Oui, la situation est grave. Elle est même catastrophique. L'ONUSIDA, en publiant son rapport sur l'épidémie mondiale de VIH/sida, ne cherche pas à tirer de fausses sonnettes d'alarme. Établissant, colonnes interminables de chiffres à l'appui, l'étendue du fléau dans le monde, ce document précise que l'épidémie n'en est encore qu'à ses débuts et que seule une volonté politique pourra fournir les armes pour la combattre.
L'Afrique subsaharienne reste de loin la région la plus touchée. 3,5 millions de nouvelles infections ont été enregistrées en 2001, portant à 28,5 millions le nombre total de personnes vivant avec le virus dans cette partie du monde. Le VIH se transmet essentiellement en Afrique subsaharienne lors de rapports sexuels, des transfusions de sang contaminé ou d'injections avec des seringues non stériles. Le comportement sexuel reste le facteur le plus déterminant pour la propagation du VIH mais il varie énormément en fonction des cultures, de l'âge, de la catégorie socio-économique et du sexe. Il est par exemple établi qu'un nombre élevé de partenaires sexuels augmente la probabilité de contracter la maladie, mais la propension à traiter avec des professionnels du sexe et donc à multiplier ses partenaires sexuels est bien plus importante dans les groupes d'hommes seuls et migrants, comme les communautés minières d'Afrique australe.
L'Asie n'est pas à l'abri d'une grave épidémie de VIH.
Il faut en effet se méfier des faibles taux de prévalence au niveau national qui cachent des épidémies graves bien localisées. Exemple : la Chine dont le nombre d'infections à VIH a augmenté de plus de 67 % au cours du seul premier trimestre de 2001. On sait notamment que des dizaines de milliers de villageois ont été contaminés en vendant leur sang à des centres de collecte qui n'appliquaient pas les règles élémentaires de sécurité. D'autres régions sont encore à peu près épargnées ; mais les facteurs de risque y sont tellement répandus que le virus se propagera rapidement, une fois qu'il sera introduit dans la communauté.
Au Bangladesh central, 0,2 % seulement des professionnelles du sexe déclarent avoir recours systématique au préservatif lors des rapports tarifés et l'usage du préservatif reste très rare chez les hommes ayant des pratiques homosexuelles. L'épidémie poursuit donc son extension à travers l'Asie et dans la région du Pacifique.
Mais c'est actuellement dans les pays d'Europe orientale et d'Asie centrale que le VIH se répand de façon la plus galopante. On estime à 250 000 le nombre d'infections nouvelles en 2001 dans cette région, ce qui porte à 1 million le nombre de personnes vivant avec le VIH. Et pourtant, il semble que moins de 1 000 personnes y reçoivent un traitement antirétroviral. La Fédération de Russie reste la plus touchée : chaque année depuis 1998, le nombre de nouveaux diagnostics double, jusqu'à 83 000 cas en 2001.
D'autres pays, tels l'Ukraine ou la Lettonie, doivent désormais faire face à des épidémies d'apparition rapide. L'ouverture des frontières a fait entrer plusieurs des pays de cette région dans les circuits mondiaux du trafic de la drogue. Le chômage et l'insécurité économique frappant ces régions, on assiste également à une érosion des normes sociales rigides d'antan. Dans certains pays, les services publics et notamment ceux de la santé ne cessent de se détériorer. La grande majorité des infections survient parmi les jeunes, principalement chez les consommateurs de drogue par injection. Ainsi, au Bélarus, dans la ville de Svetlogorsk, le taux désastreux de 62 % a été comptabilisé pour la prévalence de l'infection.
En Amérique latine et aux Caraïbes, l'épidémie est bien installée, avec 1,9 million (1,5 million en Amérique latine et 420 000 aux Caraïbes) de personnes infectées. Le développement économique inégalitaire et la forte mobilité de la population expliquent ces chiffres, ainsi qu'un fort taux de rapports hétérosexuels non protégés. Les taux d'infections restent encore faibles dans les pays du Moyen Orient et d'Afrique du Nord, mais on estime à 80 000 le nombre de
personnes qui ont été infectées au cours de l'année 2001, ce qui porte à 500 000 les personnes touchées par le virus dans cette région. On observe que la tuberculose est en augmentation dans certains pays. Or on sait l'adéquation qui existe entre les deux maladies.
Enfin, les pays à revenu élevé restent menacés par le VIH. Près de 75 000 personnes ont été contaminées en 2001, soit 1,5 million de personnes actuellement touchées par la maladie. Près de 500 000 patients reçoivent des antirétroviraux. Le VIH, c'est vrai, frappe d'abord les milieux les plus pauvres et les plus défavorisés, les femmes courant plus de risques que les hommes. On remarque aux Etats-Unis que les jeunes adultes, appartenant à des minorités ethniques (ou bien ayant des pratiques homosexuelles) sont beaucoup plus menacés. Les Africains-Américains, par exemple (13 % de la population des Etats-Unis), représentent 64 %
des infections nouvelles enregistrées en 2000.
En Europe de l'Ouest, les trois pays les plus touchés, l'Espagne, la France et l'Italie, ne disposent pas à ce jour de déclaration VIH à l'échelle nationale. Dans les pays ayant mis en place la déclaration de la séropositivité, 12 000 cas d'infection au VIH ont été déclarés en 2001.
L'impact démographique et économique
Le rapport fait aussi le point sur l'impact démographique de l'épidémie. Le VIH/sida est en effet de loin la première cause de mortalité en Afrique subsaharienne et la quatrième dans le monde. En 2001, l'épidémie a fait quelque 3 millions de victimes. Elle porte un coup sévère à l'espérance de vie qui chute, toujours en Afrique, à 47 ans (alors qu'elle atteindrait 62 ans sans le virus). Le sida joue un mauvais rôle dans les ménages, et plus largement la famille. Facteur d'éclatement lorsque les parents décèdent, il provoque d'abord un appauvrissement des foyers déjà pauvres. Il a même été calculé que le sida augmentera le pourcentage de personnes vivant dans une extrême pauvreté de 45 % en 2000 à 51 % en 2015. Au Botswana, le revenu des ménages par habitant du quart le plus pauvre des familles devrait chuter de 13 %, car chaque soutien de famille dans cette catégorie devra s'occuper de quatre personnes dépendantes de plus en raison de la maladie.
Le VIH pèse sur les secteurs de la santé et de l'éducation. Il est clair que dans les pays où les dépenses de santé par habitant sont faibles, l'élargissement de la prévention et de la prise en charge des MST grève les budgets et les systèmes de santé. Une baisse des inscriptions dans les écoles est l'un des effets les plus visibles de l'épidémie. En effet, les enfants sont souvent retirés des classes pour prendre soin de leurs parents. Enfin, on a noté l'impact indéniable du sida sur les entreprises et lieux de travail. Touchant principalement les 15-49 ans, il ralentit l'activité économique et le progrès social.
Jeunes et vulnérables
Le rapport de l'ONUSIDA met l'accent sur la place des jeunes dans le développement de l'épidémie. D'abord, ils constituent une population particulièrement exposée. 11,8 millions de jeunes de 15 à 24 ans vivent avec le sida dans le monde. Ils commencent leur vie sexuelle de plus en plus tôt, ont plusieurs partenaires et n'utilisent que rarement le préservatif. Parmi eux, des millions traînent de nombreuses idées fausses sur le sida lorsqu'ils n'en ignorent pas tout. L'évolution du développement de l'épidémie dans le monde
dépend donc largement de l'attitude des jeunes sur la question. Il est capital de les informer correctement et de promouvoir leurs droits fondamentaux tels la santé, la protection contre le viol, le droit au mariage, la prise de décision en matière sexuelle et reproductive.
Une mobilisation communautaire essentielle
Le développement de l'épidémie en est à son tout début. Il doit être projeté sur les décennies à venir. C'est chez les jeunes qu'ont été enregistrées les baisses les plus significatives de transmission du virus. Preuve qu'ils constituent la population la plus réactive aux campagnes de prévention.
Les succès de la lutte contre le VIH sont fondés sur une mobilisation communautaire. Les exemples de l'Ouganda, du Cambodge ou de la Pologne montrent que les efforts de prévention portent leurs fruits. L'ONUSIDA recommande une collaboration plus étroite entre les différents acteurs sociaux et les pouvoirs publics, entre communautés et individus directement infectés par le VIH. L'ONUSIDA appelle à une prise en charge plus accessible et égalitaire et juge qu'il est urgent de s'attaquer aux aspects économiques, politiques, sociaux et culturels qui sont autant de facteurs augmentant la vulnérabilité au VIH des individus et des communautés. En effet, plus d'un milliard de personnes ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins fondamentaux en matière de nourriture, d'eau, d'assainissement, de soins de santé, de logement et d'éducation. Inversement, l'épidémie de sida, comme d'autres maladies, conflits ou sécheresses, aggravent des situations économiques déjà dramatiques.
Pour donner aux gouvernements les moyens d'accroître leurs efforts en matière de lutte contre le sida, des fonds doivent être libérés grâce, notamment, à l'allégement ou à l'annulation de la dette. Il est indéniable, aux yeux de l'ONUSIDA, que les pays les plus riches devront soutenir davantage les pays les plus démunis. « La lutte contre le sida est payante », dit le directeur d'ONUSIDA, le Dr Peter Piot, dans sa préface au rapport. Mais il ajoute : « Les demi-mesures et les réponses ponctuelles ne marchent pas. » Il conclut : « Il est temps de rassembler les pièces du puzzle. Les plans ont été établis. Les besoins sont évidents. Les solutions existent. La volonté politique s'affirme. Maintenant, agissons ! »
Des initiatives tous azimuts
Des directives pour le traitement des femmes enceintes séropositives ainsi que pour les enfants ont été mises au point avec la collaboration de 15 équipes de recherche européennes, sous la houlette du Pr Marie-Louise Newell (université de Londres). Réalisées grâce à des actions concertées financées par la Commission européenne, elles sont publiées dans la revue « AIDS ». Pour la prévention de la transmission mère-enfant, elles recommandent le dépistage chez toutes les femmes enceintes (et si possible leur partenaire), la possibilité pour les femmes enceintes séropositives de choisir la césarienne, une prise en charge par antirétroviraux pour les femmes infectées pendant la grossesse et pour l'enfant immédiatement après la naissance, et la dissuasion de l'allaitement maternel.
Ensemble contre le sida lance une « campagne choc » d'appel aux dons pour des médicaments en Afrique, réalisée par Euro RSCG, elle comprend des spots radio, des annonces dans la presse, des affiches et des messages sur Internet : « 28 millions d'Africains sont infectés par le virus du sida. Si nous n'agissons pas, ils seront tous morts dans dix ans » (dons au 0.810.588.588 ou www.sidaction.org). Ensemble contre le sida, qui soutient 30 associations dans les pays en développement, dont 26 en Afrique, présentera à Barcelone quelques-unes de expériences, dont la collecte d'antirétroviraux non utilisés ou l'aide aux ONG locales.
Une enquête publiée par l'UNICEF, l'ONUSIDA, l'OMS et Médecins sans Frontières présente la liste des médicaments contre le VIH (123 produits, antirétroviraux mais aussi traitements des infections opportunistes ou pour soulager la douleur...), des tests (kits diagnostiques, suivi du traitement) et des fournisseurs à l'intention des organismes d'achat et des pays. Le système d'achat en gros des Nations unies a permis d'économiser en moyenne 2 millions de dollars par an. Le rapport est disponible notamment sur les sites www.supply.unicef.dk, www.who.int.
Arcat publie son premier « Guide des associations d'inhibiteurs de protéase », avec le soutien d'Ensemble contre le sida et des laboratoires Abbott, Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb Pharma France, GlaxoSmithKline, Merck Sharp & Dohme-Chibret et Roche. Conçu pour faciliter le dialogue médecin-patient, il a été réalisé avec le concours de praticiens et de patients. Arcat souhaite faire mieux connaître aux praticiens les différentes combinaisons d'inhibiteurs de protéase, mais aussi permettre aux malades de « négocier » un traitement adapté à leurs possibilités physiques, psychologiques et sociales. Ce guide peut être obtenu contre remboursement des frais de port auprès d'Arcat-Diffusion, tél. 01.43.66.25.41.
Le Fonds OPEP pour le développement international a rejoint l'OMS dans la lutte contre le VIH/sida. Un premier accord porte sur le financement (8,1 millions de dollars) de projets soutenus par l'OMS dans 12 pays d'Afrique subsaharienne qui concentrent près de 80 % de la charge de morbidité imputable à l'infection à VIH et qui sont aussi parmi les plus pauvres du continent.
Estimation du nombre de personnes vivant avec le VIH/sida à la fin de lannée 2001 |
Orphelins du sida 2001
|
Décès dus au sida, 2001
|
Population 2001 (milliers)
|
|||
Pays |
Adultes et enfants
|
Adultes (15-49)
|
Taux chez les adultes
|
Orphelins actuellement en vie (0-14)
|
Total cumulé adultes et enfants
|
Total
|
Total mondial |
40 000 000
|
37 100 000
|
1,2
|
14 000 000
|
3 000 000
|
6 119 328
|
Afrique subsaharienne |
28 500 000
|
26 000 000
|
9,0
|
11 000 000
|
2 200 000
|
633 816
|
Asie de lEst et Pacifique |
1 000 000
|
970 000
|
0,1
|
85 000
|
35 000
|
1 497 066
|
Australie et Nouvelle-Zélande |
15 000
|
14 000
|
0,1
|
< 1 000
|
< 100
|
23 146
|
Asie du Sud et Sud-Est |
5 600 000
|
5 400 000
|
0,6
|
1 800 000
|
400 000
|
1 978 430
|
Europe orientale et Asie centrale |
1 000 000
|
1 000 000
|
0,5
|
< 5 000
|
23 000
|
393 245
|
Europe occidentale |
550 000
|
540 000
|
0,3
|
150 000
|
8 000
|
407 021
|
France |
100 000
|
100 000
|
0,3
|
< 100
|
800
|
59 453
|
Afrique du Nord et M.-Orient |
500 000
|
460 000
|
0,3
|
65 000
|
30 000
|
349 142
|
Amérique du Nord |
950 000
|
640 000
|
0,6
|
320 000
|
15 000
|
316 941
|
Caraïbes |
420 000
|
400 000
|
2,3
|
250 000
|
40 000
|
32 489
|
Amérique latine |
1 500 000
|
1 400 000
|
0,5
|
330 000
|
60 000
|
488 031
|
Clinton et Mandela à Barcelone
Scientifiques, médecins, services de soins, agences de santé publique, patients, politiques, associations : 15 000 personnes sont attendues à Barcelone du 7 au 12 juillet pour la 14e Conférence internationale sur le sida. Les cérémonies d'ouverture et de clôture auront des accents catalans avec le groupe théâtral El Comediants. Les anciens présidents Bill Clinton et Nelson Mandela clôtureront ensemble une conférence au cours de laquelle plus de 6 000 communications seront présentées.
Parmi les personnalités et spécialistes attendues : Bernhard Schwartländer (OMS), qui fera le bilan de l'épidémie ; Anthony S. Fauci (Etats-Unis), qui évoquera les mécanismes immunopathogéniques de l'infection à HIV ; Zackie Achmat (Afrique du Sud), qui parlera de « l'accès au traitement comme droit de l'Homme » ; Suniti Solomon (Inde), sur le pouvoir des femmes dans la prévention ; Robert Gallo (Etats-Unis) ; Gro Harlem Brundtland (directeur général de l'OMS) ; Richard Feachem (Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme). Pour sa part, le ministre français de la Santé, Jean-François Mattei, sera présent à Barcelone le mardi 9 juillet.
Efficacité et observance : la preuve par le Sénégal
Parfois mis en doute face à la diversité des souches du VIH présentes en Afrique, aux problèmes de résistances et d'observance, l'efficacité et la faisabilité des traitements antirétroviraux en Afrique sont mises en évidence par des études coordonnées par l'Institut de recherche pour le développement (IRD).
Une équipe franco-sénégalaise (Pr Eric Delaporte et Dr Ibrahima Ndoye) publie dans la revue « AIDS » (juin) les résultats à 18 mois d'une étude-pilote effectuée au Sénégal ; les résultats à 30 mois seront présentés à Barcelone. Elle a été menée auprès de 58 personnes de 16 à 56 ans ayant une charge virale élevée et un taux de CD4 bas, la majorité ayant développé la maladie avant la mise sous antirétroviraux. Ils ont reçu un traitement associant deux inhibiteurs de la transcriptase inverse et un inhibiteur de protéase, en trois prises quotidiennes comme dans les pays du Nord. Une enquête sociologique menée conjointement a évalué la capacité des patients à prendre en charge une partie du coût du traitement en fonction de leurs ressources. A dix-huit mois, les résultats étaient comparables à ceux obtenus dans les pays industrialisés : 87,9 % des patients ont suivi la thérapie de manière régulière et les difficultés financières ont relativement peu fait obstacle à l'observance ; les chercheurs ont observé la même efficacité thérapeutique.
Une autre étude est en route au Cameroun, sur les antirétroviraux génériques (30 euros par mois). Et un observatoire des résistances a été mis en place pour faire face au risque d'émergence à grande échelle de souches résistantes aux antirétroviraux.
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