En 1999, 4 000 nouveaux malades se sont ajoutés à la liste déjà longue des 10 000 patients en attente de greffe. 3 017 greffes ont pu être réalisées grâce aux 3 200 prélèvements post mortem et aux 112 dons de vivants appartenant à la famille du malade. C'est encore trop peu.
Pour contrer la pénurie de greffons, on peut recourir aux xénogreffes ou aux organes artificiels. Ces deux solutions, bien qu'elles soient prometteuses, doivent être mieux maîtrisées et réglementées avant d'être banalisées.
Concernant les xénogreffes, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu un avis négatif en 1999, jugeant le risque trop élevé en cette période de crise de la vache folle. De son côté, la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire décrit les xénogreffes comme une expérimentation et non comme une application.
Au cours de la table ronde organisée lors des Rencontres droit-santé (parrainées par « le Quotidien »), le sénateur Claude Huriet a rappelé que le mariage entre cellules et biomatériaux pose des problèmes juridiques non résolus à ce jour. « Prenons l'exemple des artères reconstituées grâce à la culture de cellules vasculaires autour d'un mandrin. La loi en vigueur ne contient aucune définition relative à cette association inerte-vivant. Il faut donc combler ce vide juridique au plus vite. »
Pour répondre rapidement à la pénurie d'organes, certains n'hésitent pas à envisager d'autres remèdes, pourtant très controversés : l'élargissement du don aux personnes n'ayant pas de lien de parenté avec le futur receveur, et même l'instauration d'un commerce d'organes. Depuis le 29 juillet 1994, le don d'organe est réglementé par les deux lois de bioéthique. Les grands principes (anonymat, gratuité du don, absence de publicité) garantissent le bon fonctionnement du système en évitant les dérives fâcheuses. « C'est du moins ce que pensent les juristes et les médecins, lâche Bertrand Lemennicier, professeur d'économie à l'université de Paris-II. C'est au contraire l'interdiction de la commercialisation des ressources naturelles par ceux qui les détiennent qui engendre des dérives. Dérives qui forcent à trouver l'équivalent chez les animaux ou les objets. » Pour réduire les files d'attente des receveurs, une seule solution pour l'économiste : l'établissement de droits de propriété sur les éléments du corps. « La meilleure façon de protéger la dignité humaine est d'instaurer une rente sur la ressource. L'offre est ainsi augmentée sans toutefois voler les cadavres. » Bien qu'elles fussent clairement exposées, les valeurs économiques défendues par Bertrand Lemennicier n'ont guère séduit l'assistance.
Le « don altruiste » et ses risques
D'autres leur préfèrent la solution du « don altruiste ». Nouveau concept qui désigne la démarche de don effectuée par une personne n'ayant pas de lien familial avec le patient. Ce phénomène, naissant aux Etats-Unis, est clairement interdit en France. Sa pratique permettrait d'augmenter la proportion de donneurs vivants, actuellement de 5 %, contre 25 à 40 % dans d'autres pays. Le « don altruiste » est-il la solution idéale ? Rien n'est moins sûr, au vu des multiples dérives qui peuvent en découler. Comme en Iran, qui interdit le prélèvement sur les morts. Là-bas, une agence privée charge des rabatteurs de trouver des donneurs. Bilan, les témoignages affluent de gens qui, une fois prélevés, regrettent leur geste à la suite de complications. Michel Broyer, professeur à la faculté de médecine de Paris-V, redoute « cette porte ouverte à la criminalisation et au kidnapping ».
Il est difficile, en effet, de juger si le rein, le bout de moelle osseuse, ou de foie est bien donné volontairement, sans pression extérieure. « Il est hors de question de culpabiliser les gens, considère le Pr Didier Sicard, président du CCNE. De plus, la frontière entre intention généreuse et intention commerciale étant étroite, il convient d'élargir les dons de façon très limitée. Aux pacsés, ou aux demi-frères et demi-surs, par exemple. Mais pas aux amis. Sinon, on risque que le banquier achète un rein à son client démuni, sous couvert d'une fausse amitié. »
Faut-il encourager le don altruiste, de la même façon qu'on encourage le prélèvement post mortem ? « Sûrement pas, c'est une démarche tout à fait personnelle, estime Didier Sicard. En revanche, le fait de restaurer une pédagogie prônant la solidarité serait utile, en ces périodes où on utilise son corps à des fins indemnitaires. La société française, de plus en plus centrée sur le corps, la blessure, est très en retard par rapport aux autres. Mieux vaudrait troquer l'égoïsme ambiant contre le sens du rapport à l'autre. »
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