La santé en librairie
En 1825, au fin fond de l'Orne, Marie-Anne Foucault, 34 ans, déjà mère de 5 enfants bien portants, va accoucher. La sage-femme du village, Mme Duschenay, estime que le travail avance normalement. Soudain, elle découvre par un palper vaginal que le col est dilaté, la présentation de l'enfant tout à fait anormale avec une main hors du col. Elle fait appeler le Dr Frédéric Hélie, médecin de la famille. Celui-ci confirme la mauvaise présentation du ftus. La mère souffre atrocement. Le père supplie de faire ce qui est possible. Le valeureux médecin cherche à verticaliser l'enfant de mille façons, dont une tentative de version par manuvre interne. L'utérus menace de se rompre sous la pression de l'enfant dont la vie est pratiquement sûrement déjà compromise.
Pas question de césarienne en 1825 (cela serait revenu à condamner la mère). Pas non plus de stéthoscope obstétrical (il faudra attendre près de vingt-cinq ans pour que cette méthode commence à se répandre). Pas d'unanimité doctrinale sur la méthode à employer. Le Dr Hélie fait alors ce qui nous paraît aujourd'hui à peine imaginable, mais qui était assez courant en pareil cas : il cherche à sauver la mère et à la protéger de la rupture utérine en morcelant l'enfant. Il coupe le bras qui dépasse, est obligé d'amputer l'autre membre jusqu'au coude pour parvenir à retourner et à extraire l'enfant. Il est sûr que celui-ci est mort et que sa mère survivra mais, horreur, le nouveau-né Victor Foucault est vivant et crie. Il vivra jusqu'à 6 ans. Ses parents portent plainte contre le Dr Hélie, qui est condamné en 1832 à payer à l'enfant une rente viagère et alimentaire.
Le Dr Hélie, victime ou bourreau ?
Le tribunal de Domfront estime en effet que le médecin a commis une faute grave en amputant l'enfant, qui aurait dû être extrait intact. Ce que la lecture rétrospective et attentive de l'histoire (compte tenu des moyens de l'époque) contredit formellement. Fallait-il donc tuer l'enfant Foucault (par une embryotomie plus complète, comme cela se pratiquait), attitude qui n'aurait pas été reprochée à Hélie, ou laisser la mère et l'enfant mourir ? « Est-ce à dire que la mort pouvait être considérée comme préférable à la vie avec handicap ? » explique Claude Sureau. Cette question sera également centrale dans les « affaires » Nicolas Perruche et Mathieu Quarez, près de deux cents ans plus tard.
L'affaire de l'enfant Foucault a fait grand bruit en son temps, cristallisé les passions et jeté définitivement l'opprobre sur Frédéric Hélie. Les explosions médiatiques entraînent toujours des prises de position dogmatiques.
En ce premier quart du XIXe siècle, le tribunal, pour légitimer la réparation, s'est attaché à démontrer la faute commise par le Dr Hélie. « La raison essentielle pour laquelle ce cas mérite notre attention est qu'en fait, ni bourreau, ni victime, ou plutôt à la fois bourreau et victime, Frédéric Hélie a surtout été un otage : otage impuissant de ceux qui le défendirent au nom d'un attachement à une vision en passe d'être dépassée de la médecine, et de ceux qui l'attaquèrent au nom d'une conception de plus en plus actuelle de la responsabilité médicale », explique Claude Sureau.
Se méfier du dogmatisme
Avec finesse, l'auteur montre, parallèlement à son exposé historique, l'impact de la relation personnelle et singulière entre le praticien et son « patient » (en l'occurrence la famille Foucault) dans la genèse ou la résolution des conflits : « La compétence technique sans l'accompagnement psychologique est une erreur (...) , l'accompagnement psychologique sans compétence technique est une faute. Le Dr Hélie a commis l'erreur de ne pas se préoccuper des conséquences psychologiques de l'amputation de Victor, la sage-femme a commis l'erreur de ne pas déceler l'anomalie de la présentation du ftus quand une version manuelle simple était encore possible », dit-il. « Face aux théories, aux dogmes, aux concepts, il y a l'Autre, et face à cet Autre la compassion, la charité, comme disent certains (...) , la bienfaisance ».
Ce drame, première affaire médico-judiciaire depuis la rédaction du code civil, marque le début d'une lutte serrée entre pouvoir médical et pouvoir judiciaire, mais aussi un processus de réflexion judiciaire sur la responsabilité médicale, qui a permis d'aboutir en France à la loi du 4 mars 2002 (droit des malades et aléa médical).
Tous les problèmes ne sont pas réglés pour autant. De même que Frédéric Hélie aurait probablement eu tout intérêt à « morceler » suffisamment le corps de Victor pour l'extraire mort tout en sauvant la mère, il peut paraître plus prudent pour un gynécologue désireux de se protéger d'éventuelles poursuites judiciaires de laisser une femme enceinte prendre une décision d'IVG devant une suspicion de toxoplasmose ou de rubéole. Comme il peut sembler à la fois plus économique et plus sécurisant de dépeindre le risque maximal, quitte à se tromper pour éviter l'exposition à des poursuites si une anomalie passait inaperçue.
En effet, déplore le Pr Sureau, bien qu'elle s'en défende, il existe une vraie dérive eugénique, subtile, insidieuse de notre société liée à la conjonction de l'évolution de la surveillance prénatale et au poids des préoccupations socio-économiques.
Ne nous racontons pas d'histoire, dit l'auteur, la quasi totalité des questions concernant des actes médicaux sur le ftus, qu'il s'agisse des embryotomies du temps de l'enfant Foucault, du traitement actuel des grossesses extra-utérines, des diagnostics préimplantatoires ou prénataux, sont de véritables transgressions. Tâchons donc de conserver une certaine humilité : qui peut, qui osera dire s'il fallait ou pas tuer Victor, Nicolas, Mathieu et tant d'autres ?
« Fallait-il tuer l'enfant Foucault ? », Claude Sureau, Stock, les Essais, 389 pages, 20 euros.
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