L'événement
Né le 29 janvier 1899 à Brienne-le-Château (Aube), Henri-Noël-Victor Cornu a 19 ans quand, en 1918, il obtient le certificat d'études PCN (physique, chimie, sciences naturelles) de la faculté des sciences de Nancy, après avoir suivi l'enseignement dans les couloirs et les caves de l'école de l'Est bombardée.
Il est incorporé comme élève aspirant dans l'infanterie. « Je me porte alors volontaire pour la constitution de l'armée Haller en Pologne et échange mon galon de caporal contre celui de sergent infirmier. »
Henri Cornu reprend ses études à l'école de médecine comme détaché du Service de santé de l'école militaire de Lyon, où il s'était engagé pour payer ses études (il a dû, par la suite, rembourser).
Un remplacement qui va durer trente-sept ans
Externat, puis internat en chirurgie ; novembre 1927 : thèse. Il est interne en CHI et envisage une carrière universitaire hospitalière. Mais « un appel du maire de Neufchâteau (Vosges) me désigne comme remplaçant en urgence d'un chirurgien disparu ; pour quelques semaines, au pire, quelques mois ».
« Par un froid glacial, petite ville renfermée, une jeune femme (parisienne !), deux petits enfants, sans relation, sans logement... Bah ! Pour quelques semaines... Et j'y suis resté trente-sept ans. »
Dans cet hôpital-hospice, la salle dite d'opération est chauffée par un poêle à bois, entretenu de temps à autre par une religieuse pour quelques interventions par an. Il y a là, en effet, quelques religieuses de l'ordre hospitalier du Saint-Esprit, installé depuis 1230 ; en habit médiéval, avec, notamment, de très larges manches et une cornette amidonnée de 70 centimètres d'envergure. A la demande du Dr Cornu, l'évêché autorise les religieuses à quitter la cornette en salle d'opération, à fermer leurs manches avec des épingles de sûreté et à porter blouse et tablier.
« C'était un hospice, il fallait en faire un hôpital », se souvient le Dr Cornu. Exemple, dans un rapport de 1939, le service des hommes : « Une seule salle commune où malades de médecine, opérés septiques ou non, suppurants, fracturés, voisinent pêle-mêle au gré des admissions ; salle mal éclairée, mal accessible, coupée de piliers (...). Les pansements se faisaient dans des conditions déplorables : aucun lavabo. La honte me montait au visage quand parents ou médecins allaient voir leurs malades. »
En 1933, le Dr Cornu est nommé médecin phtisiologue.
« Lots de typhoïdes, scarlatines, diphtéries, pneumonies, coqueluches, otites, etc. Comment pouvait-on les soigner sans antibiotiques ? On posait des ventouses, on scarifiait, on appliquait des sangsues. Les transfusions se faisaient bras à bras, avec un système de pistons, après examen rapide de la goutte de sang. »
« L'hôpital commençait à vivre, les malades revenaient, il fallait parer au plus pressé. Aménager plusieurs salles : aseptique, pour opérations majeures, spéciale, pour les accidentés, salle intermédiaire (pour les curetages). »
On installa une « stérilisation » avec deux guichets : l'un pour le matériel sortant de l'autoclave, l'autre pour le matériel utilisé.
On installa aussi une horloge au mur de la salle de stérilisation : dix minutes de lavage des mains obligatoire, avec savon liquide et passage à l'alcool.
« Par précaution et par chance, je n'ai jamais eu de suppuration. Avant de refermer, je cassais une ampoule de désinfectant (dont je ne me souviens plus le nom) dans l'abdomen de l'opéré. »
Les gants étaient en caoutchouc épais, quelquefois raccommodés avec des rustines. « Il m'est arrivé d'opérer à mains nues. » Les instruments venaient d'une coutellerie de Nogent. Ils étaient si souples, si fragiles, qu'ils se tordaient comme du plomb. « Une ancienne sonde très longue et coudée, datant de 1914-1918, retrouvée dans un placard, m'a souvent servi pour des urgences urinaires (mais il fallait un tour de main !). »
L'anesthésie se faisait au chloroforme, un mélange chloroforme et éther, distillé à travers un masque tendu sur un petit appareil bricolé en fil de fer, maintenu sur le visage, sans oublier le miroir passé sur la bouche pour vérifier la respiration.
« Le contrôle des fractures sous écran m'a valu une radiodermite d'un doigt. »
De quelques opérations en 1926, on passa à 615 dans l'année, dix ans plus tard. Seul pour assumer jour et nuit, le Dr Cornu fait toutes les interventions de chirurgie générale.
Le chirurgien des pauvres
« Les familles qui réglaient leur note à l'économat de l'hôpital en sortant étaient très rares et, bien souvent, mes honoraires étaient oubliés, ou bien je ne donnais pas le "K" ou bien j'avais pitié du dénuement. Pas d'honoraires pour les familles nombreuses (plus de quatre enfants). Ce qui m'a valu le surnom de "chirurgien des pauvres". »
Parmi les collaborateurs du Dr Cornu : « Sur Angèle, 43 ans de service, aide opératoire, anesthésiste, surveillante (...) officiant dans un petit local en tant que pharmacienne préparant pommades, potions, désinfectants et calmants aux formules compliquées contre la toux et dits "du bon docteur Cornu". »
Le Dr Cornu se souvient aussi d'une sur cuisinière, « grâce à laquelle j'avais mon lait chaud et mon "petit sucré" en sortant de la salle d'opération ».
« Pour se tenir au courant des actualités médicales, on lisait "l'Hôpital", journal ancêtre du "Quotidien" et, surtout, en octobre, il y avait les Entretiens de Bichat. »
Retour à l'hôpital : 1935, inauguration de la maternité ; 1939 : aménagement et travaux d'un hôpital moderne.
Mai 1940 : l'hôpital est évacué
Nous arrivons en 1940 : mobilisation sur place - médecin-chef capitaine. Bombardements sur la ville. Un opéré est blessé sur la table d'opération. Mai : évacuation des opérés et des blessés dans des wagons en direction de l'hôpital rassembleur à V. « Arrêté comme espion à C., je dois la vie sauve à un réfugié de passage qui m'a formellement reconnu. »
Octobre 1940 : retour à Neufchâteau. La vie reprend sous l'occupation, avec pénurie de tout.
Situé en bordure de la voie ferrée et d'une route importante, l'hôpital risque d'être pris pour cible. Sur ordre de la préfecture, on transporte opérés, blessés et surs dans le pensionnat Sainte-Anne (lire encadré). Neufchâteau est libérée en septembre 1944.
Souvenir d'un moment mémorable, le 9 juillet 1961 : arrêt de quelques heures en gare de Neufchâteau de l'autorail présidentiel du général de Gaulle lors de son périple vosgien. A cette occasion, prévision d'un local d'urgence avec un châlit d'armée modifié aux dimensions du général, groupe sanguin et bocal prêt.
1963 : le Dr Cornu est nommé chevalier de la Légion d'honneur.
1965 : départ à la retraite pour raison de santé.
Nous remercions la fille du Dr Cornu qui nous a transmis les souvenirs rassemblés par son père.
Je me souviens...
« Dans ma 104e année, dit le médecin, je me souviens de la misère, des souffrances, du peu de moyens que nous avions pour soulager les malades sur les vingt premières années de ma profession. »
« Je me souviens de mes compagnes et de mes compagnons des années de disette et de misère, de la misère et du chagrin, de la colère d'avoir perdu la bataille : par exemple, une jeune fille, pour une banale appendicectomie, restée sur la table d'opération ; accident d'anesthésie ; un jeune aviateur, grand brûlé, que je n'ai pas pu soulager. »
«Je me souviens d'un gendre jeune médecin emporté en huit jours, atteint à son tout début de l'épidémie de poliomyélite (1956), laissant cinq enfants. »
« Je me souviens de l'encourageante satisfaction d'avoir soulagé, guéri, revivifié, y compris mon épouse que j'ai ranimée de justesse d'un OAP en pleine nuit, et de nombreux membres de la famille sortis de situations très graves. »
« Je me souviens de la reconnaissance, de la gratitude de mes opérés (chaque année, j'avais un lapin pour la Saint-Henri, apporté par un gastrectomisé, des bouteilles de "goutte" (mirabelle), du beurre et des ufs pendant la guerre. »
« Je me souviens de la fierté d'avoir inauguré en 1982 le nouvel hôpital CHU au Champ-le-Roi (situé en face de mon hôpital de campagne de Sainte-Anne) et de ma surprise d'y découvrir une salle Henri-Cornu. »
« J'ai la satisfaction de savoir que l'hôpital de Saint-Esprit est devenu une école d'infirmières, où l'on continue d'apprendre le savoir-faire médical et le réconfort de penser à quelques-unes de mes surs regroupées au couvent du Saint-Esprit à R. »
Une grande famille
« Je suis le patriarche de 68 descendants directs, raconte le Dr Cornu : 4 enfants, 18 petits-enfants, 44 arrière-petits-enfants et 2 arrière-arrière-petits-enfants. J'en ai mis au monde quelques-uns. Il y a 103 ans entre le dernier et moi.
« Je suis heureux de vivre chez moi entouré, aimé, vénéré et soigné par 1 urgentiste, 1 gériatre, 1 radiologue, 7 médecins, 1 psychologue, 8 pharmaciens, 2 dentistes, 1 ostéopathe, 1 chimiste de laboratoire, 1 chimiste industriel, cela en deuxième et troisième générations. La quatrième fait des études et la cinquième est au biberon. Les autres membres de la tribu ont choisi des métiers tout aussi passionnants et dans un tout autre ordre d'idées.
« En 1996, nous avons eu la chance de fêter nos 75 ans de vie commune ; l'année suivante, j'ai eu le chagrin de perdre mon épouse.
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