La diversification alimentaire du nourrisson est définie par l'introduction d'aliments non lactés dans le régime d'un enfant jusque-là nourri exclusivement au sein ou avec un lait artificiel (1). Cette modification de l'alimentation est aujourd'hui recommandée vers l'âge de 4-6 mois. Elle est proposée à une phase encore évolutive de maturation physiologique, sensorielle et psychologique ; ce qui implique certaines précautions. Elle est essentielle après l'âge de six mois, l'alimentation lactée exclusive ne pouvant suffire à couvrir tous les besoins physiologiques de l'enfant.
Même si c'est une période délicate, la diversification se passe généralement sans problème, dès lors que les règles élémentaires d'introduction des aliments non lactés sont observées ; le risque de troubles cliniques est faible.
La maturation des fonctions du nourrisson
Or, les règles d'une diversification réussie découlent directement de la physiologie du nourrisson. Elles sont basées sur l'évolution de la maturation des différentes fonctions d'absorption et de digestion.
Tout d'abord, la sécrétion de pepsine étant faible à la naissance, le passage dans la circulation systémique de protéines de haut poids moléculaire à pouvoir allergisant est possible pendant les premières semaines de vie. Les apports protéiques ne doivent donc pas être excessifs. Par ailleurs, bien que la maturation fonctionnelle des disaccharidases (lactase, glucoamylase) n'atteigne un niveau « adulte » qu'après plusieurs mois de vie, elle est suffisante pour assurer l'absorption et la digestion des hydrates de carbone nécessaires à la couverture des besoins énergétiques (mais pas plus). Par ailleurs, si l'activité de la lipase pancréatique est considérée comme satisfaisante dès le 10e jour de vie, la sécrétion des sels biliaires reste immature jusqu'à un mois et peut contribuer à une maldigestion des graisses, en particulier des lipides saturés dont les apports doivent être limités. Autre paramètre à considérer, les faibles capacités rénales d'élimination des déchets azotés et du sodium qui nécessitent des apports réduits en protéines et en sodium. Enfin, le développement de la microflore intestinale ne permet pas la digestion colique de grandes quantités de fibres alimentaires et conduit à n'introduire les légumes et les fruits riches en fibres qu'après l'âge de six mois.
Le nouveau-né à terme a donc la capacité, dès les premières semaines de vie, de digérer et d'utiliser la plupart des aliments non lactés, dès lors que ces données physiologiques sont respectées. Le risque de la diversification alimentaire est très faible (1).
Risque de carences, troubles du transit
Toutefois, bien que la couverture des besoins protéino-énergétiques soit facile à assurer par les aliments non lactés, le risque de carence en fer et en calcium est, lui, bien réel. De nombreuses études montrent que la diversification alimentaire favorise une carence martiale et calcique dont les conséquences immédiates, à moyen et long terme sont mal évaluées (2). En revanche, aucune étude ne met en évidence de risque de déficits en acides gras polyinsaturés.
En pratique, les problèmes les plus souvent observés au cours de la diversification sont d'ordre digestif. L'introduction des aliments non lactés vers quatre à six mois est souvent associée à un trouble du transit (3). Un régime hyperprotidique, l'excès d'apports en hydrates de carbone et en acides gras saturés sont incontestablement des facteurs favorisant une diarrhée. Inversement, l'insuffisance de prise hydrique ou de fibres alimentaires fréquemment observée pendant cette période est un facteur étiologique de constipation du nourrisson.
Les causes de surpoids
En dehors du risque immédiat de troubles digestifs, les conséquences d'erreurs alimentaires s'exprimeront plus tardivement. Elles sont donc plus difficiles à établir avec certitude. Les plus connues sont l'obésité et l'allergie.
Si elle est mal conduite, la diversification favorise l'apparition d'un surpoids qui pourra perdurer pendant toute l'enfance et parfois à l'âge adulte (4). Les facteurs favorisants identifiés sont nombreux. Une récente étude épidémiologique, réalisée aux Etats-Unis et intéressant plus de 19 000 enfants, montre une corrélation très significative entre le gain de poids des quatre premiers mois (semble-t-il lié à une diversification trop précoce) et le risque de surpoids à l'âge de 7 ans. Un apport énergétique excessif, du fait de l'introduction dans le régime de farines et de graisses en trop grande quantité, est fréquemment noté. Le rôle possible d'une surconsommation protéique a été aussi évoqué comme facteur d'obésité. La teneur en protéines des régimes serait corrélée à l'importance et à la précocité du rebond d'obésité ; lui-même facteur d'obésité à l'âge adulte.
En outre, un certain nombre de faits expérimentaux suggère que l'alimentation de 4 à 12 mois pourrait avoir une influence sur l'apparition d'une dyslipidémie ou d'une hypertension artérielle à l'âge adulte. Aucune étude épidémiologique ne confirme cependant cette hypothèse, concernant la diversification alimentaire du nourrisson. Rappelons que les travaux de Barker étaient en faveur d'un lien entre des apports nutritifs inadéquats pendant la vie ftale et le risque métabolique et cardio-vasculaire à l'âge adulte.
Le risque allergique
Le deuxième risque lié à une diversification alimentaire trop précoce est d'ordre allergique. Il existe non seulement chez les enfants nés dans une famille allergique, mais aussi dans la population générale. Une étude néo-zélandaise réalisée chez des enfants sans antécédents familiaux d'atopie montre que l'introduction dans le régime de plus de quatre aliments non lactés avant l'âge de quatre mois multipliait par 2,9 le risque d'apparition d'un eczéma (5). Cette augmentation du risque serait liée, d'une part, à l'insuffisance de digestion protéique, d'autre part, à l'immaturité de la fonction immunologique intestinale.
Ces données conduisent à conseiller de ne commencer la diversification qu'après quatre mois chez les nourrissons sans risque allergique et après six mois chez les enfants à risque d'atopie (5).
D'après la communication de J. Ghisolfi - Hôpital des Enfants - CHU Toulouse.
Références.
1 - Ghisolfi J. Diversification précoce de l'alimentation chez le nourrisson. Avantages et inconvénients. Arch Fr Pediatr. 1992 ; 49 : 267-9
2 - Boggio V, Grossiord A, Guyon S, Fuchs F, Fantino M. Consommation alimentaire des nourrissons et enfants en bas âge en France en 1997. Arch Pediatr 1999 ; 6 : 740-7
3 - Ghisolfi J, Olives JP, Familiades J, Rives JJ, Rives-Tocaven M. Diarrhée chronique des colopathies non spécifiques de l'enfant. Essai de démembrement étiologique. Arch Fr pediatr. 1983 ; 40 : 531-6
4 - Ong KK, Ahmed ML, Emmett PM, Preece MA, Dunger DB. Association between post natal catch-up growth and obesity in childhood : prospective cohort study. Br Med J. 2000 ; 320 : 967-71
5 - Zieger RS. Dietary aspects of food allergy prevention in infants and children. J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2000 ; 30 (suppl 1) : 577-586.
Pourquoi il faut attendre 5 mois
Il est conseillé d'attendre l'âge de cinq mois environ pour commencer à élargir progressivement le régime alimentaire du nourrisson ; cela pour les raisons suivantes :
- la relative immaturité physiologique digestive, rénale et immunologique avant l'âge de quatre à six mois ;
- le fait que le lait maternel et les préparations pour nourrissons (laits premier âge) permettent aujourd'hui d'assurer une croissance somatique et un développement psychomoteur satisfaisants ;
- le risque élevé d'allergie alimentaire en cas de diversification précoce avant l'âge de quatre mois.
La conduite pratique d'introduction des aliments non lactés pour éviter des conséquences nutritionnelles et fonctionnelles à court, moyen et long terme n'est ensuite qu'une affaire de bon sens. Comme chez l'adulte, il suffit d'assurer une alimentation adaptée aux besoins nutritionnels et énergétiques.
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