Le Temps de la médecine
La plupart des virus ont un hôte préférentiel, mais cela n'est pas absolu. Ils peuvent changer, s'adapter, comme tous les êtres vivants. D'ailleurs, un individu est infecté non pas par un clone, mais par une population virale très hétérogène, comme la population humaine sur terre. Les éléments viraux ont des génomes très proches et leurs différences les rendent plus aptes à attaquer le système de défense de l'organisme. Plus ils sont divers, plus leur potentiel d'infectiosité est grand.
La nécessité de maintenir une grande hétérogénéité, de multiplier les variétés, est une loi générale de la nature, valable pour toutes les espèces vivantes. Ce pouvoir d'adaptation des virus, par des mutations, est aussi l'un des éléments qui président à l'apparition de nouvelles pathologies ou à l'émergence d'épidémies pour des infections antérieurement endémiques.
Une épidémie repose sur une conjonction de facteurs inhérents à l'agent pathogène, à l'organisme hôte et aux causes favorisantes de l'environnement, dans lesquelles peut intervenir un vecteur animé entre l'agent infectieux et l'hôte.
La polio et les progrès de l'hygiène
On sait maintenant que l'environnement est le responsable le plus fréquent de la survenue des épidémies. L'exemple le plus manifeste est celui de la poliomyélite. La maladie a été décrite à la fin du XIXe siècle en Europe occidentale (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne, Scandinavie), sous le nom de paralysie infantile. Elle existait probablement avant, mais était confondue avec une autre pathologie. Et elle était niée ailleurs, en particulier en Afrique. La maladie s'est développée parce que les conditions de l'environnement et de l'hygiène ont changé et modifié la physiopathologie du virus. Introduit par voie digestive (par ingestion de l'eau), il n'a pas de potentiel de gravité tant qu'il reste localisé au système respiratoire. Il donne un fièvre, une rhino-pharyngite banale qui passent souvent inaperçues. Mais lorsque les muscles respiratoires sont atteints, lorsqu'il s'introduit par la voie neurogène, il prend un pouvoir pathogène extrêmement grave, aboutissant à la paralysie et éventuellement à la mort. Les études ont montré que le virus polio est extrêmement répandu et que la maladie est endémique partout. Dans les conditions de niveau de vie faible et d'hygiène défectueuse, l'infection respiratoire intervient chez les enfants très jeunes, pendant les premières années de la vie, alors qu'ils sont encore sous la protection des anticorps maternels ; dans ce cas, la maladie s'exprime peu et l'immunité est acquise à vie. Lorsque le niveau de vie augmente et que l'hygiène s'améliore, comme cela a été le cas au début du XXe siècle, le virus se raréfie et l'infection ne se fait plus chez le jeune enfant mais plus tard, et sous sa forme grave. Il faut qu'il n'y ait aucune protection pour que la maladie suive la voie neurogène et se développe dans le système nerveux.
En Afrique, des cas de poliomyélite ont été observés pendant la Seconde Guerre mondiale chez de jeunes militaires français qui ont été contaminés à l'âge adulte, à l'occasion de leur premier contact avec le virus.
La vaccination contre la poliomyélite est apparue au milieu du siècle. Efficace et sans danger, elle a permis que la maladie se raréfie et disparaisse des pays développés comme de certains pays en développement. On espère maintenant éradiquer la poliomyélite, c'est-à-dire non seulement faire disparaître ses manifestations, mais aussi le virus causal.
Restent deux obstacles. D'abord, le vaccin vivant, le plus efficace, n'est pas dénué de tout risque de réversion de la virulence, du virus vaccinal vers du virus sauvage, avec une réapparition possible d'infections chez des individus non vaccinés. Lorsque l'on veut faire disparaître une maladie, même un seul cas est inadmissible.
Des virus résistants
Ensuite, il y a toujours des sous-populations qui ne sont pas vaccinées (pour des raisons religieuses, économiques...), avec des risques de petites épidémies, très limitées ; plusieurs se sont produites depuis vingt à trente ans dans des pays même bien vaccinés. Or, il est très difficile de faire disparaître le virus polio de l'environnement, car il est très résistant. A cause de sa résistance, en particulier dans les eaux un peu sales, il faudra un temps très long et une vaccination continue pour que le virus sauvage ne circule plus.
Les circonstances de développement d'une maladie virale à la faveur de l'amélioration de l'hygiène sont les mêmes pour l'hépatite A. Le virus s'exprime par les anticorps, chez les jeunes enfants, sans provoquer la maladie, dans les régions à faible hygiène. On a vu l'infection apparaître chez des adultes dans les pays à niveau de vie élevé, comme en Scandinavie. En France, les premières observations chez les adultes ont été réalisées dans les armées, lorsqu'il y a eu un nombre élevé de cas chez des jeunes militaires du contingent, avec des morts. Les premières épidémies datent de la guerre d'Algérie. Les premières préventions, qui ont soulevé des polémiques, ont consisté en une sérothérapie humaine, jugée insuffisante et dangereuse. Elle a été complètement remplacée par la prévention vaccinale. Dans les pays industrialisés, le virus ne circule pas aussi abondamment que dans les pays tropicaux. Le virus de l'hépatite est résistant, mais, comme c'est une maladie strictement humaine, on peut imaginer un moment où, tout le monde étant protégé, le virus disparaîtra. Quand ? On ne peut répondre encore actuellement.
Le virus de la rougeole, à potentiel de gravité chez les sujets immunosensibles (encéphalites, complications pulmonaires), est celui qui se propage le plus. Virus strictement humain comme le poliovirus, il est transmis plus facilement, par voie aéroportée. Avant la vaccination, tous les enfants avaient une rougeole à l'âge scolaire (environ 800 000 cas par an en France, autant que de naissances). Comme le virus était très abondant, il entretenait l'immunité chez les vaccinés, par un effet « booster » permanent sous la protection des anticorps. Comme il n'y a pas de virus rougeole dans la nature, on sait que, si l'on supprime l'infection, on pourra supprimer le virus. On en est encore loin, mais la vaccination a permis de réduire les rougeoles graves dans les pays en développement.
Variole et sida
Est-on sûr que si l'on éradique une maladie virale, on ne risque pas de favoriser l'émergence d'autres types de maladies virales ? Il n'existe pas actuellement d'éléments permettant de faire ce lien. Les relations entre les virus eux-mêmes sont difficiles à concevoir, si ce n'est que ce sont des parasites qui ne peuvent se développer que dans les cellules d'êtres vivants, animaux ou végétaux. Il existe peut-être un risque, mais que l'on ne peut calculer ni affirmer. Etant donné le principe général selon lequel la nature a horreur du vide, il n'est pas impossible que la suppression d'un virus permette à un autre de se développer. Mais aucun fait scientifique n'étaye actuellement cette hypothèse, faite notamment pour la variole et le sida. La variole a disparu entre les années 1950 et 1978 et le sida est apparu au début des années quatre-vingt. Jusqu'à plus ample informé, ces deux événements sont dénués de relations entre eux.
Nos moyens d'étude se sont améliorés et ont permis de préciser la physiopathologie d'anciennes maladies. Ils nous donnent aussi la certitude de l'apparition de maladies qui n'existaient pas et de la disparition d'autres. Ils confirment les travaux de Charles Nicolle sur la naissance, la vie et la mort des maladies, qui ont été niés par beaucoup de scientifiques à son époque mais lui ont valu le prix Nobel en 1929.
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