Près d'un homme sur quatre (24 %) et une femme sur dix (9 %) s'arrêtent de respirer cinq fois par heure au moins au cours de leur sommeil. Ce sont les apnées du sommeil, des troubles beaucoup plus fréquents qu'on ne le pensait jusqu'à présent.
Les cliniciens donnent cependant du syndrome d'apnée et hypoapnée obstructive du sommeil (en anglais OSHAS) une définition plus restrictive : outre les arrêts de respiration pendant le sommeil, il comprend aussi de fréquentes périodes de somnolence pendant la journée, une fatigue excessive ou un manque flagrant de concentration. Dans ce cas, les proportions tombent à 4-8 % des hommes de 40 à 60 ans et environ 2 % des femmes.
Pour les experts de la Société européenne de pneumologie réunis dans une « Task Force », ces chiffres n'en sont pas moins inquiétants, qu'il s'agisse de santé individuelle ou de sécurité collective. Ils le disent dans un rapport publié dans le numéro de décembre du « Journal européen de pneumologie »*.
« Ce sont plus de 5 millions d'Européens qui sont concernés, avec toutes les conséquences désastreuses qui en découlent », souligne le Pr Walter McNicholas, University College, Dublin), président de la Task Force.
S'il est difficile d'isoler le rôle intrinsèque de l'apnée du sommeil, compte tenu des autres facteurs en cause (obésité, hyperlipidémie, tabagisme), on sait qu'elle augmente le risque d'hypertension, et pourrait même le doubler, ainsi que la mortalité cardio-vasculaire.
Sur le plan collectif, ce sont les risques de somnolence diurne qui sont préoccupants, exposant ses victimes aux accidents domestiques, professionnels ou de la circulation. C'est à ce sujet que les experts sont le plus inquiets car, selon leurs calculs, le syndrome d'apnée du sommeil augmente de 6 à 7 fois la probabilité d'un accident de la route. « En Grande-Bretagne, explique Walter McNicholas, on soupçonne la somnolence au volant d'être à l'origine de 20 à 25 % des accidents survenant sur autoroute. Et beaucoup de collisions en chaîne spectaculaires [...] se sont révélées avoir été provoquées par un conducteur qui s'est assoupi au volant. Or ces accidents-là, survenant plutôt au petit matin ou dans l'après-midi, sont en général beaucoup plus graves. »
Une situation « d'autant plus regrettable que l'on dispose aujourd'hui d'un traitement efficace pour soigner cette maladie », souligne le coprésident de la Task Force, Patrick Lévy (CHU de Grenoble) : un masque nasal porté la nuit et qui assure une ventilation en légère surpression.
Une condition pour le permis ?
Le problème est que les patients ignorent souvent qu'ils souffrent d'apnée du sommeil. Alors que faire pour protéger la population contre les accidents de la route dus à la somnolence au volant ? Une législation au niveau du permis de conduire ? Les textes européens spécifient que le permis ne doit pas être délivré ou renouvelé si la présence d'une affection médicale est susceptible de compromettre la sécurité routière. Mais l'apnée du sommeil ne figure pas au nombre des affections réputées non compatibles avec la conduite, ce que regrettent les spécialistes. En outre, dans les pays qui prennent en compte cette maladie, on se fie trop souvent aux déclarations du conducteur, aussi bien sur l'existence ou non des troubles que sur le suivi d'un traitement.
L'Europe devrait émettre des recommandations pratiques permettant de s'assurer que les automobilistes en cause ne conduisent pas tant qu'ils n'ont pas reçu un traitement adapté, estiment les spécialistes.
Reste le risque, avec des règles plus contraignantes, que les patients fuient le système de soins, de crainte de ne pas obtenir ou de perdre le précieux permis. Et là aussi, le médecin pourrait être écartelé entre le respect du secret médical et la nécessité de prévenir un drame éventuel.
Pour les pneumologues, une seule solution : l'information, celle des médecins, des patients, du public, qu'ils engagent avec ce « cri d'alarme » lancé aujourd'hui.
* Vol. 20, n° 6
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