Election présidentielle
Il ne s'agit bien sûr que d'un hasard. Tout au plus d'un symbole. Et pourtant, c'est la deuxième fois que Jacques Chirac entame une campagne à l'élection présidentielle par le thème de la santé.
En novembre 1994, l'entretien avec « la Voix du Nord », dans lequel il se déclare candidat, précède de quelques heures un déplacement dans le Nord entièrement consacré aux problèmes de santé. Devant un parterre de professionnels déjà préoccupés par la politique de maîtrise de leurs coûts, le futur président de la République rejetait l'idée d'une « limite à la dépense de santé ». Or, moins d'un an plus tard, la réforme de la Sécurité sociale, connue sous le nom de plan Juppé, instaurait des enveloppes de dépenses et mettait en place un système de sanctions financières qui a survécu jusqu'à aujourd'hui. Un tel hiatus entre son discours et ses actes avait été vécu comme une trahison par un corps professionnel qui lui était pourtant très largement acquis. La défaite de la droite aux élections législatives de 1997 en porte les stigmates.
C'est donc un acte de repentance qu'est venu accomplir le candidat Chirac en ouvrant les 23es assises du Centre national des professions de santé (CNPS). Si les objectifs de cette réforme étaient justes, selon lui, « certaines des conséquences qui en furent tirées à l'époque ont été à l'origine d'un très grave malentendu », a-t-il reconnu, en évoquant, pour circonstances atténuantes, la conjoncture de l'époque : un système de santé « pris à la gorge » et une assurance-maladie au bord d' « interrompre ses paiements ». « J'en ai médité depuis longtemps les enseignements », a poursuivi le chef de l'Etat pour qui « la page des responsabilités et des sanctions collectives, dont les lettres clés flottantes sont le dernier avatar, doit être définitivement tournée ». « C'est la voie de la raison, c'est la voie de la restauration de la confiance », a-t-il insisté, à la grande satisfaction des principaux responsables des syndicats professionnels présents dans la salle et qui l'ont retrouvé peu après à l'Elysée autour d'un déjeuner.
Cependant, endossant son habit neuf de candidat, Jacques Chirac ne pouvait pas faire abstraction du conflit actuel entre les médecins et le gouvernement.
Pour une remise à niveau des honoraires
Il en a donc profité pour appuyer les revendications des premiers et critiquer, de manière à peine voilée, l'action du second. « L'une des causes principales de la situation que nous connaissons réside dans le fait que, depuis des années, les honoraires ont été pour l'essentiel gelés », a expliqué le président de la République. Estimant que la valeur des actes n'est « en adéquation ni avec le niveau de formation des professionnels de santé, ni avec l'évolution des soins, ni avec l'augmentation des charges de cabinet », il a appelé de ses vux une remise à niveau de leurs honoraires.
Malgré son intention affichée de ne pas polémiquer avec le gouvernement de Lionel Jospin, c'est pourtant bien à son action qu'il a fait porter la responsabilité de la crise. Une politique de contrainte qui s'est « avérée inefficace pour maîtriser les dépenses » et « a semé la discorde dans notre système de soins ». « La conséquence, a-t-il ajouté, c'est que l'essentiel des chantiers de réforme est aujourd'hui en panne. » Jacques Chirac ne s'est d'ailleurs pas privé d'en énumérer les lacunes : absence d'une grande politique de prévention et de santé publique, incapacité à gérer les effectifs médicaux, absence d'investissements hospitaliers et passage aux 35 heures dans des conditions « improvisées », absence de politique de recherche ambitieuse.
Loi de programmation
Une façon de dessiner en creux les grandes orientations de sa campagne dans ce domaine. Se posant en défenseur de la médecine à la française et du « Ni-Ni », (ni étatisation, ni privatisation), Jacques Chirac a évoqué le principe d'une clarification des choix politiques et financiers dans ce domaine à travers un débat public et démocratique sur les priorités de santé.
Il a donc proposé le vote par le Parlement d'une loi de programmation de santé publique « qui fixe le cap », c'est-à-dire définisse des objectifs et dise qui, de l'Etat et de la Sécurité sociale, doit financer. Ce n'est que dans ce cadre que les relations conventionnelles qui régissent les rapports entre les caisses d'assurance-maladie et les professionnels pourront, selon lui, reprendre tout leur sens et disposer « d'un espace de responsabilité et de liberté » pour remettre à plat les conditions d'exercice des professionnels et s'assurer du juste soin.
L'affirmation « sans ambiguïté » d'un tel changement de logique a été particulièrement appréciée par les professionnels de santé, mais également par les gestionnaires de l'assurance-maladie qui ont tous salué « un bon discours ». « A condition toutefois que les promesses, cette fois, n'engagent pas que ceux qui les écoutent », a tenu a préciser le Dr Michel Chassang, président de l'UNOF et leader du mouvement actuel de grève des médecins généralistes.
Les réactions dans le monde politique et médical
L'intervention de Jacques Chirac devant les professionnels de santé a suscité de très nombreuses réactions dans le monde politique.
Elisabeth Guigou estime que le président de la République a fait «un mea culpa intéressant par rapport à la politique mise en uvre en 1995 par Alain Juppé, qui avait consisté à sanctionner financièrement les médecins. M. Chirac prodigue de bonnes paroles, mais les actes ne suivent pas. Nous, nous faisons ce que nous avions dit », a-t-elle poursuivi.
Bernard Kouchner a déclaré que Jacques Chirac « a beaucoup à se faire pardonner » par les médecins.
Bernard Kouchner a déclaré ne pas avoir été invité aux Assises du CNPS : « Peut-être qu'ils ne voulaient pas du ministre de la Santé qui aurait répondu au candidat Chirac que, sur 40 propositions qu'il lance, 30 sont déjà en cours. »
« Le candidat Jacques Chirac et le président ne doivent pas se parler souvent parce que la moitié de ce qu'il demande, je l'ai proposé, ou Elisabeth Guigou, en conseil des ministres, et il a plutôt trouvé que c'était bien », s'est étonné M. Kouchner.
Claude Pigement, délégué à la Santé du Parti socialiste, déclare qu' « il est frappant de constater que Jacques Chirac a tenu aux médecins le même discours qu'en 1995, leur a fait les mêmes promesses. Et six mois après, c'était le plan Juppé. Chacun sait donc à quoi s'en tenir. »
« Si l'on compare maintenant les bilans des gouvernements de droite et de celui de Lionel Jospin au cours des dernières années, poursuit-il, il n'y a pas de confusion possible : les bilans de la droite et de Chirac entre 1993 et 1997, c'est un déficit cumulé de la Sécurité sociale de 40,40 milliards d'euros, soit 265 milliards de francs, alors que le bilan Jospin depuis 1997, c'est l'équilibre des comptes avec même un excédent de 1,5 milliard d'euros pour 2001, et la création de la CMU, de l'APA, de la loi sur le droits des malades qui sera définitivement votée avant la fin de cette législature. »
Alain Madelin, candidat de Démocratie libérale, a dénoncé les contradictions et la « volte-face » de Jacques Chirac à propos du plan Juppé. Une volte-face qui, selon lui, « donne raison à ceux qui, comme moi, s'étaient opposés à cette réforme, mais rend peu crédibles les engagements du candidat Chirac pour l'avenir ».
François Morvan, délégué de Jean-Pierre Chevènement à la Santé, affirme que « Jacques Chirac a repris à son compte bon nombre des propositions déjà avancées par Jean-Pierre Chevènement ; il ne nous a cependant pas expliqué comment, sous son septennat, s'est creusé un divorce sans précédent entre les professionnels de santé et la puissance publique ».
La CSMF note que ce discours « est sans ambiguïté (...) et condamne définitivement les sanctions collectives qui pénalisent les médecins ». Elle rappelle cependant que « seules des dispositions concrètes en concordance avec les grands axes de ce projet seront susceptibles de mener à la réussite de ce nouveau défi ».
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