L'homme partage 98,7 % de son patrimoine génétique avec le chimpanzé. Autrement dit, ces deux primates possèdent un nombre identique de paires de chromosomes (23) et environ 35 000 gènes, aux séquences fort semblables. Mais cette similitude s'arrête au plan moléculaire.
Au niveau morphologique, tout d'abord, nul besoin de rappeler à quel point les deux espèces, qui se sont séparées il y a 3 ou 4 millions d'années, sont différentes. Il est très rare, par exemple, que les bras de l'homme atteignent une envergure égale à une fois et demie la hauteur du corps, ce qui n'a rien d'exceptionnel chez le chimpanzé.
Mais la réelle différence entre les deux espèces se manifeste sur le plan intellectuel. Bien qu'il soit capable de résoudre des problèmes, d'utiliser des outils simples, de construire des cabanes et d'exprimer toute une gamme d'émotions, le chimpanzé ne connaît pas les tables de multiplication et ne maîtrise pas le langage.
Des différences quantitatives
L'apparent « retard » mental du grand singe s'explique peut-être par la taille de son cerveau, à peu près deux fois moins volumineux que celui de l'homme. Ou alors, autre explication, la réponse est d'ordre moléculaire, enfouie dans nos cellules. Si chimpanzés et hommes ont des gènes de séquence identique (donc, des protéines identiques, avec des fonctions identiques), l'expression de ces gènes, elle, est peut-être différente. Avec pour conséquence des concentrations variables de protéines, capables de modifier le phénotype. Dans ce cas, les différences sont quantitatives, et non qualitatives.
C'est cette dernière hypothèse que pense avoir démontré une équipe de recherche internationale, qui publie les résultats de ses travaux dans la revue « Science » du 11 avril. Les scientifiques ont décelé l'existence de différences sensibles entre le niveau de l'expression génique du cerveau humain et celle du cerveau du chimpanzé, une distinction qui n'apparaît pas dans les autres parties du corps tels le foie et les lymphocytes.
Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont réalisé des milliers d'hybridations moléculaires entre de l'ADN humain et les produits de la transcription des gènes, les ARN messagers, provenant de tissus cérébraux et hépatiques prélevés chez des êtres humains, des chimpanzés et des macaques. Il est apparu que l'expression génique est un mécanisme très dépendant de l'individu, et que certains êtres humains sont plus proches des chimpanzés que d'autres. Cependant, lorsque les chercheurs ont essayé d'interpréter ces données, ils ont découvert un modèle intriguant.
Pour les tissus sanguins et hépatiques, pas de surprise : les niveaux d'expression génique de l'homme ressemblent plus à ceux du chimpanzé qu'à ceux du macaque. Mais les tissus cérébraux révèlent autre chose : cette fois-ci, le modèle d'expression génique du chimpanzé est beaucoup plus proche de celui du macaque que de celui de l'homme, qui est pourtant son plus proche cousin. Ce qui fait dire aux chercheurs que, au cours des trois derniers millions d'années, le taux de transcription des gènes présents dans le cerveau humain a subi de grands changements, cinq fois plus rapides que ceux qui ont eu lieu dans le cerveau de chimpanzé.
Les scientifiques ont observé une tendance similaire lorsqu'ils se sont penchés non plus sur les ARN messagers, reflet de la transcription des gènes, mais sur les protéines, reflet de la traduction des ARN messagers. Le cerveau humain contient des protéines identiques à celles du chimpanzé, mais en quantité très différente, ce qui, selon l'équipe, renforce l'idée que le cerveau humain a subi un changement évolutif accéléré.
Le propre de l'homme
« Ces résultats vont dans le sens de ce qu'on espérait, déclare Brigitte Crouau-Roy, chercheuse au CNRS. Avec ces données, on obtient une justification pour accorder au cerveau un rôle fondamental dans l'évolution de l'homme. Cet organe est sans doute à lui seul capable d'expliquer les différences entre l'homme et le chimpanzé. » Le cerveau, le propre de l'homme, en somme.
Pour Brigitte Crouau-Roy, l'étude est intéressante car elle souligne l'importance du rôle joué par les diverses zones de régulation susceptibles de modifier l'expression d'un gène. Les séquences géniques à elles seules n'expliquent pas tout. Reste à découvrir quels mécanismes moléculaires ont conduit, au cours de l'évolution, à la spéciation. Dans l'article de « Science », plusieurs hypothèses sont avancées. Duplication ou délétion de gènes, mutation dans leur promoteur, mutation de facteurs de transcription... Autant de pistes à explorer pour savoir vraiment ce qui permet à l'homme d'être plus intelligent que le chimpanzé.
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