Quand au rôle du stress, on connaît ses effets sur l'appareil digestif et il demeure un facteur associé qu'on ne peut éliminer. « H. pylori est un élément physiopathologique très important, personne ne le conteste, mais il n'explique sans doute pas tout », conclut le Pr Michel Mignon (hôpital Bichat - Claude-Bernard).
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