Un entretien avec Jean-Paul Laplace (INRA)
L'INRA est bien connu pour ses recherches au service des filières agricoles et beaucoup moins pour ses travaux sur les relations entre la santé et l'alimentation.
JEAN-PAUL LAPLACE
C'est que cette extension de notre champ de compétences à la nutrition humaine et aux relations alimentation-santé est en effet relativement récente, avec la création du département NASA (Nutrition, alimentation et sécurité alimentaire) en 1989, puis celle de la direction scientifique NHSA (Nutrition humaine et sécurité des aliments en 1997). L'approche de l'INRA dans ce domaine intègre toute la chaîne alimentaire : depuis l'agriculture et l'élevage, à travers toutes les transformations technologiques mises en uvre dans les industries agroalimentaires, en faisant appel à toutes les méthodes de la génétique et de la sélection, végétale et animale. Tout cela est sollicité pour améliorer la qualité des produits : qualité sanitaire, qualité organoleptique, praticité et caractérisation par la composition précise et les propriétés particulières ainsi que par l'authenticité.
L'INRA utilise les méthodes modernes d'analyse multidimensionnelle et spectrométrique pour développer ce que l'on appelle des empreintes analytiques capables de représenter de manière complexe les caractéristiques d'un produit. C'est ce qu'on appelle les signatures biologiques. Par exemple, si vous prenez l'agneau nourri à l'herbe en plein air, aliment délicieux et sympathique, nous sommes aujourd'hui capables de l'identifier, sur la base en particulier des teneurs en kératinoïdes des graisses corporelles. Voilà des éléments contrôlés et contrôlables qui garantissent l'appellation de l'aliment. Les labels peuvent se construire sur des éléments objectifs, avec des liens entre professionnels et les stations spécialisées de l'INRA.
Ce sont des outils collectifs précieux pour lesquels l'INRA consent d'importants investissements. Avant que le premier ne soit créé à Clermont-Ferrand, il y a dix ans, l'Europe ne disposait pas de centres équivalents. Avec la collaboration d'épidémiologistes et de médecins, ils permettent de progresser dans la connaissance fonctionnelle des effets de l'aliment. Sont aujourd'hui opérationnels des CRNH à Clermont-Ferrand, Lyon et Nantes, bientôt aussi à Marseille. Ils associent des CHU, l'INSERM, l'INRA, des universités et, éventuellement, des structures privées.
Physiologie de la nutrition
Quels sont les principaux programmes des CRNH ?
Ils s'inscrivent dans une orientation générale de préservation de la santé. C'est l'alimentation préventive. Le concept est, sinon nouveau, en tout cas novateur, à l'heure actuelle en pleine émergence, porté par les politiques de santé publique. Les CRNH étudient de manière approfondie les effets des aliments ou des constituants d'aliments sur les fonctions de l'organisme : fonction cellulaire, tissulaire, métabolique, hormonale. Bref, on est dans le domaine de la physiologie de la nutrition au sens large. Par exemple, à Lyon, nous développons un programme baptisé Nutrogène, qui étudie la régulation de l'expression des gènes par un nutriment, avec, en arrière-plan, la compréhension du déterminisme du diabète de type 2. C'est un programme qui a été lancé il y a deux ans. Il est encore prématuré d'annoncer des résultats, compte tenu des moyens très lourds nécessités par ce type de programme, avec des plates-formes technologiques et des connaissances génomiques importantes.
Autre exemple, le CRNH de Clermont-Ferrand travaille sur les mécanismes du vieillissement et notamment sur la fonte musculaire chez les personnes âgées. Nous avons des programmes importants pour définir les apports protéiques en termes chronologiques et qualitatifs pour limiter cette fonte musculaire inéluctable.
Il nous semble urgent d'arrêter de faire et de dire n'importe quoi. L'INRA, qui travaille en génétique et physiologie végétale, essaye de tisser le lien entre nutritionnistes et les spécialistes en physiologie végétale. Il s'agit de vérifier avec précision les effets bénéfiques et délétères des micronutriments, d'étudier ce qu'on suspecte, ce qui relève des remèdes de bonnes femmes ou des souvenirs de grand-mère et la réalité de la biodisponibilité de tel ou tel polyphénol par exemple. Pour un fruit de grande consommation, comme la pomme, il faut connaître les teneurs en carcétine, savoir si elles se modifient selon la variété et les pratiques culturelles, le climat. Et, lorsque cette pomme est consommée, il faut connaître la biodisponibilité des substances actives incriminées, leur mécanisme d'action dans l'organisme. Bien sûr, tout le monde parle d'anti-oxydants. C'est commode ! Mais il est extrêmement difficile de mesurer correctement ces anti-oxydants. Un important travail d'exploration biochimique et physiologique reste à faire pour déboucher sur une validation.
Ostéoporose et phytoestrogènes
L'exemple de l'ostéoporose relève-t-elle de cette approche ?
C'est un sujet très intéressant, qui touche aux différentes étapes de la vie, de la constitution du squelette avec l'apport de calcium et de vitamine B, à la fin de la vie, avec la perte de capital osseux. L'hormonothérapie substitutive ne concernant que 30 % des femmes ménopausées, la voie de l'alimentation paraît intéressante, avec la piste des phytoestrogènes et les données épidémiologiques collectées auprès des populations d'Asie fortes consommatrices de soja et la piste des fruits et légumes dont on voit que la forte consommation dans les régions méditerranéennes entraîne la diminution du nombre de fractures, notamment de fractures de hanche.
Un nouveau centre
Quels sont les projets que vous préparez ?
Nous contribuons avec l'INSERM et l'AP-HP à un projet en cours d'élaboration d'un centre de nutrition humaine en Ile-de-France, dont la thématique centrale sera l'étude des comportements alimentaires humains. Ce projet vient de faire l'objet d'une première validation. Il reste à mettre au point la convention qui liera les différents partenaires, notre souhait étant que le centre puisse voir le jour avant la fin de cette année. Le site principal sera situé à Bobigny, à l'hôpital Avicenne, avec un centre de recherche sur volontaires, qui bénéficiera d'une capacité d'hospitalisation sur plusieurs jours ; nous disposerons d'une base à l'Hôtel-Dieu avec un plateau technique plus léger, ambulatoire, ainsi que d'un rameau au Conservatoire national d'arts et métiers pour les équipes d'épidémiologie. Une antenne sera encore installée à l'INRA, rue Claude-Bernard, pour un laboratoire de sociologie des sciences de l'alimentation. Le tout représente une bonne douzaine d'équipes fondatrices et une vingtaine d'équipes ressources.
Deux manières coexistent : le partenariat avec les industriels, qui peuvent contribuer financièrement à des actions de recherche et sont intéressés à la transposition de leurs résultats dans la conception des produits mis sur le marché. Il y a là un enjeu économique majeur, quand on voit l'appel d'air créé par les produits santé.
L'autre manière de faire passer dans le public l'information issue des CRNH, c'est d'alimenter les actions du ministère de la Santé, comme le Programme national nutrition santé (PNNS) et toutes les mesures d'alimentation qui contribuent au développement de la politique d'alimentation préventive.
La prise de conscience reste probablement trop limitée. Nous devons faire mieux connaître nos travaux, en particulier auprès du corps médical. Je crois que les médecins ont une connaissance encore insuffisante sur ce qu'est l'alimentation. Nous avons à cet égard des contacts avec le Collège des enseignants en nutrition, dont le président est aussi le directeur du CRNH de Nantes.
A tous les maillons de la chaîne alimentaire
L'INRA, qui consacre 11 % de ses moyens à des recherches à tous les niveaux de la chaîne alimentaire, « de la fourche à la fourchette », veut porter ce seuil à 40 % à l'horizon 2004, pour améliorer l'alimentation, préserver la santé des consommateurs et comprendre leurs comportements.
Alors que depuis une dizaine d'années l'alimentation des Français semble être entrée dans une phase stationnaire, en termes de quantité et de variété, les caractéristiques nutritionnelles des produits sont devenues un enjeu concurrentiel majeur. Mais des inégalités significatives demeurent, selon l'INRA, liées au revenu ou à l'éducation, pour les aliments dont la consommation s'est démocratisée. Depuis 1950, l'évolution des quantités consommées s'est faite par substitution : une baisse considérable de la consommation de pain et de pommes de terre (environ 130 kg de moins par personne et par an pour les céréales et les pommes de terre) a permis le développement des autres aliments. La consommation annuelle par tête de l'ensemble des fruits et légumes a augmenté de près de 90 kg et celle des viandes d'un peu plus de 40 kg.
A l'intérieur des différents groupes d'aliments, des évolutions se poursuivent en fonction des variations de prix des différents produits ou du fait des recommandations nutritionnelles (baisse de la viande bovine depuis 1980, stabilisation de la consommation des corps gras et substitution de l'huile au beurre depuis la même époque).
Lorsque les inégalités liées aux revenus sont faibles, on observe que le niveau d'éducation des consommateurs joue un rôle très important dans la mise en uvre des recommandations nutritionnelles.
L'INRA sera présente au SIA, hall 2.2, stand n° 45, allée F.
Le salon de la transparence
Quelque 630 000 visiteurs sont attendus au 39e Salon international de l'agriculture (SIA), qui se tiendra porte du Versailles, à Paris, du samedi 23 février au mardi 5 mars*. Toutes les filières agricoles seront présentes, avec l'objectif d'informer les visiteurs sur leur politique de traçabilité et de sécurité alimentaire.
1 330 animaux participeront aux différents concours agricoles. 115 bovins (5 animaux par race) seront mis en scène de façon pédagogique pour permettre au public de mieux comprendre les spécificités de chaque race et leur diversité.
Se voulant « le plus informatif possible », le salon, qui a pour invitée d'honneur la Bourgogne, a mis en place un « plateau de l'information ». Agriculteurs, éleveurs, entreprises agroalimentaires, mais aussi sociologues, médecins, associations de consommateurs évoqueront les sujets d'actualité : alimentation et santé, environnement, métiers et enjeux de l'agriculture.
* De 9 h à 19 h. Nocturne le vendredi 1er mars jusqu'à 22 h. Site Internet : www.salon-agriculture.com.
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