« Des enfants d'intelligence normale ou supérieure sont en situation d'échec scolaire. Les troubles d'apprentissage étant mal connus, ces enfants privés de diagnostic échappent à une prise en charge adaptée », signalent Laurence Valvre-Douret (psychologue, INSERM U483) et Lucien Castagnéra (CHU Bordeaux) dans la revue « ADSP » du Haut comité de la santé publique en mars 1999.
Les familles qui vivent personnellement et douloureusement le problème ne savent pas toujours où s'adresser. Alain Conte, président de l'association Corydis (Coordination des intervenants auprès des personnes souffrant de dysfonctionnements neuropsychologiques), créée en 1994, le reconnaît : « On s'est aperçu que personne n'était formé, ni les médecins, ni les psychologues, ni les enseignants. Un grand nombre de familles perdaient un temps fou, avant d'avoir les bonnes orientations, avec très souvent un circuit dans les CMPP où seules des psychothérapies étaient proposées. » La demande des familles est importante et l'association recense de 8 000 à 12000 connexions par mois sur son site Internet (1).
Dans un rapport (« A propos de l'enfant dysphasique et de l'enfant dyslexique ») remis en février 2000 à la ministre déléguée à l'Enseignement scolaire de l'époque, Ségolène Royal, Jean-Charles Ringard prend acte des controverses idéologiques quant à l'étiologie de ces troubles et les modes d'interventions éducatives et pédagogiques : « A chaque courant de pensée, sa vérité, à chaque protagoniste, ses intérêts. » Cependant, la seule question qui importe peut, selon lui, s'énoncer en termes simples : « Comment différencier un mauvais lecteur ou un lecteur faible d'un enfant présentant un trouble spécifique de l'apprentissage de la lecture ? »
Selon l'Organisation mondiale de la santé (classification CIM 10), les troubles spécifiques de l'apprentissage sont des troubles dans lesquels les « modalités normales » d'acquisition du langage sont altérées dès les premiers stades du développement. Ils sont spécifiques, car ils ne dépendent pas de l'environnement socioculturel et ne s'accompagnent pas de déficience mentale, sensorielle, motrice, ou d'un trouble psychique.
Dès la maternelle
Le plan général en faveur des enfants atteints d'un trouble spécifique du langage, lancé par les pouvoirs publics en mars 2001, exprime la préoccupation majeure formulée par le rapport Ringard et affirme qu'elle requiert des mesures nationales. L'objectif est de mettre en place, en 3 ans et 28 actions, un dispositif capable de repérer dès la maternelle les enfants en difficulté et d'impliquer les médecins de PMI et les médecins scolaires. Deux circulaires, l'une relative à la création de centres hospitaliers référents (4 mai 2001), l'autre sur le repérage, le dépistage et la prise en compte du dépistage, notamment dans le cadre de l'école (4 février 2002), viennent concrétiser ce plan.
Un consensus se dégage sur les termes de « trouble spécifique du langage » écrit et oral. Ces troubles se situent dans l'ensemble plus vaste des troubles spécifiques des apprentissages qui comprennent : les dyslexies-dysorthographies, les dysphasies, les dyscalculies (troubles des fonctions logico-mathématiques), les dyspraxies (troubles de l'acquisition de la coordination) et les troubles de l'attention, avec ou sans hyperactivité.
Viennent compléter le dispositif les recommandations de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) sur l'indication de l'orthophonie pour la prise en charge des troubles du langage oral chez l'enfant de 3 à 6 ans (octobre 2001). Elles précisent que « toute préoccupation exprimée concernant le langage de l'enfant doit être prise en compte », qu'elle provienne des parents, des enseignants ou des professionnels de santé. La plainte doit aboutir à la réalisation d'une évaluation individuelle et d'un examen médical. Le bilan orthophonique n'est réalisé que si le trouble est révélé et est spécifique.
De même, elles considèrent que le repérage et le dépistage des troubles du langage oral chez l'enfant de 3 à 6 ans doivent être systématiques, même en l'absence de plainte : entre 3 et 4 ans, au moins une question doit être posée aux enseignants (« Considérez-vous que cet enfant à un problème de langage ? ») et aux parents (« Que pensez-vous du langage de votre enfant ? ») ; après 4 ans, des batteries de tests sont proposées (voir encadré). L'étape suivante, une fois le trouble du langage identifié, consiste à déterminer s'il est spécifique ou non. Le bilan médical est alors essentiel et permet d'orienter la prise en charge. L'indication du bilan orthophonique dépendra de l'âge, de la sévérité et de la persistance du retard de langage.
Quant au repérage des troubles du langage écrit, on ne peut faire le diagnostic de dyslexie que plus tard. « Il faut en général 18 mois à 2 ans de décalage entre l'âge de lecture et l'âge chronologique. Ce n'est pas en février de l'année de CP qu'on peut faire un diagnostic de dyslexie, sauf pour certains enfants, parce qu'ils ont des troubles cognitifs sous-jacents, caractéristiques des dyslexies », indique le Dr Catherine Billard (neuropédiatre, hôpital Bicêtre).
Un dispositif à parfaire
La France, grâce à ce dispositif, espère combler son retard par rapport à d'autres pays comme les Etats-Unis ou la Belgique. Cependant, sur le terrain, en dépit des progrès réalisés, les problèmes demeurent. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale de l'Education nationale (IGEN) stigmatisait encore en janvier 2002 « le chaos dû à l'absence de coordination », le manque de formation des intervenants : médecins libéraux, orthophonistes, psychologues ; de même, les structures restent inadaptées. Les centres de références sont débordés. « Notre rôle est d'apporter une aide au diagnostic et au projet thérapeutique pour les troubles sévères. Il ne faut absolument pas que les institutrices envoient au centre de référence, sans passer par le médecin, comme elles le font pour les orthophonistes. Nous avons entrepris une importante action de formation des médecins scolaires, des pédiatres, des orthophonistes de notre bassin géographique. Aujourd'hui, comme tous les centres de référence, nous avons 4-5 mois de liste d'attente pour un rendez-vous médical et 2-3 mois après pour une évaluation », avoue le Dr Billard. Les liens entre la ville et l'école, entre les médecins scolaires et les médecins de l'enfant sont indispensables et doivent être développés.
L'autre point faible du dispositif concerne les dyspraxies. Pathologies moins bien connues que les dysphasies et les dyslexies, leur rééducation relève des ergothérapeutes et des psychomotriciens, et elle est beaucoup moins diffusée que ne l'est l'orthophonie.
Le plan lancé cette semaine par le gouvernement pour améliorer la santé des jeunes en milieu scolaire devrait notamment augmenter les actions de dépistage et permettre une meilleure coordination entre l'école et les services de santé scolaire.
Ne pas surpathologiser
Les parents sont inquiets. L'enjeu est important, car la maîtrise du langage est un élément indispensable de la réussite scolaire, puis professionnelle, et de l'intégration sociale.
« Je reçois aujourd'hui des enfants de plus en plus jeunes, avoue l'orthophoniste Florence Belaïs (Paris) . Souvent, ce sont les parents qui viennent spontanément. Ils veulent un avis. Le langage est une grande préoccupation pour eux. » La pression de l'école est également forte : « Nous avons parfois l'impression d'être au service d'une demande scolaire qui, à la moindre difficulté, nous sollicite pour une aide individuelle, comme si les cabinets d'orthophonistes étaient des cabinets de rattrapage scolaire. Il est vrai que, apprendre à lire, c'est initiatique, il faut passer par là. Les orthophonistes pourraient, pourquoi pas, participer à cet apprentissage, mais qu'on ne se voile pas la face et qu'on n'appelle pas dyslexie ce qui n'en est pas. »
La médecine, en particulier, a son rôle à jouer. Sans nier le rôle des autres facteurs, pédagogiques, psychanalytiques ou sociologiques, les troubles spécifiques développementaux, trop longtemps méconnus en France, méritent d'être pris en compte. L'équilibre doit être trouvé entre la méconnaissance qui conduit à un diagnostic tardif et une tendance à « pathologiser à tort et à travers ». Le Dr Catherine Billard est consciente du problème « Nous avons créé, avec Michel Zorman, Monique Touzin et une vingtaine de membres fondateurs, un observatoire des troubles spécifiques des apprentissages. Notre prochaine journée, organisée en juin en partenariat avec l'école, abordera ce thème : la réponse de première intention doit être l'école. La médicalisation ne se fait qu'en seconde intention et sur un profil d'enfants bien précis. »
Un enfant par classe a un trouble spécifique
Le pourcentage d'enfants atteints de troubles spécifiques du langage oral ou écrit est estimé à 5 %. Seulement 1 % sont atteints d'une forme sévère. Le nombre parfois avancé de 8 à 10 % de dyslexiques ne correspond pas à la réalité. Cependant, peu d'études épidémiologiques existent en France. Une enquête réalisée en 1995 dans l'Union européenne par la European Association for Special Education montre que de 16 à 24 % des élèves en Europe présentent des difficultés d'apprentissage. Parmi eux, 2-3 % ont une déficience révélée sensorielle, motrice, mentale ou autisme ; de 10 à 15 % ont des retards dus à des facteurs économiques, sociaux, culturels, psychologiques ou pédagogiques ; seulement 4-6 % des enfants présentent des troubles développementaux spécifiques des apprentissages.
En France, le Dr Michel Zorman a effectué des tests de dépistage des signes prédictifs chez des enfants en grande section maternelle, qu'il a suivis jusqu'au CE1. Sur 500 enfants, 25 ont un profil de difficulté compatible avec une dyslexie.
Les tests de dépistage
Plusieurs tests de dépistage existent aujourd'hui. Ils n'ont pas tous les mêmes objectifs, ni la même validation, mais sont complémentaires.
- La BREV (batterie rapide d'évaluation des fonctions cognitives) concerne une large tranche d'âge, de 4 à 9 ans, et permet d'évaluer l'ensemble des fonctions cognitives et donc de dépister aussi bien une dysphasie qu'une dyslexie ou une dyspraxie. « La philosophie de la BREV est de permettre à un médecin qui voit un enfant de 4 à 9 ans entrer dans son cabinet avec une plainte sur les apprentissages de définir son profil neuro-psychologique. » Il peut donc vérifier la réalité de la plainte et orienter l'enfant selon le profil défini. La BREV a été conçu pour le médecin de l'enfant au sens large et se réalise en 20 à 30 minutes.
- LeERTL4 (épreuves pour le repérage des troubles du langage et des apprentissages) est un test de dépistage du langage oral chez les enfants de 4 ans. Le ERTL4 permet simplement de savoir très rapidement si, à 4 ans, il y a un langage franchement déficitaire ou pas. Test rapide, il s'effectue en 5 à 10 minutes.
- La batterie de Zorman (BSEDS : bilan de santé évaluation du développement pour la scolarité des 5 à 6 ans) a été conçue au sein du laboratoire de cogni-sciences de l'IUFM Grenoble du Dr Michel Zorman. Contrairement à la BREV, il n'est pas utilisé dans le cabinet du médecin, mais à l'école, en fin de maternelle, par l'institutrice, pour dépister les signes prédictifs de difficultés d'apprentissage de la lecture et des troubles du langage oral. Dans ce cas, un entraînement pédagogique particulier est proposé. Le test est spécifiquement destiné aux médecins scolaires lors de la visite d'entrée dans l'enseignement élémentaire.
- LeERTL6 « a moins d'intérêt pour les médecins », selon le Dr Billard. Il est aussi long que la BREV et n'a pas l'avantage de ERTL4, qui est très court. Le test ne concerne que la tranche d'âge des 5-6 ans et est beaucoup moins bien validé que la batterie de Zorman. Il est conçu pour le médecin de ville et, comme la batterie de Zorman, il repère des signes prédictifs. S'il n'est prolongé par aucun entraînement pédagogique spécifique, l'intérêt est moindre car les enfants qui ont des signes prédictifs n'évolueront pas tous vers une pathologie.
Beaucoup de services de médecine scolaire se sont équipés. « Ils utilisent la BREV et le BSEDS (batterie de Zorman) et savent très bien ce que l'un et l'autre apporte. Nous sommes en train d'écrire avec 70 professionnels experts un kit de formation et un cédérom de sensibilisation destinés au médecin naïf. Ils seront disponibles cet été. »
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