Livres
C ES livres sont d'abord des cris de révolte, de dénonciation. Ceux en particulier de Weihui et de Mian Mian, deux jeunes femmes - 28 et 31 ans - dont les premiers romans, dérangeants, ont été interdits en Chine.
« Shanghai Baby » (1) a pour narratrice Ni Ke, que ses amis appellent Coco, du nom de son idole après Henry Miller, Coco Chanel. On pressent déjà la crudité du ton et des images ainsi que l'expression de revendications féminines. Coco a vingt-cinq ans et, après l'échec d'un roman, elle est hôtesse en minijupe dans un bar. Surtout, Coco est en plein désarroi amoureux, entre son compagnon Tiantian, un peintre toxicomane et impuissant qu'elle aime, et Mark, un homme d'affaires allemand et marié à qui le lie un profond désir.
Sans complexe, curieuse de toutes les expériences et ne mâchant pas ses mots, la jeune femme - l'héroïne comme l'auteur - a fait scandale. Publié, après maintes difficultés, fin 1999, l'ouvrage s'est vendu à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires avant d'être cloué au pilori. Il y a certainement deux raisons à cela.
La première - et sans minimiser la verdeur du vocabulaire qui peut choquer certaines sensibilités - est que Weihui ne se prive pas de mettre en avant sa qualité de femme, de femme « libérée » qui plus est, ce qui a certainement rendu ses mots encore plus insupportables aux oreilles des « bien-pensants ». La deuxième raison, c'est le rythme de narration original utilisé par l'auteur, entre rock et poésie, ses références constantes à la culture occidentale, entre écrivains et musiciens américains et européens, et, au-delà, son absence totale de référence à la culture chinoise - si ce n'est les lumières des nuits de Shanghai qui soulignent le désarroi des jeunes : « Qu'apporte l'économie de marché aux jeunes, à part le fric ? Où est la spiritualité ? », demande Weihui.
Le remue-ménage qui a suivi la publication de « Shanghaï Baby », un roman semi-autobiographique selon son auteur, a propulsé la jeune femme - qui est diplômée de littérature de l'université de Shanghaï - au faîte de l'actualité ; non seulement en Chine, mais en Europe, aux Etats-Unis et au Japon où l'ouvrage sort simultanément.
En même temps qu'un autre premier roman qui a connu un peu le même parcours, puisque « les Bonbons chinois » (2), signé Mian Mian, s'est vendu à quelque 40 000 exemplaires en deux mois avant d'être interdit par la censure.
Mademoiselle Shen Wang - Mian Mian, qui signifie coton, étant son nom de plume - avait vingt-cinq ans lorsqu'elle a commencé à écrire ce roman et vingt-neuf ans lorsqu'il est paru en édition et dans une revue qui s'est littéralement arrachée. Née dans une famille d'intellectuels de Shanghaï, la jeune femme a commencé à écrire à l'âge de dix-sept ans et elle a déjà publié à Hong Kong un recueil de nouvelles qui avait séduit le public - et beaucoup moins la censure -, après avoir été disc-jockey au Cotton Club et s'être lancée dans l'organisation de concerts de rock et de raves.
Elle situe ce premier roman dans la Chine des années 80 et montre une jeunesse totalement déboussolée. Son héroïne a quinze ans lorsqu'elle apprend que sa meilleure amie s'est suicidée en s'ouvrant les veines ; commence alors pour elle une lente descente aux enfers qui passe par la boulimie, l'abandon des études, la fuite loin du domicile parental, la rencontre de l'amour et de la musique rock, la drogue de plus en plus « dure », le sexe, l'alcool, un quotidien toujours plus sordide qui la conduira à se taillader à son tour les veines.
« Ce que vous venez de lire n'est pas mon autobiographie », souligne Mian Mian dans les dernières pages de ce livre d'un réalisme cruel où elle se fait le porte-parole d'une jeunesse désabusée, ajoutant cependant : « Pour le moment, mon écriture n'est qu'une sorte d'effondrement ... l'univers que j'ai décrit ici est le mien, tout ce que j'ai et tout ce que je suis ».
Changement de ton et de thème avec Qiu Xiaolong et son roman policier, « Mort d'une héroïne rouge » (3). Un polar, certes, et de qualité, dont le personnage de l'inspecteur principal Chen, flic-poète atypique et sympathique, ne va pas sans rappeler notre bon vieux Maigret ; mais au-delà, une critique sans concession des murs politiques du Céleste Empire à l'heure communiste.
L'intrigue se déroule cette fois encore à Shanghai, mais en 1990, après Tian an men. L'inspecteur Chen est un bon communiste, bien dans sa peau et le confort de sa situation d'apparatchik, jusqu'au jour où il est chargé d'élucider le mystère de la mort d'une certaine Hongying, alias « Héroïne rouge », travailleuse modèle de la nation. Consciencieux et dévoué, Chen remonte jusqu'au coupable, qui est rien moins qu'un membre important du Parti ; il sera exécuté à l'issue d'un procès expéditif, mais le crime sexuel sera récupéré comme une affaire politique qui permettra de lancer une mobilisation nationale contre les « CBB » - corruption et crime sous l'influence bourgeoise occidentale.
Né en 1966, Qiu Xiaolong a été considéré comme un « enfant de traître » sous la Révolution culturelle et empêché d'aller à l'école. C'est tout seul qu'il apprit l'anglais et, en 1976, il entre à l'université, étudie la littérature anglo-américaine et écrit des poèmes. Il était invité aux Etats-Unis lorsqu'eurent lieu les événements de Tian an men et il y resta, car son nom commençait à circuler parmi ceux des sympathisants du mouvement démocratique chinois. Il enseigne maintenant à la Washington University de Saint-Louis mais voyage fréquemment en Chine. Si des traductions de son roman - qui a reçu un très bon accueil outre-Atlantique - sont en cours dans plusieurs pays, il est peu probable que les lecteurs chinois puissent le lire avant longtemps !
(1) Editions Philippe Picquier, 340 p., 120 F (18,29 euros)
(2) Editions de l'Olivier, 319 p., 130 F (19,82 euros)
(3) Editions Liana Levi,459 p., 128 F (19,51 euros)
Su Jung In, impressionniste coréen
Si la littérature coréenne est peu connue, la société coréenne ne l'est pas plus. C'est pourquoi il est important de découvrir à travers ce livre, en même temps qu'un auteur, un tableau en quatre-vingt-six chapitres de la Corée contemporaine.
L'auteur, Su Jung In, né en 1936 en Corée du Sud, est diplômé de littérature anglaise de l'université de Séoul et chercheur à Harvard ; il enseigne la littérature anglaise à l'université de Cholla du nord depuis 1968. Il s'est imposé en 1976 avec « le Fleuve », son premier roman, comme l'un des écrivains majeurs de son pays.
« Talgung » - le nom d'un village perdu au sein des monts Chiri, dans le sud-ouest de la Corée - est un ouvrage tout à fait original qui se compose de quatre-vingt-six chapitres, sans liens évidents entre eux, qui pourraient être lus séparément tant ils possèdent chacun une signification et un rythme propres. Il n'y a pas de logique apparente dans la succession de ces séquences et les événements relatés ne se suivent pas selon un ordre chronologique.
Selon les traductrices, qui soulignent le côté novateur de ce roman, Su Jung In use de six styles principaux : l'apparition d'une conversation au sein d'un monologue, le discours direct libre, le discours indirect libre, les répétitions, les retournements de phrases, le recours au pansori (chant traditionnel à rythme quaternaire).
De mini-nouvelle en micro-nouvelle, on découvre donc un ton et un thème différents mais qui, ensemble, brossent le tableau d'une société ballottée entre les traditions et les valeurs bouddhistes et les folies dévastatrices du règne de l'argent et du pouvoir.
Editions du Seuil, 326 p., 140 F (21,34 euros)
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